L'édito de Philippe Bailly

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Presse : la nouvelle vague des pure players français de l’information

A l’image de l’ouverture prochaine du site d’informations Les Jours, la France assiste depuis cinq ans à une vague de créations de pure players d’informations. En quête d’un modèle économique durable, ils se démarquent de leurs ainés par de nouveaux procédés de financement et une ligne éditoriale plus spécialisée.

Le financement par le crowdfunding

Suite au rachat du journal Libération par Patrick Drahi en 2014, huit journalistes décident de faire jouer leur clause de départ et de monter un projet plus enclin avec l’idée qu’ils entretiennent de l’évolution de leur métier. C’est ainsi que naît Les Jours, site d’informations qui sera officiellement lancé le 11 février 2016, uniquement auprès de testeurs et des premiers abonnés. Le même jour, le site lancera également une campagne de financement via « l’equity crowdfunding », une levée de fonds en échange d’actions auprès des investisseurs particuliers et professionnels. Une opération qui s’ajoutera à celle de crowdfunding qui avait déjà eu lieu l’été dernier sur KissKissBankBank permettant au site de récolter plus de 80 000 euros. L’appel au financement des particuliers est d’ailleurs devenu le moyen privilégié pour la nouvelle vague des pure players français afin de se lancer, à l’image de chEEk Magazine (2013) ou Le Zephyr (2015), qui ont levé respectivement 10 000€ et 7 000€. En découle la naissance d’une génération de journalistes-entrepreneurs, créateurs de nouveaux formats en ligne aujourd’hui estimés comme trop absents ou insuffisants dans la presse. De plus, ces journalistes, souvent âgés d’une trentaine d’années, investissent par cette expérience dans leur personal branding : même si le projet échoue, ils en retireront une certaine notoriété facilitant leur intégration future dans les salles de rédaction les plus connues.

Des projets éditoriaux délimités

Dans l’objectif de satisfaire un lectorat qui cherche de nouvelles expériences de lecture et de découverte, ces nouveaux sites d’informations visent des espaces éditoriaux très circonscrits et un public précis : chEEk Magazine a pour vocation de s’adresser uniquement aux femmes de la génération Y, Ijsberg traite de l’actualité internationale ou Agri-culture.fr uniquement du domaine de la ruralité. Les Jours a pris le parti de traiter l’actualité généraliste mais sous un autre angle, celui des « obsessions », expression employée dans la description du projet. Par ce terme, la nouvelle équipe de journalistes désigne des sujets d’actualité traités en profondeur, alors même que les autres médias auraient déjà rebondi sur une autre information. Le principe est en réalité celui tiré d’une série télévisée : raconter la réalité, en plusieurs épisodes, en prenant le temps nécessaire pour une parfaite compréhension de « l’intrigue » et des « personnages », ainsi que les tenants et aboutissants à la manière d’une saison de Game of Thrones. Le fait de tirer le fil de l’actualité traitée jusqu’à son maximum se retrouve également dans d’autres concepts comme celui de LeQuatreHeures qui prône le concept de « slow info » : une information qui ne se contente pas du factuel, mais qui prend le temps d’expliquer sous la forme de grands formats et de reportages. L’allégorie avec les séries télé y est également présente puisque les thèmes d’actualité sont traités à travers des saisons chacune composées de plusieurs épisodes.a

Un modèle économique encore difficile

Les pure players ont cependant de grandes difficultés à trouver un modèle économique rentable. Il leur revient ainsi de tirer les leçons des réussites et échecs de la première génération. Ainsi, pour assurer leur pérennité, certains se sont fait racheter à l’image de Rue 89 par Le Nouvel Observateur en 2011 pour un montant de 7,5 millions d’euros. D’autres, initialement gratuits sont devenus payants comme Atlantico tout en conservant une partie du financement issue de la publicité. Enfin, d’autres ont opté pour le financement uniquement par les abonnements comme Arrêt sur Images ou Mediapart et se félicitent de l’absence totale de publicité. Le site incarné par Edwy Plenel fait d’ailleurs figure de modèle puisqu’il constitue l’un des rares pure players indépendants à être rentable, enregistrant 1,48 million d’euros de bénéfice d’exploitation sur l’ensemble de l’année 2014[1]. La nouvelle génération de pure players, elle, semble miser également sur la solution de l’abonnement, tant les bloqueurs de pubs de type adblock deviennent monnaie courante auprès des internautes. Ainsi, Les jours proposera un accès payant à ses abonnés au tarif de 9 euros par mois, avec une possibilité de le réduire à 5 euros dans certains cas particuliers. Ont également adopté cette solution payante Brief.me et LeQuatreHeures. Il n’y a plus qu’à espérer que ces nouveaux venus dans la presse en ligne ne connaissent pas le même sort que nombre de pure players nationaux ou locaux ayant mis la clé sous la porte comme Owni en 2012 qui prônait à la fois la gratuité de ses contenus et le refus de la publicité.

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[1] Les résultats de l’année 2015 seront rendus publics en mars prochain. Cependant, ce bilan risque d’être alourdi par le paiement de 2,5 millions d’euros en janvier dernier auprès du fisc pour avoir appliqué, jusqu’au 1er février 2014, un taux de TVA réduit de 2,1% applicable à l’époque uniquement aux entreprises de presse imprimée, au lieu de 19,6% puis 20% auxquels les services de presse en ligne étaient préalablement soumis. Le site Arrêt sur Images se trouve dans la même situation.

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