L'édito de Philippe Bailly

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Haro sur les bloqueurs de publicité

Alors que le digital est le levier de la croissance publicitaire sur de nombreux marchés, via notamment des transferts de budget réalisés par les annonceurs, ses revenus n’ont toujours pas réussi à compenser les pertes des supports offline. L’augmentation rapide des utilisateurs d’adblocks remet en cause la pérennité de l’économie du digital. Editeurs, régies et agences organisent la riposte.

Hausse des investissements digitaux

eMarketer vient de publier des estimations des investissements publicitaires totaux dans 22 pays. Selon l’institut d’études, les dépenses des annonceurs s’élèveraient à 578 milliards de dollars en 2015, dont 31% concerneraient le digital et 13% seraient alloués au mobile. A l’horizon 2017, le digital pèserait plus de 40% des montants publicitaires et le mobile 25%.

Croissance de la PDM du digital et du mobile – (Évolution des investi. pub en Md$ et en %)
Source : eMarketer
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Il s’agit donc de montants conséquents, même s’ils ne suffisent pas encore à compenser les baisses d’investissements – auxquelles ils contribuent à travers les transferts de budgets – sur les supports traditionnels : pour Standard Media index, qui pige les investissements réalisés par les agences média sur le marché américain, les dépenses en publicité digitale ont bondi de 16% entre octobre 2014 et juin 2015, en comparaison de l’année précédente, soit 3 milliards de dollars supplémentaires. Si un tiers provient d’une croissance « organique » des montants investis sur le digital, la majeure partie (66%) est réalisée au détriment d’autres supports publicitaires : la télévision aurait ainsi perdu 1,5 Md$, la presse et la radio 450 Ms$.

Les transferts de budgets représentent 66% de la croissance du digital
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Source : NPA Conseil sur données Standard Media Index

 Hausse de l’utilisation d’adblocks

Parallèlement, l’utilisation de logiciels bloquant les publicités online explose. Selon le rapport publié en août 2015 par PageFair, spécialiste anti-adblock, et Adobe, on compte aujourd’hui 198 millions d’utilisateurs actifs de ce type de service dans le monde, un chiffre en hausse de 41% sur un an. Environ 30% des publicités sont bloquées en Pologne, Russie, Finlande et Allemagne, quand ce chiffre dépasse les 33% en Suède.

Pourcentage d’individus 16-64 utilisant un adblock par zone géographique
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Source : globalwebindex

De son côté, une enquête menée par globalwebindex.com sur 33 marchés montre que 27% des individus âgés de 16 à 64 ans ont téléchargé un logiciel de blocage des publicités sur leur ordinateur principal. L’Europe est principalement concernée (29%), mais les autres zones géographiques la suivent de près.

Mise en danger de l’accès gratuit aux contenus

Le rapport de PageFair et Adobe évalue le manque à gagner pour les éditeurs à 21,8 milliards de dollars en 2015, soit l’équivalent de 13% du total des investissements digitaux. De quoi inquiéter fortement les éditeurs, quant à la pérennité de leurs revenus, et les annonceurs, concernant leur visibilité et présence à l’esprit. Et la décision d’Apple d’intégrer des extensions d’adblocking dans son navigateur Safari sur iPhone et iPad, est vue comme une menace pour le marché de la publicité mobile, segment connaissant la plus forte croissance et concentrant les plus grandes attentes. Cette décision pourrait décupler la destruction de valeur. A terme, l’impact des adblocks pourraient remettre en cause l’économie de l’accès gratuit aux contenus, grâce au financement par la publicité.

D’autant que l’Adblocking tend à s’étendre sur l’écran du téléviseur : au milieu des années 2000, TiVo avait fait trembler l’industrie TV avec sa fonction de zapping des publicités intégrée à l’enregistreur numérique. Désormais, des projets comparables sont développés sur la TV linéaire, à l’instar de la firme allemande TCU qui a intégré sa solution dans une box commercialisée en 2016 en France. Présenté à l’IFA de Berlin, l’outil de TCU permet de zapper l’écran publicitaires en passant automatiquement à d’autres programmes pré-sélectionnés par avance, d’enlever le son des publicités, etc…

Autre projet en développement : Playmute, appareil capable de faire fonctionner Android TV qui s’interface entre la TV et la box, afin de permettre de passer de la TV à une autre activité via quatre actions : un claquement de doigts, un clap des mains, un sifflement ou le fait de secouer votre smartphone. Une fois l’activité secondaire lancée, le flux TV apparaît dans une petite zone de type Picture-in-Picture, sans son, permettant d’y revenir une fois l’écran terminé.

