L'édito de Philippe Bailly

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L’évolution de la mobilité va transformer le métier d’assureur

L’émergence des voitures connectées et autonomes amènent à repenser le segment de l’assurance automobile. Alors que la majorité des accidents sont dus à une erreur humaine (90% selon KPMG), la place de l’assureur dans le futur paysage de la mobilité (voiture connectée, semi-autonome, autonome) est à réinventer. Ce secteur d’activité qui a subi jusque-là des innovations incrémentales se retrouve désormais confrontés à des innovations de ruptures et va devoir proposer de nouvelles offres adaptées. Quelques modèles économiques se dessinent déjà.

  • Les assureurs doivent anticiper les évolutions technologiques

Protégé jusqu’alors par une législation assez rigide, des produits complexes et des réseaux de distribution bien implantés, les barrières à l’entrée jusqu’alors importantes ont tendance à tomber les unes après les autres au fur et à mesure des innovations technologiques et du poids grandissant des acteurs de la tech sur ce marché. L’assureur doit donc être proactif s’il souhaite conserver sa place sur la chaîne de valeur de l’assurance.

  • Les offres pour voitures connectées (niveau 1) existent déjà : 

Lorsque l’on parle de voiture connectées, semi-autonomes voire autonomes, il s’agit pour l’assureur de choses différentes en termes d’offre qu’on peut décomposer en 3 niveaux. Les voitures dites connectées permettent aujourd’hui de relever différentes informations grâce aux boitiers embarqués. Intégrés aux offres d’assurance depuis quelques années outre-Atlantique[1], il a fallu attendre 2014/2015 en France pour avoir les premières offres avec YouDrive de Direct Assurance (filiale d’Axa) et Conduite connectée d’Allianz. Le premier assureur européen a lancé son offre en France en octobre 2015. Elle permet aux bons conducteurs d’obtenir une réduction de leurs primes d’assurance grâce aux technologies de télématique embarquée. L’essor des objets connectés intéresse particulièrement les compagnies d’assurance qui voient une opportunité de réduire l’asymétrie d’information et donc de faire évoluer leurs modèles économiques. Le risque jusqu’alors mutualisé, pourra désormais être mieux analysé pour proposer des offres à la carte. En proposant aux assurés de piloter leur prime d’assurance Allianz mise sur deux facteurs : la majorité des conducteurs estiment payer trop cher et 70% des Français interrogés se disent prêts à équiper leur véhicule d’un capteur afin d’obtenir un meilleur tarif selon PWC. Une étude de BCG et Morgan Stanley prédit une chute de 15 à 25% du volume de risques assurables notamment sous l’effet d’une conduite plus prudente induite par la voiture connectée.

 Sur ce marché, les assurances se sont associés à des sociétés spécialisées comme TomTom pour Allianz[2], ou Octo Telematics qui proposent ses services à plus de 60 assureurs et qui permet grâce à ses boitiers branchés sur la prise ODB de plus de 4 millions de voitures dans le monde depuis une décennie d’avertir en temps réel les compagnies d’assurance (Axa UK et LV, derniers en date) du moindre accident, risque de blessure du conducteur, du lieu, de l’état de la voiture et du coût estimé de réparation. Autre initiative similaire en France avec la start-up Française « Drust » qui vient de lever 3M€ pour accélérer le développement de son boitier baptisé « Akolyt » capable d’interpréter et de restituer sous une forme intelligible les caractéristiques du moteur d’une voiture. Ce dispositif développé par 3 anciens ingénieurs de PSA Peugeot-Citroën permet d’accéder à une maîtrise objective de la conduite d’un véhicule avec des conseils en temps réel sur le mode de conduite, la gestion de la maintenance, et bien sûr un diagnostic en cas de dysfonctionnement. Selon Drust, les économies de carburant peuvent aller jusqu’à 30%. Parallèlement Drust a signé un contrat de partenariat avec l’assureur Macif (leader de l’assurance auto en France) avec comme objectif commun de développer des solutions d’aide à la conduite, avec à terme la mise en place de services liés aux contrats d’assurance (dépannage, géolocalisation, analyse de l’usure de la voiture…) tout en veillant au respect des données de la vie privée des conducteurs. Avec cette tarification « à la carte », les assureurs remettent en cause le principe de mutualisation où tous les assurés paient la même cotisation de base quelle que soit leur exposition au risque. Même si les premières offres permettent simplement d’offrir des remises et ne pénalisent pas pour l’instant, le conducteur (le conducteur ne peux pas payer plus cher en cas de mauvaise conduite[3]), le risque semble réel.

