L'édito de Philippe Bailly

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Canal+ de 2006 à 2016 : de TPS à Orange et peut être Free

Vincent Bolloré avait-il prévu un gâteau et des bougies ? Canal+ a fêté en tout cas le 30 août le dixième anniversaire de l’autorisation du rachat de TPS, délivrée par le ministre de l’Economie après avis du Conseil de la Concurrence.

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Un coup d’œil à la décennie écoulée est éclairant sur les constantes, tout autant que sur les bouleversement qu’a connu l’industrie des médias, sur les problématiques auxquelles Canal+ est confronté aujourd’hui… et finalement sur le rôle essentiel que les autorités de la concurrence devraient à nouveau être conduits à jouer au cours des prochains mois.

S’agissant des constantes, d’abord, il y a bien sur la volonté de Canal+ de limiter la concurrence dans la course aux droits. Fin 2004, Canal+ avait remporté l’intégralité des droits de la Ligue 1, contre TPS, pour un montant – record à l’époque – de 600 M€ par an, préparant ainsi le terrain pour le rachat ultérieur et supprimant un enchérisseur potentiel pour les appels d’offres ultérieurs.

Du côté de la permanence, il y a aussi la nécessité d’élargir la base d’abonnés pour mieux amortir les coûts fixes que doit supporter le groupe, pour l’édition des chaînes propriétaires et le paiement de redevances aux éditeurs tiers notamment. Et l’urgence est d’autant plus forte aujourd’hui que des données de l’IDATE reprises au cours de l’été par le CSA, indiquaient une chute de presque 30% des abonnés français à une offre de télévision payante par satellite (CanalSat presqu’exclusivement) entre 2011 et 2015 (4,17 M en 2011 et 2,93 M en 2015).

Ceci explique le premier tournant dans la stratégie du groupe, dont témoigne l’accord annoncé au mois de juillet autour des abonnés fibre d’Orange et qui pourrait, d’après Les Echos, trouver son prolongement avec Free : la distribution du bouquet agrégés par CanalSat dans le cadre de ce deal en wholesale (avec partage de la « propriété » des abonnés entre CanalSat et le FAI partenaire) plutôt que dans le modèle traditionnel d’autodistribution (avec contrôle total par CanalSat).

Parcourir la chronologie de 2006 permet de faire venir à l’esprit les autres bouleversements que Canal+ a eu à gérer dans son environnement : création de Twitter en mars et rachat de YouTube par Google, en octobre, pour la montée en puissance des réseaux sociaux, et leur ambition croissante autour de la vidéo ; lancement de la plateforme de téléchargement de film d’Amazon, et arrivée en France prévue en fin d’année de son service de SVoD, dans la suite des CanalPlay, Netflix et autres Zive ; rapprochement d’AOL France et de Neuf Cegetel, deux « briques » de l’actuelle SFR et de son volontarisme dans le développement ou l’intégration d’offre de contenus ; lancement de la PS3, qui sera l’un des premiers chevaux de Troie de la distribution OTT…

La course vers les contenus constitue le point commun à tous ces acteurs, qui représentent pour Canal+ autant de nouveaux concurrents : achat de la Premier League par SFR, mais aussi présence croissante des réseaux sociaux dans les grands appels d’offre de droits sportifs, aux Etats-Unis au moins pour l’heure ; séries de plus en plus recherchées, dont Netflix ou Amazon s’efforcent de contrôler l’exploitation au niveau mondial ; films de cinéma qui constituent l’un des carburants essentiels des chaînes de la TNT… Si l’on ajoute les passerelles de plus en plus fréquentes entre les différents modes de diffusion, de la télévision linéaire à la SVoD en passant par la catch up, la VoD ou l’EST, on comprend la volonté de l’Autorité de la Concurrence de réexaminer les contours des « marchés pertinents » qui servent de base à ses décisions, avant de se prononcer sur le réexamen des limites fixées à Canal+ en 2012.

« Le paysage concurrentiel a-t-il été modifié avec l’arrivée de Netflix et la concentration Numericable-SFR ? Les modes de consommation ont-ils évolué (visionnage des contenus sur Internet) ? Y a-t-il de nouveaux contenus premium (séries, rugby) ? Les modèles de financement du cinéma et du sport français ne méritent-ils pas d’être revus ? » Interrogé par Le Monde le 6 juillet, Bruno Lasserre donnait un avant-goût de la réflexion engagée par l’institution qu’il préside. Y répondre va exiger des acteurs du secteur de roboratifs travaux de rentrée : à la vingtaine de questions de la Consultation publiée le 21 juillet sur son site Internet, l’Autorité a ajouté pendant l’été deux questionnaires qu’elle leur a directement adressés et qui en totalisent près de 150 supplémentaires, avec le 30septembre comme date de rendu pour tous ces documents.

La rentrée est bien là. A vos crayons !