L'édito de Philippe Bailly

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FOCUS : My MTV, la chaîne de télévision musicale personnalisable est lancée

Le 18 novembre 2015, MTV a annoncé le lancement de My MTV, une chaîne de TV personnalisable disponible sur CanalSat et Numericable. Chaque abonné peut désormais construire sa propre chaîne musicale MTV.

Du slogan « I want my MTV » du début des années 80, la chaîne passe aujourd’hui à l’âge du « I am my MTV », comme un cri de guerre qui propose aux téléspectateurs de donner leur voix à la chaîne grâce aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, cette appropriation des chaînes du groupe passe par plusieurs niveaux d’utilisation :

  • La personnalisation : création d’un nombre infini de chaînes TV musicales MTV en fonction de critères basiques (genres musicaux, décennies, artistes, etc.) et de critères avancés (ambiances sonores, visuelles, tempo, etc.).
  • Le player en interaction avec le flux TV : fonction Stop, bouton Like /Dislike, intégration dans la chaîne TV « Mes Favoris », etc.
  • Le multi-chaînes : possibilité de créer en fonction de ses préférences jusqu’à 5 chaînes simultanément,
  • Le multi-écrans : accessibilité sur tous les écrans TV, PC/Mac, tablettes, smartphones.

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Plus de dix ans après la démocratisation de l’IPTV sur les réseaux ADSL, le service MYMTV montre que le concept de chaîne personnalisée n’est plus cantonné à internet. Il peut également se décliner sur les plates-formes traditionnelles de télévision à condition de repenser la distribution sous forme de flux linéaire. Mais les défis à relever restent nombreux.

La « relinéarisation » des contenus à la demande séduit les nouveaux acteurs de la vidéo

Le concept de chaîne personnalisable comme MYMTV repose sur la conviction que les chaînes de télévision peuvent réinventer l’expérience audiovisuelle en mariant le meilleur des deux mondes, celui de la personnalisation des contenus, inhérent à la vidéo à la demande en unicast et celui du modèle linéaire de la télévision, permettant un usage passif. L’enjeu est donc de pouvoir proposer un flux de contenus, pertinent et unique en fonction de chaque individu.

Les éditeurs de services de télévision possèdent des atouts évidents avec une maitrises du linéaire et donc de l’éditorialisation des contenus tout en ayant réussi à s’adapter progressivement à la transition des usages linéaires vers une consommation à la demande grâce à leurs plates-formes de télévision de rattrapage et de télévision en ligne. La transition des chaînes TV vers la distribution en ligne ou OTT a donc conduit à une porosité croissante entre les expériences de télévision linéaires et à la demande.

A l’inverse, les services de vidéo à la demande sur internet intègrent dans leur modèle des éléments issus de l’expérience TV traditionnelle pour s’imposer comme des nouvelles chaînes de destination, capables de s’imposer sur l’écran principal (le téléviseur connecté) et de retenir les usagers plus longtemps.

Ce double mouvement trouve un point de convergence dans la relinéarisation des contenus à la demande. Les fonctionnalités « auto play » qui permettent l’enchaînement de la lecture des vidéos, sans intervention de l’utilisateur, sont ainsi en train de se généraliser sur les grands services de vidéo à la demande. Loin d’être anecdotiques, elles symbolisent un changement de dimension avec une nouvelle maitrise du flux par l’éditeur du service et une nouvelle passivité de l’utilisateur dont l’interactivité était auparavant sollicitée. En sus de la suggestion et de la recommandation algorithmique qui permettaient déjà aux services d’endosser un rôle de prescription, ces nouvelles fonctionnalités ouvrent la voie à la recréation complète de chaînes linéaires à partir de contenus à la demande. Le service Crackle, édité par Sony, est sans-doute aujourd’hui l’exemple le plus pertinent. Dès l’ouverture de la nouvelle application sur Roku 3, le service se lance sur un programme en cours de diffusion. L’utilisateur a le choix entre continuer à le regarder, revenir au début du programme ou plus classiquement choisir un autre programme proposé à la demande (expérience de zapping TV traditionnelle).

Imposer des chaînes de destination face à l’émergence des nouveaux agrégateurs de contenus

La concurrence sur le front de le relinéarisation ne s’arrête pas, pour les éditeurs de chaînes, aux grands services de vidéo à la demande. Le mouvement est également suivi par une nouvelle catégorie d’acteurs qui apparaissent en OTT, des distributeurs en ligne qui proposent de nouvelles chaînes créées de toute pièce à partir de contenus vidéos disponibles en ligne et ré agrégés de manière thématique avec des éléments puissants de personnalisation. Rabbit.TV, Pluto.TV ou dans une moindre mesure Molotov.TV en France agrègent des vidéos qui sont soit disponibles gratuitement en ligne (YouTube, Dailymotion…) soit fournis directement par certains éditeurs partenaires, MCN ou Networks traditionnels. Leur enchaînement automatique ainsi que la profondeur des catalogues disponibles permettent de recréer une expérience TV traditionnelle.

