L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

L’évolution compliquée du modèle des chaînes thématiques payantes

Les résultats du Médiamat’Thématik qui mesure l’audience des chaînes thématiques payantes seront publiés demain, jeudi 10 mars. Lors de la précédente vague[1], l’univers représentait une part d’audience de 13,7% sur le total de l’offre télévisuelle en France, un indicateur en net recul par rapport au début de la décennie (19,4% en juin 2011). Egalement confrontées à une baisse des recettes publicitaires ainsi qu’à la double concurrence de la TNT gratuite et des nouveaux services SVoD, les chaînes thématiques cherchent à réinventer leur modèle.

Un environnement de plus en plus compliqué pour les chaînes thématiques payantes

Il y a dix ans, la multiplication des plates-formes de diffusion avec la démocratisation de l’internet haut débit, la percée de l’ADSL ou les promesses de la télévision mobile personnelle laissait espérer un avenir prometteur pour les chaînes thématiques. La souplesse des nouveaux modes de diffusion par rapport au câble ou au satellite représentait une opportunité pour des chaînes très ciblées, à la fois en termes de contenus et de communautés de téléspectateurs, préfigurant en partie les nouveaux médias communautaires en ligne. Pourtant, les thématiques payantes traversent aujourd’hui une crise d’identité, prises en étau entre le succès de la TNT gratuite et le développement des nouveaux services de vidéo à la demande par abonnement. Le lancement des chaînes de la TNT HD fin 2012 a conduit d’une part à « dévaloriser l’utilité du payant au profit du gratuit »[2] et d’autre part à capter une partie du chiffre d’affaires publicitaire des chaînes payantes. La part de marché publicitaire des chaines thématiques payantes a ainsi reculé de 10% en 2011 à 7% en 2015[3]. Les recettes publicitaire, qui contribuent à hauteur de 14% du CA global des chaînes payantes[4] (hors chaînes Canal+), ont ainsi reculé de 150M€ net en 2012 à 129M€ l’année dernière.

Mais le principal foyer de revenus reste les recettes d’abonnement (72%). Or là encore, l’indicateur est à la baisse. D’après l’ACCeS, auditionné par le CSA le 3 décembre 2015 dans le cadre de la publication des études d’impact sur le passage de LCI et Paris Première sur la TNT gratuite, les chaînes thématiques payantes ont perdu 30% de leurs abonnés en 5 ans. Ceux-ci ont reculé de 16,6M en 2011 à un peu moins de 12M en 2015. En cause, les désabonnements à CanalSat, acteur structurant du marché, mais également les effets des opérations de concentration au niveau des diffuseurs ainsi que la concurrence de la vidéo à la demande. Les services par abonnement représentent pour le public une alternative croissante grâce à un positionnement tarifaire agressif, une spécialisation importante et surtout une distribution de plus en plus large. Le positionnement de la SVoD est très proche de celui des thématiques payantes puisque dans les deux cas, plus que l’audience, c’est la capacité à susciter l’abonnement en répondant à une demande précise par des contenus pertinents, qui constitue la base du modèle. La satisfaction du téléspectateur, qui passe par des investissements forts dans les contenus, est donc essentielle. Avec une contrainte supplémentaire pour les chaînes thématiques qui doivent segmenter de plus en plus leurs offres pour répondre aux besoins des distributeurs.

L’ensemble des revenus des chaînes thématiques payantes ont donc baissé en même temps. D’après le « Bilan financier de l’année 2014 des chaînes nationales payantes » publié par le CSA en janvier 2016 (périmètre de 96 chaînes payantes éditées par 48 sociétés), si on exclut la locomotive beIN Sports, le chiffre d’affaires des autres chaînes payantes (hors chaînes Canal+) est en baisse constante depuis 2011 et est désormais inférieur à celui qu’il était il y a dix ans (955M€ en 2004). On assiste donc à un nouvel effet de ciseau puisque face à l’abondance des chaînes disponibles sur les différentes plates-formes numériques, les thématiques, malgré des revenus en baisse doivent plus que jamais acquérir des droits exclusifs sur des contenus originaux pour constituer des marques fortes et défendre le montant des reversements versés par les distributeurs.

Une situation d’autant plus compliquée qu’on assiste en même temps à un renchérissement des droits sur l’ensemble des thématiques en raison de la concurrence.

