L'édito de Philippe Bailly

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Le succès de la fiction danoise : un processus de création libre et reflet de la société

Alors que la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin a souhaité que la France devienne « une championne internationale de la fiction » télévisée, NPA Conseil revient sur le modèle éprouvé de la fiction scandinave. A l’occasion de Série Series Hors les Murs consacré aux séries danoises au succès international  , retour sur ce qui les caractérise, entre un ancrage national, des auteurs au centre du processus de création et une liberté d’écriture assumée.

Des séries internationales au traitement local
Si les Français ont découvert les séries scandinaves avec L’Hôpital et ses Fantômes – The Kingdom, puis avec The Killing – Forbrydelsen (DR1) et Borgen (DR1), pour les auteurs danois, ces dernières années ne sont que la partie immergée de l’iceberg qu’ils vivent depuis 20 ans. Ces séries sont avant tout créées pour le public danois, et leur succès à l’international – notamment la nomination de The Killing aux Bafta – leur a fait prendre conscience qu’elles avaient également une résonnance à l’extérieur du pays.

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Les producteurs scandinaves ont surtout été marqués par l’acquisition de The Killing par la BBC 4, signe de l’ouverture des britanniques à des formats en langue originale sous-titrée et du potentiel des créations locales. Alors que l’idée selon laquelle l’accès à un marché international doit passer par un tournage en langue anglaise semble assez répandue, les scandinaves continuent de produire dans leurs langues nationales respectives. Les Danois ne pensent pas qu’il soit nécessaire de tourner en anglais pour aller vers l’international. Devenue leur marque de fabrique, la langue danoise devient même une exigence de la part de leurs diffuseurs.
Elle affirme le caractère local des séries produites pour les cases fictions de la télévision danoise, et devient originale à l’international. Pour Caroline Palmstierna, la langue participerait également à une sorte d’attraction ou de fascination pour la société scandinave moderne.

Pour ces auteurs, écrire des fictions est un équilibre entre écrire pour soi et comprendre le marché. Faisant écho à l’actualité de ces dernières semaines en France, les producteurs soulignent l’existence aujourd’hui d’un vrai ressenti global et planétaire, permettant de faire des fictions internationales reposant sur un traitement local : « Il faut trouver un moyen très local de parler dans notre communauté d’un monde très global. C’est l’enjeu qui est le nôtre aujourd’hui ». Ils souhaitent également rappeler que leur rôle est avant tout de divertir le public danois. S’ils apprécient leur succès à l’international, ils refusent de s’éloigner de leur premières perspectives. Ils reconnaissent néanmoins un changement des réalités auxquelles la société est confrontée, marquée par un élargissement des horizons et des centres d’intérêts. S’ils se mettent à écrire, réaliser ou produire dans des lieux, des langues ou avec des acteurs extérieurs, c’est avant pour s’ancrer dans cette évolution des perspectives à leur échelle et non pour réussir à l’international. Ils insistent sur la nécessité de continuer à écrire sur ce qu’ils connaissent le mieux, la société danoise, et le risque de se perdre dans la recherche d’un public international.

La place renforcée des auteurs dans la création
Le succès des séries danoises a eu pour conséquence une reconnaissance des auteurs, réalisateurs et producteurs. A posteriori, les acteurs de l’audiovisuel danois affirment que des choix déterminants de la part des diffuseurs ont participé au rayonnement des séries : « le moment de bascule est lorsque les chaînes ont voulu laisser les auteurs insuffler une approche nouvelle aux séries ». De plus, la décision d’intégrer à la création des personnes extérieures à la fiction télévisée – provenant par exemple du cinéma – a offert un nouveau souffle aux séries. Pour Nikolaj Scherfig, la circulation entre le cinéma et les séries télévisées est très bénéfique aux deux offres. Si elle n’existe peut-être pas autant en France, c’est peut être dû à une question d’échelle : au Danemark, on compterait une cinquantaine d’auteurs, travaillant à la fois pour la télévision et le cinéma, pour un pays de 6 millions d’habitants. Selon lui, des pays comme la Suède, l’Angleterre ou la France gagneraient à faire sauter ces portes entre les différents domaines de l’audiovisuel.

