L'édito de Philippe Bailly

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La voiture autonome projette l’automobile vers une industrie du service

La connectivité, associée à la généralisation des capteurs, à l’analyse des données en temps réel grâce au Cloud et à la poursuite des innovations technologiques sont en train de redéfinir complètement l’industrie automobile ainsi que les chaînes de valeur existantes. Après une première phase marquée par une forme de dénie ou de circonspection autour du projet pionnier « Google Cars » (2010), l’autonomie est redevenue l’une des principales pistes de travail de l’industrie. Les prototypes se multiplient tant du côté des nouveaux entrants que chez les principaux constructeurs qui réalisent des investissements massifs en R&D. Si d’un point de vue technologique, l’automobile traditionnelle semble en mesure de reprendre la main, la marche vers une autonomie complète des véhicules apparaît comme un nouveau paradigme pouvant remodeler en profondeur l’économie des transports.

• La transition vers des véhicules autonomes est désormais amorcée

Si le concept de voiture sans chauffeur est né logiquement au sein de l’industrie automobile, et ce dès la fin des années 70, les constructeurs s’en sont ensuite éloignés au début du XXIème siècle permettant aux sociétés du secteur des nouvelles technologies de se positionner sur ce segment. Google a investi avec fracas depuis 2010 le concept de la voiture totalement autonome avec son projet « Google Cars ». Le projet est déjà très avancé puisqu’en six ans d’existence, près de 70 Google Cars ont parcouru 2,7 millions de kilomètres sur les routes américaines, dont 1,6 million en mode 100 % autonome.

Derrière Google, les constructeurs automobiles ont rapidement réinvesti le segment de l’autonomie en développant leurs propres solutions. PSA possède déjà une flotte de prototypes de Citroën Picasso C4 autopilotées dont l’une a réussi à relier Bordeaux depuis Paris (600 Kms) sans aucune intervention humaine. Volvo, désormais détenu par le chinois Geely poursuit l’amélioration de son système IntelliSafe AutoPilot dans le cadre du projet Drive Me de tests à grande échelle en partenariat avec les pouvoirs publics suédois. Nissan a ouvert un centre de recherche dédié à la voiture autonome dans la Silicon Valley, à Sunnyvale dès 2013. Et le PDG Carlos Ghosn s’est personnellement engagé « à être prêt à introduire une nouvelle technologie révolutionnaire, la Conduite Autonome, en 2020 ». Les constructeurs allemands BMW, Daimler, Audi et Volkswagen se sont regroupés pour racheter à Nokia le système de cartographie Here leur permettant ainsi de ne pas dépendre de Google Maps pour poursuivre leurs recherches. Audi (modèle A7), BMW (Series 2), Toyota, Renault, General Motors, Mercedes-Benz sont également engagés à des degrés divers dans la course à l’autonomie, tout comme les grands équipementiers Valeo, Continental ou Bosch.

Pourtant l’automatisation complète reste encore lointaine laissant encore du temps aux différents acteurs pour se repositionner. Si les premiers modèles devraient arriver dès 2017 (Google Cars, Volvo), le cabinet Accenture estime ainsi que dans 25 ans, pas plus de 40% des automobiles en circulation seront autonomes. La transition se réalisera par étapes avec dès aujourd’hui une assistance à la conduite poussée, puis le déploiement progressif de dispositifs de conduite automatique très précis (autonomie de conduite en embouteillage, gestion autonome des obstacles, stationnement autonome…). Car outre la levée d’obstacles législatifs et comportementaux importants, l’autonomisation complète nécessite au préalable la réalisation d’une voiture totalement et réellement connectée. Autrement dit un véhicule qui ne sera pas seulement connecté à Internet mais en deviendra partie prenante avec un échange en temps réel de données de circulation avec les infrastructures et les autres véhicules, et une analyse des données de navigation puis leur croisement avec d’autres bases de données en ligne permettant une conduite prédictive.

L’enjeu dès lors n’est pas tant de savoir qui construira la première voiture autonome mise sur le marché ou la plus efficace, mais qui des constructeurs traditionnels ou des nouveaux acteurs du logiciel pourront profiter du nouveau paradigme posé par l’autonomie : la transition d’un modèle basé sur la propriété individuel du véhicule vers un modèle qui pense le transport individuel comme un service.