Le développement de nouveaux « services hybrides », entre opportunités et nouvelles contraintes

Dans ce contexte difficile, les chaînes thématiques payantes considèrent que la meilleure réponse réside dans une hybridation de leurs offres, en associant une vitrine linéaire et des services à la demande plus souples et proposant une profondeur de catalogue plus importante. L’enjeu est d’autant plus important que les usages délinéarisés sont particulièrement développés chez les abonnés des chaînes thématiques. Le « Deuxième baromètre de l’attractivité des chaines thématiques »[5] réalisé par Harris Interactive pour l’ACCeS montre en effet que 82 % des abonnés à une offre payante (vs 75 % des équipés TV) ont utilisé au moins une fois un service de télévision de rattrapage. De même, 52 % (vs 46 % des équipés TV) ont regardé au moins une fois un programme en streaming ou en téléchargement sur internet et 23 % (vs 13%) ont regardé au moins une fois un programme en vidéo à la demande par abonnement. L’hybridation des services doit donc permettre de répondre à la fois aux nouveaux usages de consommation et à la concurrence des acteurs OTT. Mais s’il s’agit d’une opportunité pour les chaînes payantes, cette transformation pose également des problèmes importants.

Le premier est d’ordre réglementaire avec une nécessaire modification du statut des chaînes thématiques, officiellement demandée par l’ACCeS à l’occasion d’un colloque organisé le 25 juin dernier[6] après un an de travaux au sein de l’Association. L’objectif est de parvenir à un nouveau cadre réglementaire pour les chaînes thématiques, plus proche de celui des SMAD que de celui des chaînes hertziennes. Concrètement, l’ACCeS souhaite un nouveau « statut de service à la fois linéaire et accessible à la demande » ; une nouvelle assiette de contribution à la production audiovisuelle « basée à la fois sur le linéaire et sur la demande » ; la mutualisation des contributions entre le programme linéaire et le catalogue de programmes à la demande ; la fixation d’un seuil de déclenchement des obligations de contribution au développement de la production cinématographique et audiovisuelle à 10 M€ de chiffre d’affaires, comme dans le cas des SMAD. Si le CSA s’est montré sensible à ces propositions, reconnaissant l’intérêt d’un statut commun aux éditeurs de services linéaires et non linéaires, leur mise en œuvre nécessite la modification de la loi du 30 septembre 1986 et donc un processus législatif pour l’instant écarté.

Le deuxième est lié à la monétisation des nouveaux services hybrides. Avec deux volets distincts. D’abord celui des revenus publicitaires. La nature même des chaînes thématiques ouvre des perspectives indéniables en termes de segmentation et de ciblage publicitaire. Mais la complémentarité des consommations linéaires et non linéaires doit être mieux mesurée pour attirer les annonceurs. Ce qui passe par la généralisation de la prise en compte de la télévision de rattrapage[7] dans la nouvelle mesure hybride mise en place par Médiamétrie en partenariat avec l’opérateur Canalsat depuis 2013. Plus globalement, la revalorisation de la mesure du marché des chaînes thématiques est indispensable pour freiner la baisse des investissements. La nouvelle mesure hybride (non encore commercialisée) apporte une réponse efficace grâce à une granularité plus fine (périodicité, cible, profondeur d’analyse…) mais reste limitée à un échantillon de 10 000 abonnés Canalsat mesurés par voie de retour grâce aux décodeurs numériques. L’objectif d’accélérer son déploiement chez l’ensemble des autres opérateurs devra donc se concrétiser pour défendre durablement la valeur des chaînes thématiques.

Du côté des revenus de l’abonnement, l’auto distribution sur internet ne représente pas une solution viable pour la majorité des éditeurs. Seules les chaînes thématiques premium, notamment sportives et/ou éditées par des groupes internationaux, peuvent se lancer dans l’aventure. Le coût est trop élevé (investissements marketing, coûts liés à l’internalisation de la relation client, maîtrise de la facturation, gestion d’une plate-forme OTT…) alors que la majorité des chaînes thématiques « basiques » ne proposent même pas encore de télévision de rattrapage sur leur site internet. Les opérateurs restent donc des partenaires essentiels, y compris pour des services innovants mariant chaîne linéaire et vidéo à la demande. Les exemples des services du groupe Viacom Mon Nickelodeon Junior et My MTV, en exclusivité Canalsat pour le premier et Canalsat et Numericable pour le second, sont éloquents.

