L'édito de Philippe Bailly

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Focus : La bataille de la diffusion en OTT gagne les grandes compétitions sportives

Aux Etats-Unis, tout au long des débats autour de la notion de Cord-cutting (la résiliation des abonnements aux offres de TV payante) la retransmission des grands évènements sportifs en direct est utilisé comme le principal argument des tenants du modèle traditionnel. Seul un abonnement au câble ou au satellite permettait jusqu’à présent de profiter des meilleurs contenus sportifs. Mais la transition s’accélère plus rapidement qu’initialement envisagée. Les chaînes et les grandes ligues sportives multiplient les initiatives en OTT, fragilisant un peu plus le modèle économique de la télévision payante.

Un modèle économique traditionnel fragilisé

Les chaînes sportives représentent la pierre angulaire du modèle économique de la télévision payante basée sur les droits d’affiliation négociés par les chaînes avec les opérateurs du câble et du satellite. Ces chaînes, qu’il s’agisse des chaînes premium du câble comme ESPN, NFL Network ou des chaînes appartenant aux grands réseaux RSN[1] (Regional sport network) comme Fox Sports ou Comcast Sportsnet sont celles qui coûtent le plus cher aux opérateurs, obligés de répercuter ce coût à leurs abonnés. D’après le cabinet SNL Kagan, les chaînes sportives obtiennent en moyenne 75 cents par abonnés et par mois de la part des opérateurs qui les distribuent. Il s’agit d’une somme trois fois plus élevé que pour les autres chaînes du câble (28 cents en moyenne). La situation s’explique par la politique tarifaire inflationniste d’ESPN ou de Fox Sports respectivement facturées 6,61$[2] et 3,45$ (pour Fox Sports Detroit) par mois et par abonnés aux opérateurs. Mais cette politique inflationniste est elle-même une conséquence des prix pratiqués par les ligues sportives qui ne cessent de réviser à la hausse les ventes des droits sur leurs compétitions. ESPN par exemple, a ainsi dû consentir en début d’année à multiplier par trois les sommes annuelles versées à la NBA pour la retransmission des matchs de basket professionnels[3]. Nous sommes donc en présence d’une dynamique vicieuse qui présente la particularité de s’auto-alimenter.

Mais si l’un des maillons de l’écosystème vient à faiblir, c’est l’ensemble de l’édifice qui est menacé. Or aujourd’hui, l’ensemble des maillons sont fragilisés car le public, en bout de chaîne, est de moins en moins enclin à supporter la hausse continue de l’abonnement à la télévision payante. La facture mensuelle a augmenté de 40% en cinq ans[4]. Du coup, les opérateurs pour répondre aux demandes de leurs clients, passent outre les réticences des networks et multiplient les « mini-bouquets » permettant de limiter le nombre de chaînes et le prix final. La situation a des effets sur la santé des chaines sportives dont le nombre d’abonnés est en baisse. Selon Nielsen, le leader ESPN a perdu 3,2 millions d’abonnés en 2014 (-7.2% par rapport à 2011)[5].

Le modèle est donc fragilisé et la situation conduit l’ensemble des acteurs à se tourner vers l’OTT. Le modèle économique de la diffusion sur internet n’est pas suffisamment mature pour remplacer celui de la télévision payante traditionnelle. Mais tous les acteurs, ligues sportives, chaînes, opérateurs, cherchent des relais de croissance et semblent surtout se positionner pour être en mesure d’adapter rapidement leur stratégie le moment venu. Ce faisant, en expérimentant de nouvelles chaînes de valeur et en se désolidarisant des partenaires traditionnels, chacun contribue également à accélérer la transition qu’un front commun permettait auparavant de ralentir.