• L’autopartage représente le premier usage de la voiture autonome

De fait, l’autonomie des véhicules n’est qu’un des aspects d’une transformation plus vaste en train d’inventer le transport individuel du futur, un avenir dans lequel le logiciel jouera un rôle croissant. D’abord l’électrification croissante des véhicules semble devoir s’imposer pour répondre à la rareté programmée des énergies fossiles et au changement climatique. Or l’électrification permet d’accélérer le déplacement du centre de gravité de la mécanique vers l’ingénierie dans la conception des véhicules, renforçant ainsi le rôle des entreprises du logiciel qui sont également celles qui travaillent sur l’autonomie. De même, les véhicules électriques ont des coûts marginaux plus faibles et apparaissent donc comme complémentaires des services d’autopartage ou plus globalement de mobilité partagée et de transport collaboratif. Les véhicules autonomes permettent également à ces services d’autopartage d’économiser sur le poste de dépenses le plus important, celui du conducteur. Et inversement, si la conception d’un véhicule autonome nécessite une expertise technologique dans l’intelligence artificielle embarquée mais aussi dans le Big Data et la gestion de plates-formes cloud, son efficacité dépend principalement de l’analyse et du traitement d’une grande masse de données que les services d’autopartage peuvent récolter de manière plus efficace que de simples tests en situation. Ainsi, si les différentes tendances sont indépendantes les unes des autres, il y a donc une convergence d’intérêts pour les acteurs du logiciel qui expliquent, de Tesla à Uber ou Lyft en passant bien sûr par Google leur développement rapide autour de ces trois axes.

Il est donc logique que les constructeurs, outre leurs investissements sur l’autonomie, cherchent également à se repositionner sur l’autopartage et les nouveaux usages afin de préparer la transition d’un marché industriel vers un marché de services. Du côté des constructeurs, deux positionnements principaux se dégagent, liés en partie à des situations de marché différentes. En France, l’importance prise par le Groupe Bolloré sur l’autopartage via Blue Solutions (Autolib’ à Paris depuis 2012, Bluely sur le Grand Lyon, Bluecub sur la Communauté urbaine de Bordeaux) pousse les constructeurs à collaborer directement en intégrant leur « matière première » (l’automobile) dans une solution complètement intégrée (batteries, véhicules, bornes, système d’information, assistance) qu’ils ne gèrent pas directement. Les véhicules électriques de Renault sont ainsi intégrés dans les réseaux Blue Solutions et les deux groupes collaborent étroitement via un partenariat industriel (assemblage des Bluecar dans l’usine Renault de Dieppe, conception d’un nouveau véhicule trois places). PSA Peugeot Citroën vient de conclure un accord très proche pour fabriquer des voitures Bolloré électriques dans son usine de Rennes. Mais surtout, dans les deux cas, Renault et PSA seront associés à Bolloré dans des co-entreprises pour répondre à des appels d’offres et vendre des solutions d’autopartage en France et en Europe. Le poids du partenaire et son développement international (BluePointLondon à Londres, BlueIndy à Indianapolis aux Etats-Unis, un AO en cours à Singapour et à terme, l’empreinte de Bolloré en Afrique) sont un gage de visibilité pour les marques constructeurs et permettent de bénéficier d’un apprentissage accéléré sur les métiers de service.

Car ailleurs dans le monde, les constructeurs se positionnent de manière plus directe sur l’autopartage en développant leurs propres plates-formes. Citroën par exemple propose Multicity Berlin en Allemagne depuis l’été 2012. Une flotte de 300 véhicules électriques (Citroën C-Zéro) est déployée dans les rues de la capitale. La location est très flexible (facturation à la minute) et Citroën gère le parc en permanence rendant inutile de se garer dans une station spécifique. Parmi les autres initiatives, les constructeurs allemands ont été les plus précoces. BMW a développé son offre DriveNow en partenariat avec le loueur allemand Sixt dans 8 villes : Munich, Berlin, Düsseldorf, Cologne, Hambourg, Vienne, Londres et San Francisco. Il s’agit d’autopartage mais en « free floating », sans stations prédéfinies pour garer le véhicule emprunté. L’autre particularité du service est de proposer uniquement des véhicules BMW et Mini. BMW vise 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2020. BMW suit ainsi la piste tracée par le pionnier Daimler qui, avec Car2Go (dès 2008) se revendique comme la plus grande entreprise mondiale d’autopartage sans stations grâce à 1 million de clients dans 30 villes d’Europe (dont une expérience ratée à Lyon) et d’Amérique du Nord et des projets en Chine. Car2Go propose les véhicules Smart Fortwo du constructeur. Enfin, même si la liste n’est pas exhaustive, Ford Go!Drive est un autre exemple intéressant car, déployé à Londres, il se trouve en concurrence directe avec DriveNow de BMW. L’initiative est née du programme pilote « City Driving On-Demand », une des branches du plan global « Smart Mobility » qui doit permettre au constructeur de se développer sur le déplacement intermodal. Go!Drive représente à Londres une flotte d’une cinquantaine de Ford Focus électriques et de Fiesta EcoBoost.

