L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

Les enjeux du rachat de DreamWorks Animation par Comcast

Le câbloopérateur Comcast a confirmé avoir trouvé un accord pour l’acquisition du studio d’animation DreamWorks pour un montant de près de 4 milliards de dollars. L’opération s’effectue via sa filiale NBCUniversal avec pour objectif d’étoffer son catalogue de contenus et de produits dérivés.

Le contexte

Après plusieurs tentatives infructueuses ces deux dernières années, notamment auprès du fabricant de jouets Hasbro ou de l’opérateur télécom japonais Soft Bank, le studio DreamWorks Animation (DWA) vient enfin de trouver un acquéreur. Né d’une scission en 2004 avec DreamWorks SKG, cofondé dix ans auparavant par le trio Steven Spielberg, David Geffen et Jeffrey Katzenberg (actuel DG du studio et ce jusqu’à la finalisation de l’opération par NBCUniversal), DWA, spécialisé dans la production de films et de séries télévisées, était l’un des rares studios encore indépendant à Hollywood. Une indépendance de plus en plus difficile à assumer, eu égard au succès fluctuant de ses productions depuis quatre ans et à l’intensification de la concurrence avec des studios comme Disney et sa filiale Pixar, Blue Sky (L’Age de Glace, Rio…), Warner Bros. Animation (Happy Feet, La Grande Aventure Lego…) ou encore Illumination Entertainment (Moi, Moche et Méchant, Les Minions…), autre propriété de NBCUniversal. Après plusieurs sorties décevantes et des difficultés répétées à faire émerger de nouvelles licences fortes, DWA s’est vu contraint d’entreprendre une série de restructurations jusqu’à la suppression de 500 postes en janvier 2015. Une période difficile qui a également conduit le studio à réduire le nombre de ses productions annuelles (1 seul long-métrage en 2015 contre 2 à 3 les années précédentes).

DWA BOPour Comcast, géant des réseaux valorisé à près de 150 Mrds $ et dont les derniers résultats trimestriels se sont avérés supérieurs aux attentes[1], il s’agit d’une étape clé de sa phase d’acquisition dans l’univers du divertissement. Quelques mois seulement après avoir mis la main sur trois services OTT (M-Go, Flixster et Rotten Tomatoes) à travers un jeu de filiales (Fandango/NBCUniversal), l’opérateur américain acquiert cette fois un spécialiste de la production de contenus. Une opération payée au prix fort, autour de 3,8 milliards de dollars – soit un montant supérieur de 27% à la capitalisation boursière de DWA au moment de l’annonce – alors même que le studio n’est pas rentable (900 M$ de CA en 2015 pour 360 M$ de pertes sur le cumul des deux dernières années). Reste que ce rachat doit permettre à Comcast de prendre une nouvelle dimension dans le secteur de l’animation et des films familiaux, en étendant son offre de contenus et en multipliant les sources de revenus additionnelles à l’image de son concurrent Disney.

Les enjeux de l’opération

Si la transaction ne devrait être finalisée qu’en fin d’année 2016 – car encore soumise à l’approbation des autorités de la concurrence américaines – elle soulève d’ores et déjà de nombreuses interrogations outre-Atlantique. Pour le moment, Comcast s’est refusé à tout commentaire concernant la mise en place de futures synergies. Il ne fait toutefois aucun doute que le groupe profitera de ce rachat pour réorganiser une partie de ses activités dans l’univers de l’Entertainment.

  • Monétiser les licences phares de DreamWorks Animation

S’il est vrai que DreamWorks Animation n’est pas toujours parvenu à imposer ses productions comme de véritables franchises mondiales, il n’en reste pas moins que le studio bénéficie d’un catalogue au potentiel commercial important avec la présence de best-sellers tels que Shrek, Kung Fu Panda, Madagascar ou encore Dragons (3e opus prévu pour 2018). Autant de licences qui viendront enrichir l’offre de contenus de Comcast à destination des enfants et de leurs parents. Des licences qui devraient générer de nombreux produits dérivés (jeux vidéo, jouets, vêtements…) et être largement exploitées dans les parcs à thèmes détenus par NBCUniversal (4 parcs à Los Angeles, Orlando, Osaka et Singapour ainsi que deux projets à Dubaï et en Corée du Sud) et dans lesquels le groupe a massivement investi depuis son rachat par l’opérateur en 2011.