Pluralité des initiatives OTT

Du côté des Ligues, le principe de la diffusion sur internet est ancien puisque dès 2002 la Major League Baseball (MLB) a proposé son service MLB.TV permettant aux internautes, moyennant un abonnement mensuel ou annuel de visionner l’ensemble des matchs de la saison régulière de Baseball. Les autres grandes ligues sportives ont suivi le mouvement mais toutes ont toujours respecté un principe intangible, celui du Blackout, permettant de préserver le modèle économique de la télévision payante. Cette restriction majeure permet au diffuseur traditionnel de garder la priorité et l’exclusivité de la retransmission en direct sur son marché.

Le principe est en train de voler progressivement en éclat comme le montre plusieurs initiatives :

  • La NFL (National Football League) a passé un accord avec Yahoo ! pour la retransmission gratuite et en direct sur Yahoo.com du match d’ouverture de la saison 2015-2016[6]. S’il s’agit pour l’instant d’une opération ponctuelle, le partenariat marque un changement dans la manière de distribuer le sport le plus populaire aux États-Unis, et représente une véritable alerte pour diffuseurs traditionnels.
  • De la même manière, la NFL a donné son accord à CBS, diffuseur partenaire depuis 1956, pour la retransmission gratuite de 7 matchs cette saison sur CBSSports.com et les applications OTT de la chaîne (Xbox One, Apple TV, Chromecast, Roku…).
  • La NBA a annoncé de nouvelles conditions d’accès à son service NBA League Pass pour la saison 2015-16. Désormais, les fans de basket disposeront d’offres à la carte (Pay Per View) pour suivre les matchs de leur choix directement sur le service OTT de la ligue. Néanmoins, NBA League Pass reste un service « out of market » permettant à un utilisateur d’accéder seulement aux matchs non-diffusés dans sa région. La règle du Black-out est donc préservée mais la souplesse tarifaire (6,99$ le match contre des abonnements annuels compris entre 110 et 250$) est à même d’accélérer la consommation OTT.
  • La MLB (Major League Baseball) a finalement cédé aux demandes récurrentes du partenaire diffuseur Fox Sports en autorisant dès 2016 le streaming des matchs « in-market » dans les dispositifs de TV Everywhere de Fox Sports (sites web et application FoxSportsGo)[7]. Conformément au principe de la TVE, le streaming des matchs est par contre réservé aux abonnés de l’opérateur câble ou satellite qui diffuse la chaîne nationale ou les chaînes locales du réseau. L’authentification préserve en apparence la position de l’opérateur de TV payante sur la chaîne de valeur. Mais la désintermédiation est en réalité importante puisque les captations pour le streaming seront assurées par la filiale de la MLB, MLB Advanced Media (BAM Tech), en partenariat avec Fox Sports ; la diffusion passera par l’internet ouvert via notamment les CDN de Fox Sports (Akamai, Limelight) ; et du côté du public, la consommation se fera principalement via l’application FoxSportsGo[8] accessible depuis des interfaces non gérées par l’opérateur (Google, Apple, Roku…).

Il conviendrait pour être complet d’ajouter à la liste de ces initiatives, les nouvelles offres des opérateurs virtuels, Sling TV (groupe Dish) ou Go90 (Verizon) qui se positionnent de manière offensive, en proposant des chaînes sportives en OTT et à la carte (ESPN distribuée sur Sling TV en dehors de tout bouquet). De même, certaines Ligues sportives plus modestes ou gestionnaires de droits ont totalement renoncé à une distribution traditionnelle pour tout miser sur internet. C’est le cas de la WWE[9] sur le catch avec son offre WWE Network commercialisée en direct et en OTT auprès du public ou de l’ASP (Association of Professional Surfers) qui a confié à YouTube l’intégralité de ses droits de diffusion sur le numérique pour les compétitions qu’elle organise.