Si ces deux domaines interagissent, l’écriture pour les séries télévisées se distingue de celle dédiée au cinéma par une relation plus forte des auteurs envers leurs personnages : « c’est une différence fondamentale, on consacre une partie de sa vie à écrire une série. C’est ce qui fait le succès des séries auprès du public qui aime cette relation durable ». Les auteurs danois accordent d’ailleurs une attention particulière à leurs personnages. Selon eux, la France est peut-être tellement riche en faits de société qu’elle donne trop d’importance aux anecdotes au détriment des personnages et des problèmes de fond qu’elle éluderait. La France souffrirait peut-être d’un manque de confiance des diffuseurs envers leurs auteurs pour aborder tous les sujets. La création française dépend largement des chaînes commerciales, tandis que la télévision publique est majoritaire au Danemark, favorisant une plus grande liberté d’écriture.

Liberté d’expression et responsabilité envers la société
Le succès des séries danoises a permis une plus grande confiance envers les auteurs, renforçant leur audace dans l’écriture, soutenue par un important support financier. Ceux-ci revendiquent ainsi une grande liberté et peu de contraintes dans l’écriture.
Leur propos cherche d’abord à se démarquer de ce qui a été déjà fait, sans limite particulière dans les sujets abordés. Cette absence de contrainte est favorisée par le fait que le Danemark ne connaît pas de problèmes sociétaux en particulier. Néanmoins, les auteurs reconnaissent une certaine responsabilité de la fiction envers la société.
Par exemple, s’ils suivaient les statistiques actuelles au Danemark, l’auteur d’un crime dans la fiction serait d’abord étranger. Or, ils peuvent éviter ce réalisme pur qui soutient un message qu’ils ne veulent pas faire passer. La question de l’immigration au Danemark se pose dans la fiction. Le risque est de trop édulcorer la réalité et de faire du racisme à l’envers, ou de forcer le trait en faisant attention aux conséquences : « en tant que créateurs, il va falloir intégrer ces problèmes ».

Pour ces auteurs danois, le récit doit traiter le vrai sans barrière, et ne pas sombrer uniquement dans le divertissement. Ils estiment que les producteurs français se heurtent souvent au caractère sombre de la société alors que les diffuseurs souhaitent d’abord du divertissement. La France aurait besoin d’une vraie politique éditoriale considérant les scénaristes comme médiateurs de la société. Ces acteurs admettent également qu’il leur arrive de tomber dans l’excès inverse au Danemark, avec des drames familiaux parfois trop sombres et trop sérieux. A la question du sentiment de peur qu’ils pourraient procurer, les auteurs répondent également que leurs contraintes se limitent généralement à la conception de séries familiales que les enfants peuvent regarder. La spécialité des séries danoises réside davantage dans des relations interpersonnelles ou psychologiques que dans la violence.
La responsabilité des auteurs est également engagée lorsqu’une série a un impact sur le public et les comportements de la société. Il est difficile de mesurer cet impact, mais certaines séries se retrouvent dans le discours public. Les journaux ont pu, par exemple, remettre en question le comportement des personnages de Borgen comme s’il s’agissait d’individus politiques réels. Le Danemark a également diffusé une série racontant l’histoire d’un village pendant la guerre, devenue une telle référence qu’elle se confond avec l’histoire réelle dans le discours national : « si on sait faire une vraie bonne série, elle peut véritablement faire l’ADN d’un peuple ». Les auteurs ont un rôle à jouer pour raconter ce qui se passe dans la société. Un bon programme repose sur une complémentarité entre deux niveaux, ce qui se passe en surface, et ce qui permet une discussion plus large que la série elle-même : « raconter une histoire, c’est surprendre son public en emmenant le téléspectateur vers ce qu’il ne pensait pas, lui montrer un policier et l’amener à s’interroger sur lui-même ».

fLes propos de la ministre de la Culture et de la Communication française font écho à ce modèle. Fleur Pellerin cherche à inscrire la fiction française au niveau international en positionnant l’audiovisuel public comme ciment de la création française, pour qu’il puisse, à travers de nouvelles missions, « être plus audacieux, prendre davantage de risques, privilégier l’esthétique, des formes d’expression moderne, des sujets qui sortent un peu des sentiers battus ». De leur côté, les acteurs de la fiction télévisée danoise relativisent leur succès international : s’il leur a offert une confiance des diffuseurs leur permettant une certaine croissance et un rayonnement de leur pays à l’international, il ne participe que de façon marginale à leur financement. Aujourd’hui, ils cherchent à conserver les caractéristiques – budgets modestes, liberté de ton, langue locale, cibles familiales et nationales, relations étroites entre auteurs, producteurs et réalisateur – qui les particularisent, en évitant de s’orienter principalement vers l’international.

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