L'édito de Philippe Bailly

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Canal + attaque la décision « Paramount » de la Commission européenne

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La décision de la Commission européenne de rendre obligatoire les engagements volontaires de Paramount Pictures vis-à-vis de ses contrats de licence avec les opérateurs de télévision payante et services de sVOD européens a fait l’objet d’un recours formé par le groupe Canal +. GCP dénonce notamment un « dépassement de ses attributions » par la Commission, un manquement dans son appréciation au principe de proportionnalité et un empiètement sur les négociations actuellement en cours au Parlement européen.

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L’enquête ouverte par la Commission sur les licences de productions cinématographiques en tant que contenu télévisuel payant

Le 13 janvier 2014, la Commission européenne avait annoncé l’ouverture d’une enquête formelle visant à examiner certaines dispositions des accords de licence entre plusieurs grands studios de production américains (Twentieth Century Fox, Warner Bros., Sony Pictures, NBCUniversal, Paramount Pictures) et les principaux télédiffuseurs payants européens tels que BSkyB (Royaume-Uni), Canal Plus (France), Sky Italia (Italie), Sky Deutschland (Allemagne) et DTS (Espagne).

La question était de savoir si ces stipulations contractuelles empêchaient les diffuseurs de fournir leurs services par-delà les frontières, par exemple en refusant l’abonnement de ressortissants d’autres États membres ou en bloquant l’accès transfrontière à leurs services. De telles clauses, si elles étaient jugées susceptibles d’affecter les échanges, d’empêcher ou de restreindre la concurrence dans l’Espace Economique Européen (EEE), auraient constitué des accords et pratiques concertés illicites au titre des articles 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et 53 de l’accord sur l’EEE.

Le 23 juillet 2015, la Commission européenne a adressé une communication des griefs à Sky UK (21st Century Fox) et aux studios américains Disney, NBC Universal, Paramount Pictures, Sony, Twentieth Century Fox et Warner Bros, estimant à titre préliminaire que ces derniers imposaient des restrictions contractuelles empêchant l’accès aux services de Sky UK aux abonnés situés en dehors du Royaume-Uni ou de l’Irlande.

Les engagements de Paramount avalisés par la Commission

Conformément à l’article 9 paragraphe 1 du règlement n° 1/2003, Paramount Pictures a proposé à la Commission des engagements volontaires qui, s’ils étaient rendus obligatoires, clôtureraient l’enquête à son égard. Pour autant, le non-respect de ces engagements engagerait la responsabilité de Paramount, à hauteur de 10% de son chiffre d’affaire annuel mondial, sans que la Commission ait à prouver un manquement au droit de la concurrence.

Le 26 juillet 2016, la Commission a accepté les engagements offerts par Paramount. Dès lors, Paramount s’engageait à repenser ses contrats de façon à :

  • Ne pas interdire aux télédiffuseurs de répondre à des demandes non sollicitées émanant de consommateurs résidant dans l’EEE mais en dehors du territoire sous licence dudit télédiffuseur (ventes passives) ;
  • Ne pas interdire aux télédiffuseurs tiers, résidant en dehors du territoire sous licence, de répondre à des demandes non sollicitées émanant de consommateurs résidant sur ce même territoire.

Paramount s’engageait par ailleurs à ne pas faire exécuter les clauses stipulant ces obligations dans ses contrats en cours. Les engagements pris par le studio américain visaient à la fois les contrats de diffusion d’œuvres cinématographiques pour les services « standard » de télévision payante, les services de vidéo à la demande par abonnement, les services en ligne et les services de télédiffusion par satellite.

Le recours de Canal + contre l’agrément des engagements de Paramount

Le 6 février 2017, le recours introduit le 8 décembre 2016 par Canal + contre l’agrément de la Commission du 26 juillet 2016 a été publié ce lundi au Journal officiel de l’Union. Canal + attaque la décision de la Commission de rendre obligatoire les engagements proposés par Paramount pour ce qui concerne le marché français et les contrats existants ou futurs de Canal +.

Canal reproche d’abord à la Commission de s’être abstenue d’analyser les effets des clauses de territorialité en cause, dont le caractère anticoncurrentiel résulterait d’une appréciation faussée qui ne tient pas compte des mérites de ces clauses sur le marché de la télévision payante. La décision attaquée aurait pour effet, selon Canal +, de limiter le financement de l’offre audiovisuelle en expression originale française, ce qui fausserait la concurrence et restreindrait la qualité et diversité de l’offre proposée au consommateur.

Ensuite, Canal + soutient que la Commission a outrepassé son pouvoir d’appréciation. En effet, Canal + relève une inadéquation entre la décision, qui affecte l’ensemble des contrats de Paramount avec des télédiffuseurs dans l’EEE, et la communication de griefs, qui ne concernait que les contrats exclusifs au Royaume-Uni et en Irlande. Plus encore, suite au « Brexit », la décision finirait par s’appliquer dans tous les pays de l’EEE à l’exclusion du seul pays visé par la communication de griefs. En résulterait une violation du principe de proportionnalité, entre les engagements rendus contraignants et les questions de concurrence soulevées initialement, et une méconnaissance des intérêts des tiers (et de Canal + notamment), qui justifieraient l’annulation de ces mesures.

Enfin, Canal + estime que la décision de la Commission interfère avec les prérogatives du Parlement européen. Le législateur européen, qui examine actuellement un projet de réforme de la directive relative aux services de médias audiovisuels, ainsi qu’une proposition de règlement sur la diffusion en ligne et la retransmission d’émissions de télévision et radio, aurait déjà « émis des réserves et des préoccupations sur la suppression de la territorialité des licences dans le secteur de l’audiovisuel ».

Les débats entourant la territorialité des droits

Dans sa communication des griefs du 23 juillet 2015, la Commission expliquait son opposition aux clauses d’« exclusivité territoriale absolue » auxquelles Paramount a par la suite renoncé, en exposant que celles-ci « éliminent la concurrence transfrontière entre les télédiffuseurs payants et cloisonnent le marché intérieur selon les frontières nationales ». Elle annonçait d’ailleurs vouloir « permettre un accès plus large au contenu en ligne dans l’ensemble de l’UE ».

Promouvoir l’accès transfrontière aux œuvres audiovisuelles au sein de l’Union est l’objectif principal de la Commission dans sa proposition de règlement précitée, qui vise notamment à permettre « aux radiodiffuseurs d’obtenir plus facilement les autorisations dont ils ont besoin auprès des titulaires des droits pour pouvoir diffuser des programmes en ligne dans d’autres États membres de l’UE ». Pour rappel, l’article 2 de la proposition de règlement propose d’instaurer une fiction juridique, selon laquelle toute communication au public en ligne d’un programme, accessoire à une diffusion linéaire (télévision de rattrapage ou simulcasting…), serait réputée avoir lieu dans l’Etat membre d’établissement principal du diffuseur, quand bien même elle serait en fait réalisée à destination du public d’autres Etats membres.

On peut imaginer que le gouvernement français sera sensible aux revendications du Groupe Canal + au regard de ses critiques à l’encontre du projet de règlement, qui présente des « risques majeurs quant au principe de territorialité des droits » selon le Ministère de la Culture. Canal + trouvera également un soutien auprès de l’Union des Producteurs de cinéma, qui craint, avec la décision de la Commission sur les engagements de Paramount, une mise en concurrence au niveau européen de l’ensemble des acteurs de la télévision payante, « malgré notamment la disparité de leurs obligations nationales en termes d’exposition des œuvres et d’investissement dans celles-ci ».

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