Un modèle « Direct to Consumer » qui gagne l’Europe

Cette tendance majeure de la disponibilité croissante des grandes compétitions sportives en OTT gagne également l’Europe. L’inflation des droits sportifs a conduit à écarter progressivement les chaînes publiques puis les chaînes gratuites au profit des chaînes payantes. Ces dernières, outre des applications permettant à leurs abonnés de profiter du streaming en direct et à la demande sont de plus en plus nombreuses à proposer également de vrais dispositifs OTT permettant de se passer d’un distributeur (LE CUBE S chez Canal+, NOW TV pour Sky, beIN SPORTS CONNECT…). Discovery Networks International, désormais propriétaire à 100% d’Eurosport[10] pourrait également jouer un rôle moteur si l’on en croit les objectifs très ambitieux qui ont été fixés. De fait, Discovery souhaite augmenter de 400% en 2 ans les abonnements OTT à ses offres D Play[11] et Eurosport Player pour atteindre le million d’abonnés. L’offensive d’Eurosport sur les droits avec de nombreuses acquisitions annoncées par Discovery devrait aider à atteindre ces objectifs. Discovery est en effet propriétaire des droits paneuropéens pour les Jeux Olympiques d’Hiver en Corée du Sud (acquis pour 1,5 Milliards$) qui s’ajoutent à des droits premiums pour différents marchés (Open d’Australie, Roland Garros, US Open pour le tennis, cyclisme, athlétisme…).

Aux Etats-Unis comme ailleurs, le symbole des grandes compétitions sportives en direct comme dernière digue pour que le modèle traditionnel de la diffusion TV puisse résister à la vague OTT se fissure. Pour le sport comme pour les autres programmes, les distributeurs qui ne possèdent pas de droits exclusifs et n’éditent pas leurs propres chaines sportives doivent donc accélérer pour proposer de nouvelles expériences autour des contenus. Les opportunités sont nombreuses, des nouveaux formats d’images (UHD 4k, HFR) à l’enrichissement des programmes sportifs (Xfinity Sports App chez Comcast) en passant par des fonctionnalités innovantes (visionnage partagée ou interactifs). Toutes doivent permettre de capitaliser sur la qualité des réseaux et des infrastructures pour proposer des expériences plus riches qu’en OTT. La nouvelle saison s’annonce donc bien plus disputée qu’il n’y paraît…

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[1] Les chaînes des réseaux RSN diffusent dans les offres locales des câbloopérateurs les grands évènements sportifs régionaux. Le reste des grilles est constitué de programmes affiliés produits par les RSN comme Fox Sports ou Comcast Sportsnet.

[2] Dernier relevé de SNL Kagan pour le T2 2015. Un an plus tôt la somme était de 5,33$ par abonné et par mois.

[3] De 485 millions à 1,47 milliards de dollars par saison.

[4] Selon the Liechtman Research Group, la facture moyenne s’établit désormais pour un foyer américain abonné au câble à 99,10$, en hausse de 39% par rapport à 2010.

[5] Fox Sport a également perdu 400 000 abonnés.

[6] Le match d’ouverture de la saison NFL 2015-16 entre les Jaguars de Jacksonville et les Buffalo Bills, le 25 octobre, sera le premier de l’histoire à être diffusé exclusivement sur Internet – Flash NPA n° 759 (10 juin 2016)

[7] http://www.sportsbusinessdaily.com/Journal/Issues/2015/08/17/Media/MLB-streaming.aspx

[8] D’après les chiffres de FreeWheel (« Video Monetization Report Q2 2015 »), 38% de la consommation de sport en TV Everywhere se fait sur un « Device OTT » (streaming Box, Consoles de jeu, Smart TV, Dongle clé HDMI…), devant la tablette (29%), le Smartphone (25%) en enfin un site web sur PC (15%).

[9] La WWE n’est pas une Ligue sportive à proprement parler mais une entreprise privée organisant ses propres évènements dont elle commercialise les droits.

[10] La vente par TF1 de ses 49% de parts restantes (pour la somme de 491 millions d’euros) a été finalisée à la fin du mois de juillet 2015.

[11] D Play est la plateforme payante de vidéo à la demande de Discovery qui rassemble les programmes des différentes chaînes. Elle commence à être déployée en Europe (Scandinavie et Italie en attendant son élargissement progressif).

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