Face à ces nouveaux acteurs le défi est double pour les chaînes personnalisées des éditeurs. Elles doivent d’abord composer avec un volume de contenus limité par rapport aux agrégateurs. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que MYMTV ouvre la voie avec une thématique musicale nourrie avec plus de 20 000 clips vidéos disponibles qui permet précisément de contourner cet écueil. Le volume est suffisant pour proposer des flux personnalisés sans l’impression pour l’utilisateur de tourner en rond ou de constater les limites d’algorithmes de recommandation qui n’ont de sens que dans un contexte d’abondance. L’autre service du groupe Viacom, Mon Nickelodeon Junior (lui aussi construit autour des solutions technologiques de Cognik), montre que l’univers jeunesse peut également être pertinent. Pour les autres thématiques, la question du volume des catalogues reste intacte. Quel que soit la pertinence du concept de relinéarisation, il est indispensable de pouvoir disposer d’une bibliothèque suffisante pour la réorganiser différemment en fonction des goûts et attentes de chacun.

Le deuxième défi est celui de la singularité de l’éditeur de télévision. Le concept de chaîne personnalisée et relinéarisée comporte plusieurs risques. Celui de la disparition des principaux actifs d’une chaîne dans l’univers linéaire : la capacité à créer l’évènement et à créer de l’attente autour de rendez-vous fixes. Le « Live » reste la Killer App de la télévision face aux services à la demande. A contrario, dans l’univers de la vidéo à la demande, qu’il s’agisse des nouveaux acteurs ou des services des éditeurs traditionnels (télévision de rattrapage, TV Everywhere, service OTT…), le premier usage consiste à chercher un programme précis. Le concept de « relinéarisation » peut servir à transformer les services à la demande en services de destination, capables de proposer tout le temps et à chacun une offre pertinente et de retenir l’utilisateur sur le service. Mais il ne peut pas être totalement substituable à un service à la demande, offrant la souplesse nécessaire aux nouveaux usages et désormais considéré comme un service complémentaire et indispensable à une chaîne de télévision.

Un concept qui doit encore faire ses preuves sur les réseaux de distribution classiques

Par essence, l’enjeu d’une chaîne personnalisée (relinéarisation de programmes sous forme de flux personnalisé) est de pouvoir adresser individuellement des contenus. Des services de type MYMTV sont donc avant tout destinés aux écrans individuels. La complexité (même relative) du paramétrage sur un téléviseur avec la nécessité de renseigner des préférences, la barrière de l’identification ainsi que la nature partagée de l’écran principal conduisent à considérer les Smartphones et tablette comme les supports privilégiés pour ce type de service. Dès lors, on s’interroge sur l’intérêt d’une distribution classique par rapport à un choix purement OTT. MYMTV est totalement pertinent comme service complémentaire pour étendre la présence de la marque média sur tous les écrans personnels et tenter de rivaliser avec les services de streaming musicaux, les applications Vevo ou YouTube Music par exemple. Des applications OTT compatibles avec Chromecast ou autres clés HDMI pour ceux des usagers qui souhaiteraient profiter du service sur un téléviseur peuvent paraître suffisantes.

De même, au-delà des usages, la question est posée de savoir si une forme poussée de personnalisation est compatible avec les réseaux de distribution traditionnels. L’IPTV permet certes une distribution unicast même si jusqu’à présent c’est essentiellement une duplication du modèle Broadcast associé à la distribution annexe de services à la demande qui a été proposée par les réseaux ADSL, fibre ou du câble numérique. Mais la diffusion unicast ne concerne qu’un des aspects de ce nouveau modèle des chaînes personnalisées. Le principal défi reste celui de l’analyse des données. D’une part les données liées aux programmes, qui permettent de comprendre comment les différents contenus sont liés entre eux et qui impliquent le développement de technologies sémantiques poussées pour construire des flux de contenus pertinents. D’autre part les données de consommation avec des algorithmes et des technologies d’intelligence artificielle qui permettent de comprendre les goûts et les préférences et bientôt d’adapter de manière prédictive et contextuelle les flux à chaque personne et à chaque situation (en fonction du jour, de l’heure, de l’écran utilisé, de l’humeur de l’utilisateur…). Les spécialistes existent pour accompagner les chaînes qui restent distancées sur ces aspects par les géants du web. Surtout, ce type de service implique un modèle (gestion des métadonnées, analyse Big Data, utilisation des infrastructures Cloud…) qui éloigne les éditeurs des modes de diffusion traditionnelles et les rapprochent toujours plus d’une diffusion tout IP en OTT.

Le concept de relinéarisation des contenus implique donc de relever des défis majeurs à la hauteur des enjeux puisqu’il s’agit d’adapter l’expérience audiovisuelle au nouveau paradigme de la personnalisation.

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