L'édito de Philippe Bailly

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La redistribution des cartes dans les industries de la création

Nicolas Coppermann, Président Directeur Général d’EndemolShine France

Nicolas Coppermann met le modèle de pré-financement au cœur de son propos. S’il représente un risque, il demeure selon lui nécessaire et même central dans le vaste appétit des contenus. À l’échelle nationale comme internationale, l’enjeu reste en effet le même et réside dans la capacité à investir et dans la prise de risque. Interrogé sur le rachat majeur des formats par les sociétés de production étrangères, le président d’EndemolShine France parle d’alternative face à l’« hyper-offre » de contenus américains, laquelle n’est selon lui pas nécessairement en affinité avec un « hyper-besoin ». Il souhaite que les sociétés de production françaises et européennes réussissent à faire libérer de l’espace sur le marché et à développer elles-mêmes des alternatives.

En écho à la table ronde portant sur l’intelligence artificielle, qui mettait en avant la nécessité pour les diffuseurs d’investir dans la data, Nicolas Coppermann privilégie le « talent créatif », qu’il qualifie d’intangible. S’il nécessite selon lui un écosystème particulier, il devrait se placer au cœur de l’investissement. En prenant l’exemple du succès de l’Emprise, téléfilm diffusé en Prime Time en janvier 2015 sur TF1 et qui a été un record d’audience[1], Nicolas Coppermann souligne qu’il s’agit de la résultante d’une concordance trouvée avec un diffuseur qui a su prendre des risques. Cette capacité à prendre des risques est propre au marché anglais, lequel pouvant ainsi servir de modèle.

Sur le paradoxe que constitue l’épanouissement d’indépendants au sein de grands groupes, Nicolas Coppermann constate que les talents sont de plus en plus individuels voire individualistes. Ces derniers se rendent facilement compte qu’à partir du moment où un dialogue est instauré et qu’ils sont mis à l’abri des barrières financières, ils ont intérêt à s’investir dans ces grands groupes. Par ailleurs, sur le marché français, il affirme qu’EndemolShine fait une courte pause dans ses acquisitions, le panel de talents de la société étant « assez enthousiasmant ». La recherche n’est donc pas active et réside surtout dans la complémentarité des recrues, en fiction comme en flux.

Pour Nicolas Coppermann, l’offre de fiction est partie pour gonfler mais la réalité économique va la dépasser. Il y aura moins d’acteurs et moins de pré-financement. Quant au flux, « il y a encore de belles choses à faire ». L’enjeu majeur réside dans l’art d’exécution, « il n’y a plus de format absolument incontournable tel que The Voice ». Le factual prend de plus en plus ses marques, avec une valeur de production en augmentation très forte. Sa valeur d’usage est semblable à celle des séries avec des codes qui lui sont empruntés (manière dont le héros est magnifié, dont les images sont prises, etc.). Ainsi, les genres évoluent mais la télévision reste un média important, d’autant plus que les contenus, ne seraient-ce qu’en replay, sont extrêmement consommés et par des profils qui ont 15 ans de moins que la moyenne des téléspectateurs plus traditionnels. Les histoires doivent selon lui dépasser les modes de consommation.

Enfin, interrogé sur ses attentes vis-à-vis du prochain quinquennat, Nicolas Coppermann estime que le problème n’est pas le partage des droits. Les droits peuvent être exploités plus et mieux, et il est prêt à aider à le faire. Le développement commun est selon lui un besoin central. « Arrêtons de nous battre pour partager la misère, travaillons ensemble pour partager la richesse », conclut-il, souhaitant se concentrer sur la manière de produire plutôt que sur les fenêtres de diffusion.

Pierre-Antoine Capton (PDG 3ème Œil / Président de Mediawan)

Pierre-Antoine Capton commence son intervention par expliquer l’intérêt pour tous les acteurs de l’industrie culturelle de proposer des contenus forts et de qualité. Plus particulièrement dans le domaine de la télévision qui est en pleine mutation, ces contenus premiums permettent de capter un nombre conséquent de téléspectateurs et d’exporter ensuite le programme à l’international. Pour illustrer son propos, Pierre-Antoine Capton évoque le documentaire Emmanuel Macron : Les coulisses d’une victoire produit par ses équipes et diffusé sur TF1 lundi 8 mai en première partie de soirée[2] qui aura droit à une seconde vie en SVoD ainsi qu’une probable exploitation au cinéma, illustrant ainsi le fait que « lorsque le contenu est bon, il peut être vendu partout » selon ses termes.

