L'édito de Philippe Bailly

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Google s’invite dans le standard RCS des opérateurs mobiles

Google a créé la surprise à la fin du mois de septembre en annonçant le rachat de l’entreprise américaine Jibe Mobile, spécialisée dans les communications IP et plus précisément dans le standard de communication RCS, supporté par les opérateurs mobiles pour remplacer à terme les SMS/MMS. Alors que le RCS (plus connu sous l’appellation Joyn, son nom commercial) était censé repositionner les Telcos sur le marché de la messagerie instantanée face aux applications OTT des géants du web, l’opération de Google peut être perçue à première vue comme un défi lancé aux opérateurs. C’est sans-doute aussi une opportunité pour faire décoller le nouveau standard, et surtout un moyen pour Google de concurrencer Apple.

Joyn à la croisée des chemins

Le RCS (Rich Communication Service) est une spécification technique adopté par le GSMA dès février 2008. Mais il a fallu attendre 2012 pour qu’il se concrétise sous la forme d’un service commercial, Joyn, grâce à l’engagement des principaux opérateurs européens, Vodafone, Orange, Deutsche Telekom, Telefonica… Le RCS incarne trois enjeux majeurs pour les opérateurs de télécommunications :

  • Proposer une expérience de messagerie instantanée enrichie capable de prendre le relais du SMS et de pallier les difficultés du MMS afin de rester compétitif face aux applications OTT. De fait, pour prendre le seul exemple de la France, les messages interpersonnels ont désormais atteint un palier avec au 1er semestre 2015 un volume qui reste stable (environ 51,4 milliards de messages par trimestre selon l’ARCEP) en raison d’une diminution des SMS et de la faiblesse des MMS qui ne parviennent pas à s’imposer comme relais de croissance (le nombre de MMS progresse de +23% en un an mais ne représente que 2% de l’ensemble des messages envoyés). Le RCS est donc porteur d’espoir puisqu’en utilisant les opportunités du réseau internet (les services RCS sont basés sur IMS, IP-Multimedia Subsystem utilisant les protocoles standards IP), il ouvre la voie à de nouvelles fonctionnalités comme des conversations de groupe, le partage de photos et de vidéos, des appels vidéo…

fGSM Association, Rich Communication Suite White Paper

 

  • Réitérer le succès du SMS grâce à la coopération d’un maximum d’opérateurs assurant une interopérabilité complète des services.
  • Ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux et de nouvelles opportunités de monétisation (nouveaux forfaits data dédiés, facturation ad-hoc hors forfait, API payantes…) grâce à de nouveaux services RCS ou en intégrant des fonctionnalités RCS dans d’autres applications (l’automobile, la santé et la sécurité sont les domaines mis en avant par la GSMA).

 

fMalgré l’importance des enjeux, le RCS ou plus précisément sa déclinaison commerciale Joyn, reste confronté à de nombreux défis. Les deux principaux sont liés à son adoption massive par l’ensemble de l’écosystème. Pour fournir sa pleine mesure, Joyn doit ainsi être intégrée nativement dans les Smartphones. La coopération des constructeurs est donc nécessaire. Or à l’heure actuelle, malgré l’accord des principaux noms de l’EGP, les modèles commercialisés sont peu nombreux. 41 terminaux précisément, chez HTC, LG, Nokia, Samsung et Sony. Dans les faits, les nouveaux services des opérateurs sont donc limités à un parc restreint de leurs abonnés. Ensuite, l’interopérabilité des services Joyn nécessite que le standard RCS soit adopté par l’ensemble des opérateurs. Et là encore, malgré le support des Telcos les plus importants, notamment en Europe, il manque de nombreux acteurs. Globalement, 41 opérateurs dans 32 pays ont adopté le RCS (chiffre de novembre 2014, la GSMA en attend 87 d’ici la fin de l’année 2015). Mais la situation est contrastée en fonction des marchés. En France, seuls Orange et SFR proposent des services Joyn. Bouygues Telecom et Free n’ont pas suivis. La situation est plus satisfaisante en Espagne ou en Allemagne grâce au poids respectifs de Telefónica, Vodafone et Orange et de Deutsche Telekom, Vodafone et Telefónica, mais à chaque fois il manque un ou des acteurs (E-Plus en Allemagne, Yoigo en Espagne). Concrètement, l’adoption du RCS progresse et même de manière rapide et notable sur certains marchés (Sprint a rejoint Verizon, AT&T et T-Mobile aux Etats-Unis) mais ne représente pas encore, loin s’en faut, un standard universel.

