L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

Un projet de décret sur l’obligation d’information des plateformes inquiète les acteurs du net

[box style=”5″]

Un projet de décret d’application de la loi Lemaire au sujet de l’obligation d’information des plateformes en ligne a suscité de vives réactions de la part des grands acteurs du net, qui estiment que celui-ci va au-delà des exigences du législateur. Ce projet détaille les obligations d’information sur les modalités de référencement, l’existence de liens contractuels avec les annonceurs et les obligations civiles et fiscales de ces derniers.

[/box]

Le renforcement de l’obligation d’information des opérateurs de plateforme

Un projet de décret d’application de la Loi pour une République Numérique, consultable sur NextInpact, est venu récemment détailler les modalités et déclinaisons de l’obligation d’information prévue à l’article 49 de la loi, devenu l’article L 111-7 du Code de la consommation.

Ce projet, manifestement inachevé, précise l’obligation des « opérateurs de plateforme », c’est-à-dire « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public reposant sur » i) une activité de moteur de recherche ou ii) « la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service », en matière d’information des consommateurs. Cette information porte, selon l’article 49 de la loi, sur les modalités de référencement de contenus et d’offres, l’existence de liens contractuels ou capitalistiques ou d’une rémunération qui influenceraient ce référencement et la qualité des annonceurs, ainsi que leurs obligations civiles et fiscales.

Le projet propose l’introduction de 4 articles, D111-6 à D111-9, en déplaçant les articles ainsi numérotés dans la version actuelle du Code à leur suite. Ces articles imposent aux plateformes de mise en relation et aux moteurs de recherche d’indiquer, via une mention ou signe distinctif accessible sur toutes les pages du site, les règles applicables pour être référencé, les obligations des offreurs dont le non-respect est sanctionné de déréférencement, les moyens de recours contre ce déréférencement, les critères de classement par défaut et la définition de ces critères.

De plus, l’indication des liens contractuels ou capitalistiques ou d’une rémunération ayant une influence sur le classement vise également les revenus publicitaires, et doit être détaillée pour chaque résultat de classement. Concernant les informations sur les annonceurs, les plateformes de mise en relation doivent indiquer notamment si l’annonceur est un consommateur ou un professionnel et, le cas échéant, le prix de mise en relation et les modalités de calcul de ce prix. Tous les opérateurs de plateformes doivent également indiquer les obligations des annonceurs concernant le respect de leur engagement si l’offre est acceptée. Les informations sur le service, telles qu’elles découlent du droit de la consommation, sont également listées (prix, droit de rétractation etc.) en incluant les frais de mise en relation et les frais supplémentaires.

La réaction des professionnels du secteur

Le FEVAD, le Syntec Numérique et TECH IN France, qui rassemblent notamment les grandes multinationales du Web, ont publié un communiqué au sujet de ce décret attestant de leur inquiétude face à ce renforcement conséquent de l’obligation d’information qui est applicable à leurs membres. Ils dénoncent un dépassement par le Gouvernement de la lettre de la loi et de l’intention du législateur.

Ainsi, est en cause notamment l’extension « aux relations entre vendeurs et plateformes de ce qui était prévu par la loi pour les seules relations entre plateformes et consommateurs ».

Par ailleurs, ils soulèvent que les modalités de calcul du prix de l’intermédiation entre une plateforme et un annonceur relèvent du secret professionnel et que les informations sur le classement par défaut des algorithmes de référencement sont couvertes par des droits de propriété intellectuelle.

Ces réactions sont compréhensibles : les nouvelles modalités de l’obligation d’information des opérateurs de plateforme s’annoncent lourdes à mettre en place, d’autant que le fonctionnement et le paramétrage par défaut des algorithmes de classement est vraisemblablement complexe à comprendre et à expliquer. On sait par ailleurs combien les principaux acteurs du Web sont sensibles à toute atteinte à leurs algorithmes, éléments essentiels de leur activité. Ces acteurs sont manifestement les cibles privilégiées de ce décret, qui en l’état leur imposerait un effort conséquent de conformité.

Il convient cependant de rappeler que, si la revendication du secret professionnel a ses mérites, les algorithmes ne peuvent faire l’objet d’une réservation par un droit de propriété intellectuelle ; seul le secret de fabrique est ici en cause.

De plus ce décret traduit la volonté de rétablir un certain équilibre entre les acteurs économiques actifs sur internet. Comme l’illustre le rapport de l’Observatoire de l’e-pub paru la semaine dernière, les revenus publicitaires en ligne reviennent très majoritairement à un petit groupe de leaders incontestés de l’industrie numérique, dont l’importance s’impose aux autres acteurs plus modestes, ainsi qu’aux consommateurs. La transparence sur les circuits financiers et les règles du référencement et du déréférencement permettrait non seulement une meilleure information des consommateurs, mais donnerait également aux entreprises présentes sur internet les moyens de travailler sur leur visibilité et leur pertinence, sans devoir payer pour cette information, comme c’est le cas aujourd’hui. Ces obligations nouvelles sont également un pas vers plus de transparence sur le fonctionnement des plateformes, leitmotiv dans le débat actuel sur la régulation du net (voir les articles NPA des 11 et 25 janvier sur les rapports du Conseil général de l’économie et du CSA Lab).

On notera enfin que ces obligations, si elles sont audacieuses, ne sont pas révolutionnaires. Le décret reprend en effet, en les étendant légèrement, les obligations d’information applicables aux comparateurs en ligne, détaillées dans les articles D 111-7 à 111-10 actuels du code, pour les appliquer à tous les opérateurs de plateforme.

La France prend les devants sur la loyauté des plateformes ?

La version actuelle de ce décret fera probablement l’objet de modifications, et devra être notifié à la Commission européenne pour examen, lequel dure au minimum 3 mois. Quoi qu’il en soit, la France apparaît nettement plus déterminée dans la régulation des activités des plateformes que les institutions européennes, où les débats se poursuivent sur l’opportunité d’une extension des obligations des acteurs du web.

[box style=”5″]

Lors d’un échange de vues au Parlement européen sur les « plateformes en ligne dans le Marché unique numérique » le 26 janvier dernier, les eurodéputés ont démontré qu’un consensus sur la question de la loyauté des plateformes était encore loin d’être atteint. Pour l’ADLE, qui regroupe principalement des parlementaires européens libéraux et centristes, « la transparence doit s’imposer, notamment dans les relations BtoB ». Cora van Nieuwenhuizen, rapporteur fictif pour le groupe, appelle au respect de termes « particulièrement clairs et transparents » pour permettre aux entreprises et microentreprises qui dépendent des grandes plateformes de se développer. Les conservateurs du groupe ECR se méfient au contraire d’une sur-régulation européenne qui pourrait brider le développement de plateformes concurrentes aux leaders américains. Rapporteur fictif pour le groupe socialiste, Sergio Gutiérrez Prieto estime que l’environnement en ligne « constitue un terrain d’abus », l’économie collaborative ne pouvant aller de l’avant « qu’avec des règles justes, équitables, claires ». Il pose même la question de l’introduction d’une responsabilité des plateformes numériques, alors que les Verts et Julia Reda souhaitent au contraire « insister sur le régime de responsabilité limité de la directive e-commerce ».

[/box]

Vous êtes abonnés à l’Insight NPA ? Merci de renseigner vos identifiants pour accéder à l’ensemble de cet article.

Pas encore inscrit à l'Insight NPA ?