En résumé ces systèmes permettent d’évaluer le niveau de conduite et d’effectuer des remises sur la prime d’assurance en conséquence. Ces offres dites « Pay-as-u-drive » ou son évolution « Pay-How-You-Drive » sont pour l’instant expérimentales et ne font qu’introduire des futurs offres d’assurance plus personnalisée.

  •  Les offres pour voitures semi-autonomes (niveau 2) font leur apparition : 

L’étape suivante pour les assureurs a été de réfléchir aux prochains dispositifs d’assurance pour voiture semi-autonomes qui les amènent à réviser entre autres le niveau de sinistralité. Le rôle des assureurs et des actuaires s’est en effet complexifié pour plusieurs raisons :

  • Les voitures autonomes devraient réduire drastiquement le nombre d’accidents (90% des accidents sont causés par une erreur humaine) et Swiss Re et Here estiment une chute de 80% des accidents de la route à horizon 2035
  • La question de la responsabilité en cas d’accident est toujours en suspens (concepteur logiciel, conducteur, constructeur, acheteur véhicule)
  • L’assureur doit s’adapter à l’évolution du type d’offre de mobilité qui tend à se transformer en industrie de service[4] (location, autopartage, propriété, etc.…)
  • Le volume de données très important générées par les véhicules impose aux assureurs de se positionner très tôt sur l’exploitation des données collectées afin de ne pas être désintermédié par les constructeurs.

Sur ce type de produit, les assureurs commencent à se positionner en proposant des offres qui peuvent réduire significativement le montant de la prime d’assurance. Les exemples les plus récents sont ceux de l’assureur allemand (et premier assureur européen) Allianz, d’Adrian Flux (UK) ou encore d’Axa Hong Kong ou QBE en Australie en partenariat avec Tesla[5] pour sa flotte de véhicules semi-autonomes.

– Allianz en France

 Allianz France a décidé de récompenser ses clients conducteurs en leur proposant une offre tarifaire privilégiée (jusqu’à -25%) si leur véhicule intègre l’une des technologies suivantes : système de freinage d’urgence autonome, stationnement autonome (avec gestion de l’accélération et freinage par le véhicule) et régulateur de vitesse adaptatif avec fonction automatisée de freinage. Le marché des voitures équipées d’une de ces trois options représenterait 3 à 4% des véhicules neufs vendus en France, selon une estimation d’Allianz.  Ces offres sont soigneusement étudiées et comme Allianz l’a rappelé lors de la présentation de l’offre, la proportion d’accidents se produisant à petite vitesse en centre-ville est très importante et les systèmes de freinage d’urgence à moins de 50 km/h peuvent permettre d’éviter ces sinistres ou d’atténuer leur gravité. Sans tenir compte des coûts de réparation qui vont augmenter du fait de toute la technologie embarquée, le freinage d’urgence peut par exemple, entraîner une baisse de la sinistralité de l’ordre de 30 % à 80 %.

11– Axa à Hong Kong et QBE en Australie, porteurs de risque pour Tesla

Le constructeur d’automobiles électriques et en partie autonomes Tesla s’est associé à plusieurs assureurs avec qui il négocie des conditions sur-mesure. En aucun cas l’entreprise californienne ne porte le risque. Le contrat prévoit :

  • La réparation de la voiture, ou son remplacement en cas de vol ou d’impossibilité de réparation, par un modèle et une série identique si l’incident se produit dans les trois ans suivant la première immatriculation
  • L’assurance du connecteur mural en cas de dommages
  • Le libre choix du réparateur agréé
  • Le prêt du véhicule à tout conducteur

On compte parmi les partenaires AXA General Assurance qui couvre les clients qui le souhaitent à Hong Kong, et QBE en Australie. En proposant ses propres assurances, Tesla veut non seulement faire baisser le prix pour ses clients grâce à des offres de gros négociées avec ses partenaires, mais aussi régler des difficultés liées à son modèle technologique et économique.  Tesla n’est pas assuré contre les accidents dont son mode Autopilot serait responsable, ce qui peut poser problème aux conducteurs et assurances qui voudraient de se retourner contre le constructeur. Des questions restent en suspens sur cette offre d’assurance, et Tesla est en train de peaufiner son produit avant de le déployer au niveau mondial.

