L'édito de Philippe Bailly

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Réglement géoblocking : vers une intégration des services de fourniture de contenus non audiovisuels protégés par le droit d’auteur

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Le 25 mai 2016, la Commission européenne présentait sa proposition de règlement relatif à la lutte contre le blocage géographique et d’autres formes de discrimination fondée sur la nationalité ou le lieu de résidence ou d’établissement des clients dans le marché intérieur. Cette proposition vise à harmoniser les conditions d’accès à la vente de biens et la prestation de services en ligne dans le marché intérieur, en interdisant les discriminations basées sur la nationalité ou le lieu de résidence des clients à l’intérieur de l’Union. L’extension du champ d’application du texte aux services de fourniture de contenus non audiovisuels protégés par le droit d’auteur a été proposée par la commission IMCO, saisie au fond, et la commission JURI, saisie pour avis.

Le rapport de la commission IMCO a été adopté le 24 avril dernier et devrait être publié sous peu.

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La proposition de la Commission européenne vise à interdire à tous les professionnels, établis ou non dans l’Union, qui proposent des biens ou services en ligne à des clients européens de discriminer selon la nationalité ou le lieu de résidence ou d’établissement desdits clients. Le champ d’application de la proposition exclut toutefois les services audiovisuels, les services d’intérêt général non économiques, les services de transport, les activités de jeux d’argent et de hasard, les services de santé et certains services sociaux.

L’exposé de la proposition précise qu’elle n’aborde pas la tarification en tant que telle. « Par conséquent, les professionnels restent libres de fixer leurs prix d’une manière non discriminatoire ». Toutefois, la question de savoir si les prix devront être identiques dans tous les pays ne semble pas clairement tranchée.

La proposition couvre toutes les relations entre professionnels et « clients ». Ces derniers sont définis comme étant des consommateurs ou des entreprises, établi(e)s dans l’Union ou ayant la nationalité d’un Etat membre, et qui ont l’intention d’acheter un bien ou un service à des fins autres que la revente. Le champ d’application du règlement est ainsi relativement large, sans pour autant mettre en danger les systèmes de distribution professionnelle.

L’interdiction du blocage de l’accès aux interfaces en ligne et de l’octroi de conditions contractuelles discriminatoires

Le texte interdit aux professionnels de bloquer l’accès à leurs interfaces à des clients sur la base de leur lieu de résidence, et les oblige à soumettre le renvoi automatique à un autre site au consentement du client. Le client doit toujours pouvoir revenir aisément au site initial. Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque le réacheminement est requis par la loi, et peuvent être écartées dans des situations exceptionnelles, auquel cas le fournisseur doit fournir une justification claire sur son interface.

La proposition vise ainsi à interdire non seulement les discriminations mais également le refus des ventes passives, pratique qui consiste à rejeter les demandes d’accès aux produits ou services issues de clients de pays non ciblés par le professionnel. D’ailleurs, l’article 6 précise expressément que tout accord entre professionnels contraire au règlement en matière de ventes passives est réputé non-écrit.

La proposition interdit également la discrimination pour des motifs liés à la localisation du paiement (localisation du compte, lieu d’établissement du prestataire de services de paiement…) lorsque le professionnel peut exiger une forte authentification, que l’instrument de paiement relève d’une catégorie de paiement qu’il admet et que le paiement est effectué dans une devise qu’il accepte.

Enfin, le règlement interdit à l’article 4 l’application de conditions générales d’accès aux biens ou services différentes en fonction de la nationalité ou du lieu de résidence du client lorsque :

  • le vendeur professionnel de biens physiques n’intervient pas dans la livraison des biens à l’étranger
  • le vendeur professionnel fournit des services par voie électroniques autres que des services d’accès en ligne ou d’utilisation de contenus protégés
  • les services sont fournis dans un Etat membre autre que celui de résidence du client

La question du blocage des services de fourniture de contenus protégés par les droits d’auteur et voisins

Si l’article 4 ne s’applique pas aux services d’accès à des contenus protégés, et notamment aux services audiovisuels, l’article 9 de la proposition prévoit que la première évaluation du règlement, prévue dans les deux ans suivant son entrée en vigueur, devra déterminer si le règlement devrait s’appliquer également à ce type de services.

L’avis de la commission des affaires juridiques du Parlement européen sur le texte propose cependant d’inclure dans le champ de l’article 4 les services de mise à disposition par voie électronique d’œuvres ou de services non audiovisuels protégés par le droit d’auteur (livres électroniques, logiciels, jeux vidéo, musique, etc.). La révision prévue deux ans après l’entrée en vigueur du texte devra ensuite examiner s’il y a lieu d’y intégrer également les œuvres et services audiovisuels. La justification de l’avis précise toutefois qu’il sera « nécessaire que le professionnel détienne une licence de droits d’auteur à leur égard ou soit titulaire de droits dans tous les territoires concernés ».

L’inclusion de ces services est également proposée par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, saisie au fond, dans son rapport adopté le 24 avril dernier, qui n’a pas encore été rendu public.

Cette intégration soulève plusieurs interrogations sur l’agencement entre interdiction de la discrimination géographique et territorialité des droits. Une des questions qui se posent est de savoir si les « conditions d’accès aux services » font référence uniquement aux conditions générales d’utilisation du service ou si elles concernent également l’accès aux contenus.

Dans le premier cas, il semble qu’il n’y ait aucune atteinte à la territorialité des droits, et que l’inclusion de ces services dans le règlement n’ait qu’une portée minime.

Dans un deuxième cas, chaque client pourrait s’inscrire à un service de mise à disposition d’œuvres non audiovisuelles dans un autre pays de l’Union. Cependant, le service ne pourra lui fournir l’accès qu’à des contenus sur lesquels le fournisseur dispose des droits dans le territoire du client. En prenant l’exemple d’un service de musique en ligne, un client français qui voudrait adhérer au service polonais serait libre de le faire, mais il ne pourrait pas avoir accès à des œuvres pour lesquels le fournisseur ne dispose pas des droits en France.

Or, cela risquerait de se révéler très problématique pour les fournisseurs de contenus protégés en ligne. C’est la position soutenue par Digital Europe, qui dans un communiqué s’est déclaré « inquiet » de l’inclusion des contenus protégés dans le champ d’application de ce texte. Selon Mme Bonefeld-Dahl, cela « placerait une charge disproportionnée sur les fournisseurs » qui devraient alors « déterminer pour chacun des contenus de leurs catalogues s’ils disposent des droits requis », pays par pays. De plus, cela « conduirait à une expérience de consommation disruptive et négative », empreinte de « frustration et de confusion », puisque les utilisateurs qui s’inscriraient dans des conditions d’un autre Etat membre pourraient systématiquement se voir refuser l’accès à des contenus pourtant affichés a priori comme disponibles.

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