Des tensions accrues avec les diffuseurs

Le maintien de la reprise des chaînes (vitrine linéaire) dans les bouquets et la défense des reversements des opérateurs passent donc par le développement de nouveaux services hybrides innovants. C’est particulièrement vrai dans le cas des opérateurs Câble et Satellite plus exigeants en raison de la nécessité de se différencier des FAI et de leurs bouquets en premier niveau payant.

Mais, si les éditeurs partagent le souhait des opérateurs de développer les usages délinéarisés sur les chaines payantes, ils sont de nouveau contraints et ne disposent pas de tous les atouts pour construire leurs nouveaux services. Outre les coûts liés aux frais techniques (encodage, stockage…) démultipliés faute de standard entre les plates-formes de télévision payante, le principal obstacle reste celui de la maitrise des droits.

La télévision de rattrapage, qui apparaît comme le principal outil de convergence entre l’univers de la télévision payante et celui de la vidéo à la demande illimitée, est intrinsèquement liée à la diffusion linéaire et donc limitée dans le temps à 7 jours et dans les faits à 30 jours maximum grâce au jeu des rediffusions multiples. C’est insuffisant pour constituer un service attractif et les éditeurs doivent donc développer l’achat couplé des droits linéaires (automatiquement associés aux droits de catch-up) avec l’achat de droits non-linéaires. Si le système permet aux chaînes thématiques de disposer d’une profondeur de catalogue plus large, elles se trouvent dans une situation de concurrence de plus en plus marquée avec les services de SVoD sur l’acquisition des droits ce qui provoque mécaniquement une hausse des prix. Les éditeurs doivent donc répercuter ce surcoût auprès des distributeurs soit au moment des négociations globales pour la reprise des chaînes, soit plus rarement de manière ponctuelle avec une « revente » du surcoût SVoD sur un programme particulier.

Pour les éditeurs qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir des droits supplémentaires pour alimenter des services à la demande attractifs, le risque est alors celui d’une dilution au sein de services à la demande édités par les opérateurs eux-mêmes, des portails uniques agrégeant de manière thématique les différents contenus disponibles et permettant de rebondir entre les différents catalogues. La chaîne disparait alors derrière le programme alors que la défense ou l’émergence de marques fortes est essentielle pour la défense du modèle payant.

 

L’Autorité de la concurrence procède à un test de marché pour évaluer la demande de Vivendi et Groupe Canal Plus de réviser les engagements de distribution des chaînes premium au sein des offres du groupe, dans la perspective d’un contrat de distribution exclusive de la chaîne beIN Sports.Lors de la Vague 29 du Médiamat’Thématik, couvrant la période du 29 décembre 2014 au 14 juin 2015, beIN Sports 1 occupait la cinquième place du classement sur « l’ensemble univers » (câble, satellite, ADSL) avec 0,5% de pda, en hausse de 0,1 point par rapport à la vague précédente. La chaîne sportive se classait derrière Disney Channel et TV Breizh (0,7% de pda), Téva (0,6%) et Paris Première (0,5%). beIN Sports n’en restait pas moins la chaîne sportive payante la plus regardée, devançant Canal+ Sport en net recul ainsi qu’Eurosport (0,4% chacune).

 

__________________________________________________________________

[1] Vague 29 couvrant la période du 29 décembre 2014 au 14 juin 2015

[2] Thierry Cammas, président de MTV/Viacom France devant le CSA le 3 décembre 2015

[3] ibidem

[4] CSA, CNC, DGMIC, ACCeS, SNPTV, «Guide des chaînes numériques », Avril 2015, 13e édition

[5] http://www.acces.tv/iso_album/2eme_barometre_acces_.pdf

[6] http://www.acces.tv/iso_album/pour_un_nouveau_regime_des_chaines_thematiques_payantes.pdf

[7] Depuis la vague 29 du Médiamat’Thématik, l’audience des programmes en différé (enregistrement ou via un service de catch-up) est mesuré pour certaines chaînes thématiques (Canal J, Ciné+, Comédie+, les chaînes Disney, June, MCM, Nat Geo Wild et National Geographic Channel, Paris Première, Piwi+, les chaînes Planète+, Syfy, Télétoon+, Téva, Tiji, 13ème Rue et Voyage)

Vous êtes abonnés à l’Insight NPA ? Merci de renseigner vos identifiants pour accéder à l’ensemble de cet article.

Pas encore inscrit à l'Insight NPA ?