Solution Playmute
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Source : nextimpact.com

 

Riposte des éditeurs de contenus et des régies
Solution de récompense in-app de Mopub
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Source : mopub

Les éditeurs, les régies, les agences média prennent le sujet à bras le corps et cherchent des solutions. Pour certains, il faut développer le native advertising (publicité insérée directement et de façon naturelle dans un contenu) et le brand content, à l’instar des déclarations de Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG d’aufeminin.com lors des Rencontres de l’Udecam du 3 Septembre 2015. Par exemple, 90% des revenus des sites tels Minutebuzz, Topito et Buzzfeed sont issus des contenus sponsorisés par des marques. Mais d’aucuns font remarquer l’importance du respect du contrat de lecture et de la relation de confiance existant entre l’éditeur et son lecteur. Pour d’autres, le salut passerait par des formats publicitaires plus qualitatifs, en particulier sur le mobile, comme le remarquait Pierre Chappaz, PDG et co-fondateur de Teads. La régie mobile Mopub (rachetée par Twitter en 2013) propose de récompenser les utilisateurs qui visionnent une publicité. Plusieurs éditeurs – Unity Ads, Ad Colony, Vungle ou Chartboost – testent cette solution de récompense in-app.

Enfin, des réponses plus musclées, du type action en justice, sont en réflexion au sein de l’IAB Ad Lab à New-York. Cependant, cette approche pourrait tourner court en raison de la décision rendue en avril 2015 par le Tribunal de Hambourg, suite à une plainte déposée par un groupe d’éditeurs à l’encontre d’Eyeo GmbH, l’éditeur d’AbBlock Plus, le logiciel de blocage le plus célèbre. Les magistrats ont mis en avant la liberté pour les utilisateurs de contrôler ce qui s’affiche sur leur écran d’ordinateur. Les éditeurs ont décidé de faire appel, en particulier sur un versant de l’activité de l’entreprise Eyeo : la constitution de listes blanches d’éditeurs et de régies qui proposent de la publicité « acceptable », moyennant rémunération (30% des revenus publicitaires perdus par le blocage). Ainsi, Google, Amazon et Microsoft auraient tous les quatre payé Eyeo pour que leurs publicités soient incluses dans la liste blanche d’Adblock Plus. Devant cette pratique, que certains considèrent comme du racket, des ripostes s’organisent : YouTube aurait trouvé un moyen de court-circuiter sur Chrome le blocage des publicités et oblige les internautes à visionner un format vidéo long avant d’accéder au programme désiré. S’ils souhaitent pouvoir skipper cette vidéo, ils doivent désactiver l’adblock. Cependant, ce système ne fonctionne pour l’instant que sur Chrome et des parades sont rapidement trouvées par les utilisateurs.

De même, des éditeurs adoptent une stratégie du « donnant-donnant » et demandent à l’utilisateur d’arrêter de bloquer la publicité pour débloquer leur contenu, avec parfois des éléments de pédagogie sur leur modèle économique. Ainsi, les internautes ne peuvent pas visionner les vidéos de L’Equipe et Canal+, lorsqu’un logiciel de blocage est activé. De son côté, Skyrock mise sur la proximité avec sa cible, ses utilisateurs.

fDes sociétés spécialisées dans l’anti-adblocking apparaissent, tels PageFair, Secret media, Sourcepoint ou encore Yavli, et aident les éditeurs à contrecarrer les logiciels de blocage, notamment en améliorant le temps de téléchargement des publicités, qui tendent à ralentir l’accès au contenu, principale raison de l’utilisation des adblocks. L’adoption par l’IAB du standard HTML5, au détriment de Flash, va dans le même sens.

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