L'édito de Philippe Bailly

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L’échec de la diversification média de GoPro

Véritables icônes de l’ère YouTube, les caméras GoPro ont permis à leur constructeur de se rêver en empire des médias alliant réseaux de chaînes digitales et production originale. Pourtant face à une concurrence accrue et l’échec de ses nouveaux modèle, l’aura de GoPro a décliné au point que le groupe vient d’annoncer sèchement la disparition de sa branche Entertainment et la fin de ses ambitions de diversification.

GoPro, la fin d’une success story de l’ère YouTube

GORPO-LOGO-FONTLe groupe GoPro vient d’annoncer à la fois une importante réduction d’effectif et le départ de son PDG confirmant ainsi publiquement ses graves difficultés financières. GoPro va ainsi réduire ses effectifs de 15% (environ 200 personnes) et fermer deux de ses sites afin de renouer avec la rentabilité dans un contexte très défavorable à l’entreprise. Cette annonce a été accélérée par la dernière mésaventure du groupe qui a dû rappeler début novembre ses drones Karma, lancés depuis seulement quelques semaines. Ce rappel est particulièrement dommageable pour le groupe puisque le lancement du drone constituait le principal axe de diversification dans le domaine du matériel. Cet échec a fait plonger le titre de GoPro, confronté une nouvelle fois à sa principale faiblesse : une trop grande dépendance à son produit phare  la fameuse caméra d’action GoPro Hero.

 Lancées en 2004, les caméras d’action GoPro Hero ont fait le succès de la marque hero1en l’espace de quelques années seulement et sont devenues l’emblème d’une génération de créateurs de vidéo en ligne. En effet, si le succès auprès du grand public n’a pas été immédiat, les caméras GoPro, grâce à leur solidité, se sont par contre rapidement imposées sur le marché de niche des amateurs de sports extrême. Avec le développement des plates-formes de publication de vidéos en ligne, ces vidéastes amateurs ont trouvé un endroit pour partager leurs vidéos sportives et ainsi permis de donner la meilleure des vitrines aux caméras GoPro. La marque n’avait alors pas de concurrents majeurs et a pu positionner ses caméras très résistantes comme l’outil indispensable des vidéastes sportifs. Les ventes ont décollé au point que GoPro est devenu une des success-story de l’ère YouTube. En 2007 alors que les sports extrêmes rencontrent un engouement populaire sur Internet, GoPro quadruple son chiffre d’affaires et s’installe durablement dans le paysage audiovisuel avec son nouveau modèle la GoPro Digital Hero. La compagnie s’est ensuite employée à lancer un nouveau modèle chaque année en améliorant constamment leur résolution et leur capacité de stockage. A partir de 2010, la marque lance sa gamme de caméras haute définition nommée simplement GoPro HD. A partir de 2013, GoPro propose en outre des modèles haut de gamme 4K pour sa nouvelle GoPro HD 3. C’est l’apogée de la marque et les ventes doublent presque chaque année passant de 1,1 millions de caméras vendues en 2011, à 2,3 millions en 2012, 4 millions en 2013 et enfin 5,2 millions en 2014.

Pourtant, à partir de 2015, la tendance s’inverse et les bénéfices s’effondrent. En effet, après des années de croissance à deux chiffres, les résultats de l’entreprise chutent lourdement au cours de l’année suite au lancement raté de la GoPro Hero 4. Au troisième trimestre le chiffre d’affaire baisse de 17% et au dernier trimestre le revenu des ventes s’effondre même de 31% par rapport à 2014. En 6 mois, le cours de l’action de l’entreprise a chuté de plus de 80%. L’effondrement se poursuit en 2016 puisque le chiffre d’affaires de l’entreprise a baissé de 49,5% au seul premier trimestre. Ces mauvais résultats s’expliquent par un lancement raté de son modèle Hero 4 mais également par une concurrence accrue sur un marché finalement assez réduit. En effet, la Hero 4 Session lancé à l’été 2015 à plus de 400$ n’a pas su trouver son public au point que le groupe a du baissé son prix de 50% 6 mois plus tard. Cet échec est du a un positionnement tarifaire trop haut de gamme d’autant plus problématique que les produits GoPro devaient alors faire face à une forte concurrence de la part de constructeurs comme Sony, LG, Xiaomi ou encore TomTom avec des tarifs plus abordables. En outre, la caméra d’action est également concurrencée par les smartphones désormais capables de filmer en HD et pour certains en 4K. Le marché de destination des GoPro étant de petite taille (10 à 15% de la population selon le groupe) cette concurrence est très problématique pour un groupe mono-produit. De ce fait, si le lancement de la GoPro 5 en octobre a permis au groupe de renouer un peu avec le succès, le report de son lancement sur le marché des drones et de diversification matérielle l’a mis dos au mur.