• Un nouveau modèle favorable aux premiers entrants

Trois grands types d’acteurs, qui peuvent par ailleurs collaborer sous des formes diverses sont donc engagés dans cette nouvelle compétition globale pour réinventer l’automobile comme un service. Les constructeurs historiques, les entreprises technologiques, les nouveaux géants de la mobilité 2.0. Si la compétition reste largement ouverte, des lignes de force se dessinent prenant en compte les avantages ou inconvénients des modèles d’affaires existants.

Uber domine aujourd’hui le marché de la voiture partagée et se positionne comme un concurrent direct de Google dans la course à l’autonomisation des véhicules. Le service a recruté des centaines de spécialistes de niveau mondial dont Chris Urmson ancien directeur du projet Google Cars. Des efforts qui se matérialisent aujourd’hui par le lancement du premier service d’autopartage reposant sur des voitures autonomes à Pittsburgh aux Etats-Unis. Une flotte Uber qui se compose de modèles Volvo XC90 spécialement modifiés est d’ores et déjà en service, même s’il reste une supervision humaine avec la présence d’un conducteur sur le siège passager. Volvo Cars doit livrer un total de 100 véhicules d’ici la fin de l’année. Et les deux entreprises ont signé un partenariat d’envergure de 300 millions $ pour développer conjointement une voiture entièrement autonome qui devrait être prête en 2021. Uber de même que ses concurrents directs (Lyft, soutenu par GM ou Didi en Chine dans lequel Apple vient d’investir 1 milliard $) possèdent des atouts décisifs. D’abord l’avantage d’une large base de clients. L’autonomie prend donc tout son sens dans un modèle d’affaires déjà existant.

Cette préexistence du service au déploiement d’une flotte totalement autonome lui permet de générer des masses de données considérables qui sont utilisées pour enrichir et parfaire le logiciel d’intelligence artificielle nécessaire pour guider les futurs véhicules. Uber a ainsi pu créer sur Pittsburgh des cartes extrêmement détaillées recensant les différents nids de poule, bouches d’incendie, feux de circulation, arbres ou tout autre élément de l’environnement. A chaque déplacement d’un véhicule Uber, les données sont recueillies et analysés pour les comparer avec les cartes préexistantes. Il s’agit bien sûr d’un avantage considérable par rapport à l’ensemble des autres acteurs limités dans la récolte des données et donc dans l’apprentissage de leurs véhicules autonomes et la mise à jour des cartes utilisées. Google tente de rattraper ce retard en positionnant son logiciel dans des véhicules Fiat Chrysler (l’accord porte sur 100 véhicules seulement) ou en développant son service Waze, application de trafic et de navigation communautaire lui permettant une mise à jour en temps réel des données routières.

Dès lors, si Google endosse pour l’instant un vrai leadership sur les briques technologiques de la voiture autonome, Uber possède ses propres avantages sur la cartographie et l’existence d’une clientèle solide et d’un modèle d’affaires.

Face à ces deux modèles, si les constructeurs traditionnels développent à leur tour les briques logicielles nécessaires à l’autonomisation des véhicules, ils devront faire la preuve de leur efficacité supérieure à celles de leurs concurrents. D’autant que l’impact combiné de la voiture autonome et d’une nouvelle économie de service pour l’automobile redessine en profondeur le métier des industriels. Les constructeurs doivent non seulement s’adapter à la nouvelle concurrence des acteurs du logiciel mais également redéfinir leur modèle économique. De fait, dans le nouveau paradigme du transport individuel, le coût réduit des véhicules, leur durée de vie ou la simplicité des réparations sont des facteurs essentiels à l’opposé de la stratégie d’un constructeur pour qui l’obsolescence est vitale pour vendre plus de nouveaux véhicules et qui tire une part non négligeable de ses revenus du marché des pièces de rechange.

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