DWA catalogue

  • Rapprocher DreamWorks Animation de son propre studio, Illumination Entertainment

Le rachat de DWA devrait occasionner un rapprochement avec le propre studio d’animation de Comcast, Illumination Entertainment, racheté par NBCUniversal en 2010 à la sortie du premier volet de Moi, Moche et Méchant. L’enjeu est double pour l’opérateur :

  • faire grossir Illumination Entertainment qui, malgré le succès planétaire des deux opus de Moi, Moche et Méchant (543 M$ au Box-Office mondial pour le 1er, 971M$ pour le 2nd) et des Minions (1 159 M$), demeure un studio de taille modeste en comparaison de ses concurrents directs,
  • réduire les coûts de production des œuvres de DWA, dont le budget s’élève à 145 M$ en moyenne au cours des dix dernières années, en s’inspirant des méthodes de la filiale de Comcast qui délocalise une partie de son animation vers des pays à moindres coûts et produit des longs-métrages pour un budget moyen deux fois moins élevé (70 M$ en moyenne par film).

Le rapprochement des deux studios donnerait alors naissance à un nouveau poids lourd de l’animation, rivalisant directement avec le leader du secteur Disney et sa filiale Pixar comme en témoignent les recettes cumulées des studios au Box-Office mondial ces six dernières années.

Performances des productions DWA/Illumination vs Disney/Pixar au Box-Office mondial entre 2010 et 2015

DWA vs TWDCSource : Deadline

  • Conquérir le marché chinois

Cette opération doit en outre permettre à Comcast et à Illumination Entertainment de s’attaquer au très prometteur mais non moins complexe marché chinois. Jeffrey Katzenberg y a en effet développé une coentreprise en 2012 en partenariat avec deux sociétés d’investissement locales[2], Oriental DreamWorks, qui a lancé sa première coproduction début 2016 (Kung Fu Panda 3). Un pari gagnant puisque le dernier volet en date de la saga y a rencontré un succès sans précédent, devenant le premier film d’animation chinois à amasser plus de 150 M$ au Box-Office national. Une stratégie de coproduction qui commence à porter ses fruits donc et permettra à DWA et à son nouveau propriétaire de s’affranchir du système de quotas chinois qui limite le nombre de productions étrangères autorisées à être diffusées sur le territoire.

  • Alimenter les services OTT du groupe en contenus originaux

L’un des principaux enjeux pour l’opérateur sera d’accroître son offre de contenus originaux face à la concurrence croissante des acteurs OTT tels que Netflix, Amazon Prime ou encore Hulu. Les nouvelles productions de DWA pourraient dorénavant nourrir certaines des offres de vidéo à la demande détenues par le géant du câble (Streampix            , Xfinity on Demand, M-Go). Un problème de taille se posera toutefois pour Comcast qui va devoir composer avec l’accord pluriannuel passé entre DWA et Netflix en 2011 (entré en vigueur mi-2013) pour la reprise des longs-métrages du studio sur le service de SVoD et la création de séries d’animation originales tirées de l’univers de DWA. Un accord lucratif conclu à l’époque pour contrer le caractère fluctuant des performances des productions de DreamWorks Animation dans les salles obscures et qui va de facto limiter l’exploitation de son catalogue sur le réseau de plates-formes vidéo de Comcast. Le câbloopérateur devra alors décider s’il prend le risque ou non de sortir dudit contrat et de se passer d’une manne financière conséquente, le leader mondial du streaming étant devenu avec le temps le premier distributeur des productions de DWA (Netflix représentait un tiers du CA de DWA en 2015, soit 300 M$ contre 100 M$ un an auparavant).

  • Poursuivre la stratégie de diversification dans les nouveaux médias

Enfin, cette acquisition revêt un intérêt particulier pour Comcast dans la mesure où DWA contrôle 51% du capital d’AwesomenessTV, l’un des MCN les plus influents sur YouTube et en dehors, devenu au fil du temps un producteur de contenus à part entière pour le monde de l’audiovisuel (Nickelodeon, Netflix, Hulu…). Avec AwesomenessTV, Comcast fait une entrée remarquée dans l’univers des programmes courts à destination du jeune public. L’opérateur répond à son rival Disney qui avait de son côté acquis Maker Studio, autre MCN de premier plan, pour 500 M$ en mars 2014. Si rien n’a été dévoilé pour le moment, ce mouvement laisse présager de possibles rapprochements entre AwesomenessTV et les services OTT du câbloopérateur voire avec NBCUniversal et son réseau de chaines TV pour une adaptation des productions du MCN aux formats télévisés.

[1] Comcast reports 1st quarter 2016 results : les revenus du groupe se sont élevés à 18,790 Mrds de $ au 1er trimestre 2016 pour un bénéfice net de 2,134 Mrds $

[2] http://deadline.com/2012/02/its-official-dreamworks-animation-unveils-china-joint-venture-232568/

Vous êtes abonnés à l’Insight NPA ? Merci de renseigner vos identifiants pour accéder à l’ensemble de cet article.

Pas encore inscrit à l'Insight NPA ?