 La fin du rêve d’un empire médiatique GoPro

Outre une réduction d’effectif, la chute des ventes a entraîné la fin de sa diversification dans les médias et le groupe a annoncé fin novembre la fermeture définitive de sa division Entertainment. La décision a été justifiée par le groupe par la nécessité de supprimer toutes les activités « hors du cœur de métier de l’entreprise et ne rapportant pas d’argent ». La disparition totale de la branche médias permet à GoPro de réduire drastiquement ces effectifs en épargnant relativement ses divisions historiques. Néanmoins, si cette fermeture semble logique, elle n’en reste pas moins surprenante puisque les médias étaient encore présentés jusqu’il y a quelques mois comme un relais de croissance prioritaire pour le groupe.

La branche divertissement de GoPro a été lancée en 2014 alors que le groupe était au faîte de sa gloire. GoPro qui venait de lancer son modèle 4K semblait alors avoir atteint les limites des améliorations qu’il était possible d’ajouter à ses modèles de caméras. Le groupe cherchait donc de nouveaux relais de croissance au-delà du hardware et a jeté son dévolu sur une expansion dans le domaine des médias. Le choix était d’autant plus logique que le groupe avait une activité embryonnaire dans le secteur par ses liens avec certains vidéastes reconnus. En effet, dans le but de promouvoir ses produits, GoPro sponsorisait un grand nombre d’athlètes très présents sur les réseaux sociaux mais distribuait également ses produits à certains créateurs disposant de chaînes digitales populaires. La marque bénéficiait d’ailleurs d’une excellente exposition sur les réseaux sociaux vidéo et l’investissement dans les contenus est donc apparu comme une diversification naturelle. Afin d’accélérer, GoPro a  débauché plusieurs dirigeants spécialistes du sport et de la création originale chez CBS,  Hulu, HBO et MTV pour diriger sa branche Entertainment. Cette nouvelle division du groupe regroupait plus de 200 personnes avec l’objectif de redéfinir la façon dont GoPro créait des contenus afin d’en faire une activité lucrative.

Gopro playerLe premier axe de développement de la branche Entertainment de GoPro a été de constituer un réseau de talents pour la marque. Dès mai 2014, GoPro a réuni créateurs et sportifs (skaters, skydivers, surfers, BMX…)  afin de les affilier au sein d’un réseau multichaînes spécialisé d’abord dans les sports de glisse et les sports extrêmes. Plutôt que d’investir directement et massivement dans la production originale, GoPro a donc fait le choix de se concentrer sur des contenus créés par les utilisateurs de ses produits. L’objectif était de systématiser la distribution de produits de la marque à des créateurs affiliés afin de favoriser la création de contenus GoPro. Les meilleures de ces contenus avaient vocation à être diffusés sur la chaîne centrale de la marque. D’abord lancée sur YouTube, la chaîne a été déclinée sur console dès l’été 2014 puis a bénéficié de son propre site.

GoPro a également défini un autre axe prioritairGopro editinge : l’amélioration de ses logiciels d’édition et de partage des contenus à destination des utilisateurs. Dans ce but, le réseau a multiplié les acquisitions de start-ups dont notamment Splice ou la française Replay. Ces applications présentaient l’avantage de simplifier la publication de contenus filmés avec une GoPro mais également de gérer les photos et vidéos prises avec un smartphones. En s’étendant aux terminaux mobiles, GoPro avait pour objectif de créer un écosystème plus vaste et ainsi développer son réseau de créateurs. Le dernier élément de ce projet devait être la mise à disposition de ces services dans le cloud avec potentiellement un système d’abonnement. Le service cloud devait permettre d’une part de redistribuer facilement les contenus vers ses différentes chaînes mais également de les monétiser plus efficacement auprès de tiers (annonceurs, agences de voyage, organisateurs d’évènements…).