Interrogé en premier lieu sur l’éventuelle disparition des chaînes TV et de l’évolution de la distribution en raison de l’intelligence artificielle capable progressivement de proposer les contenus les plus adéquats aux goûts des téléspectateurs, Pierre-Antoine Capton répond par la négative : les chaînes de télévision sont en pleine mutation et ne disparaitront pas. Prenant l’exemple de Mediawan qui a récemment acquis le groupe AB composé de 19 chaînes proposant principalement du contenu thématique, son objectif est aujourd’hui de proposer ces contenus spécifiques via de nouveaux canaux, de manière digitale et virale notamment, afin de conquérir davantage de téléspectateurs et répondre à leurs goûts les plus pointus. C’est pourquoi, peu importe le support, il y aura toujours besoin d’un nombre conséquent de contenus et ce malgré une intelligence artificielle qui conforterait le téléspectateur dans ce qu’il préfère initialement.

A propos des mouvements de restructuration ayant lieu ces derniers temps dans le domaine de la production et de la distribution, le rachat du groupe AB par Mediawan constitue la seule initiative récente de la part d’un groupe français selon Philippe Bailly. Pour lutter face à cette quasi-absence de mouvement de la part des sociétés de production nationales, Pierre-Antoine Capton rappelle que l’industrie a besoin d’un soutien fort dans la création et la distribution pour constituer des groupes puissants détenteurs de contenus premiums français et européens distribuables dans le monde entier, soutien qu’il espère obtenir de la part du futur gouvernement d’Emmanuel Macron. En attendant, l’objectif de Mediawan est d’accompagner les sociétés audiovisuelles indépendantes françaises et européennes dans la création et la défense des talents nationaux selon son président, qui confirme que d’autres achats auront bien lieu en Europe. Pierre-Antoine Capton en profite pour rappeler que les contenus européens n’ont jamais été aussi puissants à l’image de The Young Pope ou Gomorra, mais aussi que le marché local est très fort[3].

Interrogé enfin sur l’évolution progressive des formats et des types de contenus, le PDG de 3ème Œil estime que les derniers formats de flux prestigieux ayant été diffusés récemment à l’antenne sont uniquement The Wall et The Voice, soulignant par ailleurs le manque d’audace, selon lui, des diffuseurs pour ce genre. De plus, le volume de séries diffusées est de plus en plus conséquent et ce sur toutes les chaînes de télévision et les opérateurs OTT de type Netflix ou Amazon. Même si la tendance semble être à la série TV, Pierre-Antoine Capton pense qu’il ne faut pas non plus négliger les autres formats telles que les vidéos courtes publiées sur YouTube ou Snapchat, mais aussi les longs formats. Selon lui, dans les prochaines années, la différence se jouera sur la fiction car la demande se fera toujours de plus en plus forte, mais aussi sur le contenu premium dans tous les genres (fictions, documentaires, animation…). Pour justifier le succès des contenus premiums, Pierre-Antoine Capton estime qu’ils sont devenus de véritables marques qui ont pris autant d’importance que les canaux par lesquels ils sont diffusés : « on va dire qu’on regarde The Crown et non pas Netflix, ou The Voice et non pas TF1 ». C’est pourquoi la priorité pour l’industrie dans les années à venir sera de miser sur ces contenus de marque en privilégiant la qualité.

[1] 9,8 millions de tvsp pour 34,9% de PdA, soit la meilleure performance pour une fiction depuis 2007 (Source : Médiamétrie)

[2] Pour rappel, ce documentaire a attiré au total 5 millions de téléspectateurs sur TF1, dont 654 000 en J+7 (source : Médiamétrie)

[3] Pierre-Antoine Capton rappelle que le top 10 des audiences des fictions de TF1 en 2016 était constitué à près de 90% de contenus français, alors qu’il n’était que de 50% il y a quelques années face aux fictions américaines.

 

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