L'édito de Philippe Bailly

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Audiovisuel public et privé s’opposent sur le projet de règlement câble/sat 2

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Le projet de règlement 2016/0284 vise à compléter et moderniser la directive 93/83/CEE du 27 septembre 1993 dite « câble et satellite ». Il propose principalement d’instaurer un mécanisme juridique qui permettra « aux radiodiffuseurs d’obtenir plus facilement les autorisations dont ils ont besoin auprès des titulaires des droits pour pouvoir diffuser des programmes en ligne dans d’autres Etats membres de l’Union ».

S’il semble généralement satisfaire les diffuseurs de service public européens, le projet de règlement suscite une certaine appréhension de la part des pouvoirs publics français et de nombreux acteurs de l’audiovisuel privé, ces derniers considérant qu’il soulève des risques majeurs pour la territorialité des droits et la liberté contractuelle.

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Pour permettre aux radiodiffuseurs et aux prestataires de services de retransmission d’offrir un plus large accès aux programmes de TV et de radio dans toute l’Union européenne, la proposition de la Commission vise à étendre l’application du principe de pays d’origine aux services en ligne des radiodiffuseurs qui sont accessoires à une diffusion linéaire initiale (les services de diffusion multi-support et la télévision de rattrapage). Grâce à ce mécanisme juridique, la fourniture, l’utilisation et l’accès à de tels services seront réputés avoir lieu uniquement dans l’Etat membre où le diffuseur a son établissement principal, alors qu’en pratique, ils sont fournis à destination d’autres Etats membres.

La Commission européenne prévoit par ailleurs que les titulaires de droit d’auteur et de droits voisins (autres que les organismes de radiodiffusion) ne pourront exercer leur droit d’accorder ou de refuser l’autorisation d’une retransmission que par l’intermédiaire d’une société de gestion collective. Par « retransmission », le règlement vise les services, autres que les organismes de radiodiffusion, qui agrègent un grand nombre de chaînes de TV et de radio en bouquets provenant d’autres États membres de l’Union pour les retransmettre. Le système de gestion collective obligatoire prévu par la directive « câble et satellite » n’étant pas étendu aux services de retransmission fournis par d’autres moyens que le câble, la Commission européenne propose qu’il s’applique aussi aux retransmissions sur des réseaux fermés de communications électroniques, comme IPTV (TV/radio sur réseau IP en circuit fermé).

Les rapporteurs favorables à l’extension du champ d’application du texte

Au Parlement européen, la commission des affaires juridiques (JURI) est en charge du dossier, et travaille de façon rapprochée avec la commission culture (CULT), associée au fond. La commission de l’industrie (ITRE) et la commission du marché intérieur (IMCO) sont, pour leurs parts, saisies pour avis. Dès le mois de janvier, l’eurodéputée des Verts, Julia Reda, rapporteure pour la commission IMCO, a rendu un projet d’avis qui appelle, sans surprise, à l’extension du principe de pays d’origine à tous les services en ligne des radiodiffuseurs, en abandonnant la condition du caractère « accessoire » du service en ligne. Afin de « s’adapter aux développements des technologies numériques et aux évolutions des comportements des utilisateurs », elle propose également d’inclure dans le champ de la gestion collective obligatoire les services de retransmission fournis sur réseaux IPTV ouverts et sur internet en « over-the-top ».

En commission culture, la rapporteure Petra Kammerevert (Allemagne, S&D) a proposé des modifications similaires, étendant notamment le principe de pays d’origine à tout service en ligne porté par un organisme de radiodiffusion, peu importe son caractère accessoire.

Lors de la présentation de son projet d’avis, elle a également rappelé que l’univers de la télévision payante, couvert par le règlement portabilité transfrontière des services de contenus en ligne, ne serait pas compris dans le champ de ce règlement – son équilibre n’en serait ainsi pas menacé.

L’eurodéputée autrichienne du groupe centriste ADLE, Angelika Mlinar, a rendu un projet d’avis plus modéré pour la commission ITRE, dans lequel elle étend aussi le principe de pays d’origine aux « previews » – aperçus ou diffusions en ligne ayant lieu avant la diffusion linéaire initiale. Sur la gestion collective obligatoire, elle propose d’étendre le mécanisme aux services de retransmission fournis sur « l’internet ouvert », dans la mesure où ils peuvent assurer que leur base d’utilisateurs constitue un groupe « clairement identifié et contrôlé ».

Tiemo Wölken, eurodéputé allemand du groupe socialiste, rapporteure au fond pour la commission JURI, a annoncé lors d’un premier échange de vues, le 22 mars dernier, qu’il était important de refléter le changement de comportement des consommateurs à travers « une législation adaptée qui s’inscrit vers l’avenir. ». Le texte proposé par la Commission européenne serait « un pas nécessaire vers la création d’un véritable marché unique numérique ». D’autres parlementaires s’étaient montrés plus méfiants. La française Constance Le Grip (PPE) avait affirmé que le groupe majoritaire du PPE ne voterait pas pour le projet de règlement tant que son article 2 sur le principe de pays d’origine, qui « remet en cause de principe de territorialité », n’était pas révisé. Le projet de rapport de Timo Wölken devrait être publié fin mai 2017.

Consommateurs et audiovisuel public satisfaits, les éditeurs privés inquiets

A l’occasion d’un petit déjeuner professionnel organisé par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) et l’Union européenne de radiotélévision (EBU), association mondiale de radiodiffuseurs principalement de service public le 4 avril dernier, les deux associations ont affirmé leur soutien à la proposition de la Commission européenne, exhortant le Parlement et le Conseil à donner aux citoyens « les clés pour accéder à davantage de programmes de télévision et de radio dans toute l’Europe ».

La directrice générale adjointe du BEUC, Ursula Pachl, a souligné que l’accès en ligne à la diversité culturelle de l’Europe était primordial pour les consommateurs : « les règles actuelles en matière de droit d’auteur entravent la capacité des consommateurs à profiter pleinement de la diversité culturelle de l’Europe. Des études récentes montrent que 82% des européens veulent regarder et écouter des contenus grâce à des offres légales plutôt que d’essayer de contourner la loi. Les législateurs de l’Union européenne devraient prendre la direction d’un choix plus étendu plutôt que de maintenir des frontières artificielles ».  La position de l’EBU va également dans ce sens, considérant que les radiodiffuseurs ont besoin de ce type d’instrument pour leurs services en ligne et pour la retransmission de leurs programmes. Un retour sur cette proposition serait, selon l’Union, anachronique. Les diffuseurs publics estiment que ces nouvelles règles permettront de donner un meilleur accès en ligne à leurs programmes de télévision et de radio dans le marché unique numérique sans affaiblir la liberté contractuelle des ayant-droit et des radiodiffuseurs.  A contrario, l’Association des télévisions commerciales européennes (ACTE), qui représente les intérêts du secteur des télédiffuseurs privés en Europe, compare la proposition de règlement à une « tragédie grecque » pour le future de l’audiovisuel en Europe. Elle critique le fait que la proposition supprimait le principe de territorialité appliquée au pays d’origine des services en ligne. Selon elle, la proposition conduira le secteur audiovisuel européen à la ruine en supprimant les deux mécanismes juridiques indispensables au maintien des investissements dans ce secteur que sont le droit d’auteur et la liberté contractuelle.

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