Justement, le dernier axe du projet initial de diversification visait à permettre la monétisation des contenus et talents auprès des marques. Le groupe s’est tourné dans un premier temps vers le brand-content en créant des contenus pour des partenaires comme Ford ou Wimbledon. Dans un deuxième temps, grâce à ses services dans le cloud, GoPro a créé un portail de vente directe de contenus à destination des marques.

Enfin, à partir de 2016, l’objectif de l’unité Entertainment a évolué vers la production directe de contenus. Jusqu’à l’été 2016, GoPro prévoyait encore de lancer 32 créations originales pour la fin de l’année ou le début 2017. Parmi les contenus originaux prévus, GoPro avait annoncé une série sur le voyage, un format musical, une série documentaire sur le Real Madrid et même des programmes familiaux.

Les difficultés de l’entreprise ont donc mis un coup d’arrêt brutal à ce projet ambitieux. La baisse de profitabilité de l’entreprise lui a imposé de se recentrer sur son cœur de métier. Brian Mc Gee, directeur financier de GoPro, a récemment déclaré « qu’après une évaluation minutieuse le groupe est arrivé à la conclusion que la diversification dans les médias était une activité que GoPro ne pouvait pas finalement se permettre ». Le principal problème pour GoPro a été que le projet de diversification dans l’audiovisuel n’aurait dégagé des profits qu’à long-terme. Si des synergies semblaient possibles entre l’activité de constructeur de caméra et celle de créateurs de contenus, une diversification de cette ampleur nécessitait des investissements très lourds de la part d’un acteur spécialisé dans le hardware. Dans un contexte morose pour l’entreprise, GoPro n’a pas eu les moyens d’attendre que sa nouvelle activité dégage des profits. GoPro restera une entreprise de hardware et la majorité des projets de diversification médias sont arrêtés, y compris ceux qui concernaient le développement de logiciels d’édition vidéo puisque Splice pourtant racheté il y a moins d’un an a été fermée. GoPro devrait sans doute conserver seulement une poignée de chaînes YouTube au nom de sa marque pour promouvoir ses produits mais il est difficile de déterminer comment le groupe continuera de les alimenter en contenus.

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Red Bull Media House, un succès dans le sillage de GoPro

Si GoPro n’a pas réussi à capitaliser sur le succès de ses caméras, Red Bull a pourtant réussi à fonder une marque médias forte en partie grâce à l’essor de GoPro. En effet, Red Bull a fondé dès 2007 une branche médias, Red Bull Media House, dont le développement a été accéléré par la démocratisation des vidéos digitales de sports. D’abord conçu comme un simple outil de création de brand content pour ses boissons énergisantes, Red Bull Media House a su évoluer pour devenir un groupe médias très complet : MCN, magazine, TV en ligne, production de documentaires, production de long-métrage ou encore distribution physique et à la demande. Red Bull Media House est devenu aujourd’hui une société à part entière dont l’activité va bien au-delà de la seule promotion des produits. La division serait d’ailleurs rentable selon le groupe qui ne publie pas ses résultats.

Le succès de Red Bull Media House a largement inspiré à GoPro son projet de diversification. En effet, la firme autrichienne a été régulièrement citée en exemple. Le cas du saut de Felix Baumgartner en particulier a permis une exposition importante des caméras GoPro ce qui aurait contribué à inspirer sa décision de se lancer à son tour. Le projet de GoPro présentait d’ailleurs de nombreuses similitudes avec celui de Red Bull. Mais, la firme autrichienne bénéficiait de nombreux atouts comparés à GoPro. En premier lieu, une marque grand-public bien plus forte que celle de GoPro. Red Bull a également su se positionner de façon très précoce sur le marché de la vidéo de sport et était bien établi au moment du lancement de GoPro Entertainment. En outre, les nombreux investissements de la marque dans le sport ont permis des synergies avec la marque média qui a pu s’appuyer sur le suivi des équipes, écuries et compétitions sponsorisés par la maison mère. Enfin, Red Bull n’a pas été frappé par une baisse de ses revenus ce qui lui a permis de continuer à réaliser de « couteux investissements » – dixit – dans sa branche médias.

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