– Adrian Flux (UK)

L’assureur britannique réfléchit aux scénarios auxquels pourront être confrontés les propriétaires de véhicules autonomes et leur offre de quoi se prémunir des dommages qui en découlent. Parmi les risques envisageables : des dommages physiques ou matériels peuvent par exemple résulter de l’utilisation du système d’aide au stationnement. Il faut également protéger les ordinateurs de bord de potentiels failles avec des pare feux et antivirus. Les clients seront également couverts en cas de soucis résultant d’une difficulté à reprendre le contrôle du véhicule.

  • Vers des assurances dédiées aux voitures totalement autonomes (niveau 3) : 

Au stade suivant de l’autonomie, complète ou quasi complète, l’impact sur le marché de l’assurance auto pourrait être particulièrement brutal. Plusieurs études montrent que 30% des véhicules produits en 2035 seront autonomes et même si l’évolution sera graduelle, il est indispensable pour les assureurs de trouver les bons ajustements afin de ne pas être désintermédiés. Les assureurs doivent analyser les risques encourus pour savoir quel rôle ils joueront, tout en sachant qu’ils seront également tributaires de la législation, notamment sur la question de la responsabilité. Car si aujourd’hui, l’assureur couvre le couple conducteur et automobile, ce modèle est sans-doute amené à évoluer. Par définition, toute personne entrant dans un véhicule autonome est un passager, c’est le logiciel qui pilote. Ainsi, le paradigme change et la responsabilité n’est plus portée par le conducteur, mais par le constructeur du logiciel. Sur cette notion importante de responsabilité[6], des constructeurs se sont déjà positionnés, comme Volvo, Mercedes et Google qui ont par exemple décidé d’assurer eux-mêmes leurs véhicules autonomes. François Nedey[7], Directeur Technique Assurances Biens et Responsabilités chez Allianz France estime que pour l’instant, le conducteur reste le responsable, qu’il utilise ou non un système d’aide à la conduite. Il est cependant plus difficile de se projeter et d’imaginer un monde où les les routes seront remplies de voitures sans pilotes.  Selon lui, on devrait arriver à un système de “responsabilité sans faute” où le “conducteur” sera responsable de plein droit en cas d’accident, et en parallèle à une multiplication des recours contre les constructeurs automobiles.

 Cependant, ces véhicules autonomes apporteront de nouveaux risques qu’il faudra couvrir avec de nouveaux produits d’assurance, notamment liés aux problèmes de cyber-attaque[8]. Les assureurs tiendront compte également des nouvelles formes de mobilité (location, partage de voiture autonome, etc.). De plus, les enjeux à venir donnent de plus en plus de poids à la technologie et à la maitrise des données et il n’est pas impossible que les constructeurs ou que les géants de la tech prennent une part importante du marché et proposent leurs propres produits dans les années à venir. Parmi les scénarios étudiés figure celui dans lequel l’assureur perdrait la relation client sur l’assurance automobile, au profit du constructeur qui pourrait vendre lui-même la police dans le contrat de vente du véhicule. Le constructeur serait alors le collecteur des données essentielles à la tarification, et l’assureur deviendrait un simple sous-traitant (le porteur de risque).

 [1] Première expérience aux États-Unis en 2011 par la compagnie américaine Progressive. Selon une étude de Roland Berger sur l’impact de l’IoT sur l’assurance, c’est au Royaume-Uni et en Italie qu’on trouverait le plus d’offres « Pay how you drive » proposées par les assurances en avril 2015. La France arrive en 5ème position

[2] Se référer au Flash 771 « Alliance lance son produit d’assurance pour voiture connectée »

[3] Cf. article « La voiture connectée: protection des données personnelles »

[4] Cf. article « La voiture autonome projette l’automobile vers une industrie du service »

[5] Tesla commence à proposer ses propres assurances auto : http://www.numerama.com/business/192080-tesla-commence-a-proposer-ses-propres-assurances-auto.html

[6] Cf. article « La voiture connectée: les régimes de responsabilité civile applicables »

[7] L’accident de Google Car interpelle les assureurs : http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2016/03/02/l-accident-de-google-car-interpelle-les-assureurs_4874998_3234.html?xtmc=google_car&xtcr=3

[8] Une Tesla piratée à distance par des hackers chinois : http://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0211312545940-une-tesla-piratee-a-distance-par-des-hackers-chinois-2029035.php