Comment interpréter l’entrée de Google dans l’écosystème RCS ?

Google arrive donc sur le RCS par le biais du rachat de Jibe Mobile, un acteur important de l’écosystème. Il propose deux solutions majeures : une plate-forme Cloud qui permet le partage et l’interopérabilité des services Joyn entre opérateurs et clients qui utilisent le protocole RCS et ceux qui ne l’utilisent pas ; un hub d’interconnexions qui permet aux différents opérateurs utilisant le RCS de s’interconnecter sans avoir besoin de créer chacun leurs propres nœuds d’interconnexions à l’intérieur de leurs réseaux. Ces deux solutions sont labellisées par la GSMA et Jibe compte des clients importants comme Deutsche Telekom (en Albanie, Roumanie, Slovaquie), Sprint, Vodafone ou SFR. Le rachat de Jibe Mobile par Google, dont l’OS Android équipe désormais plus de 80% des Smartphones livrés dans le monde (IDC) est donc en soi un évènement potentiellement important pour l’avenir du RCS. Si la stratégie de Mountain View n’a pas encore été clairement exprimée, plusieurs analyses sont déjà possibles :

  • Google pourrait profiter du savoir-faire et des équipes de Jibe pour intégrer la technologie RCS au sein même de l’OS Android. Google possède déjà ses propres services de messagerie OTT à commencer par Hangouts, mais la concurrence est très forte avec des applications plus puissantes comme Facebook Messenger, Microsoft Skype et une litanie de pure-players très efficace de Twilio à WhatsApp ou WeChat. L’intégration du RCS directement dans Android permettrait à Google de se rapprocher d’Apple qui propose nativement iMessage sur tous les terminaux iOS. Les nouveaux services de messagerie de Google occuperaient une place privilégiée sur tous les terminaux Android, au même titre que les applications par défaut Contacts ou Téléphone, indépendamment des surcouches des opérateurs et des constructeurs.
  • Plus prosaïquement, même sans intégration native du RCS dans Android, la propriété des solutions Cloud de Jibe Mobile va permettre à Google de se positionner au cœur de trafic des nouveaux services de messagerie des opérateurs. Grâce au rachat, ce sont désormais des technologies Google qui pourront servir de passerelles entre le client final et l’opérateur de télécommunication.
  • Du point de vue des opérateurs, le nouvel intérêt de Google pour le RCS est à double tranchant. Côté pile, il s’agit incontestablement d’un support de poids pour une technologie qui peine à s’imposer. En cas d’intégration poussée dans Android, il s’agirait d’un appui considérable pour convaincre les constructeurs, fabricants de puces ou de chipset mobiles d’accélérer l’adoption du RCS.

Mais côté face, Google peut vite devenir un partenaire encombrant pour les Telcos. Avec non seulement un contrôle d’une partie de leur backbone IP lié au RCS mais en plus avec une tendance fâcheuse à perturber les modèles d’affaires. Si Google profitait d’une intégration dans Android pour proposer gratuitement de nouvelles applications RCS, la monétisation des services Joyn par les opérateurs deviendrait plus compliquée.

Quoi qu’il en soit, la dernière acquisition de Google comporte de toute façon un point positif pour les opérateurs. Malgré une tendance majeure au basculement plus ou moins rapide vers le tout IP, les géants d’internet reconnaissent que les technologies et les infrastructures des Telcos peuvent apporter une qualité d’expérience supérieure à celle des applications OTT.

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