L'édito de Philippe Bailly

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Le Conseil d’Etat interroge la CJUE sur l’étendue de l’obligation de « must carry »

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Dans un arrêt rendu 10 mai dernier dans l’affaire Playmedia contre France Télévisions, le Conseil d’Etat a décidé de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne plusieurs questions préjudicielles afin de préciser le périmètre de l’obligation de « must carry » prévue à l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, qui impose aux services ayant le statut de distributeur, une obligation légale de diffusion des chaines de télévision publiques gratuites.

France Télévisions avait saisi le Conseil d’Etat en demandant l’annulation pour excès de pouvoir de la mise en demeure du CSA qui l’obligeait à se conformer à l’obligation de « must carry » et de ne pas s’opposer à la reprise de ses programmes par la société Playmedia, en flux continu et en direct, sur son site internet.

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Contexte

La société Playmedia diffuse des programmes de télévision en flux continu et en direct sur son site internet « Playtv.fr » et se rémunère principalement grâce à la diffusion de messages publicitaires qui précèdent et accompagnent le visionnage. Son site de diffusion a été mis en service en février 2009, après que son éditeur ait déposé un dossier au CSA pour se voir reconnaître le statut de distributeur de service de télévision. De ce statut découle le respect de plusieurs obligations légales et réglementaires parmi lesquelles le respect de la numérotation des chaînes, la protection de la jeunesse, mais aussi le must carry.

France Télévisions s’est immédiatement opposé à ce que Playmedia reprenne ses flux, portant l’affaire devant le TGI de Paris qui lui a donné raison, le 9 octobre 2014, considérant que « l’obligation de distribution (ou must carry) n’est ni un régime à part du droit d’auteur, ni une exception à ce monopole ». En reprenant les chaînes de télévision publiques sans leur autorisation, Playmedia s’était rendu coupable de contrefaçons selon le tribunal. La société est condamnée à un million d’euros de dommages et intérêts, en plus de devoir se plier à l’arrêt de diffusion des chaînes publiques.

Playmedia a fait appel de sa condamnation auprès de la Cour d’appel de Paris. Le 2 février 2016, la Cour a cependant confirmé la décision prononcée en première instance et a condamné Playmedia à verser 400 000 euros à France Télévisions, en sus de la somme déjà infligée par le TGI de Paris, pour concurrence déloyale et actes de contrefaçons.

Parallèlement à cette procédure judiciaire, le CSA avait, dans le cadre d’un règlement de différend du 23 juillet 2013, demandé à Playmedia d’assurer la mise en conformité de ses activités afin de rendre possible la reprise des chaînes du groupe public. Il lui incombait de s’assurer à ce que son offre s’adresse à des abonnés, condition principale du « must carry ». Fin 2013, Playmedia indiquait au CSA avoir mis en place un système d’abonnement gratuit conforme. France Télévisions s’opposait cependant toujours à un accord.

Ainsi, par une décision rendue en assemblée plénière le 25 février 2015, le CSA a demandé à France Télévisions de ne pas s’opposer à la reprise de ses services par Playmedia et de régulariser cette situation. Le Conseil a ensuite mis en demeure France Télévisions, le 17 mai 2015, de se conformer à loi du 30 septembre 1986 en autorisant cette reprise.

La décision

La société France Télévisions demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la mise en demeure du CSA, en soutenant que la société Playmedia ne peut bénéficier de l’obligation de must carry.

Cette obligation repose, au niveau européen, sur l’article 31 de la directive « service universel ». Elle ne peut être imposée aux entreprises que si elle est nécessaire à la réalisation d’objectifs d’intérêt général sur des réseaux constituant le principal moyen de réception d’émissions de radio et de télévision, et pour un nombre significatif d’utilisateurs finaux de ces réseaux, auxquels s’ajoutent des exigences de prévisibilité, de transparence, de nécessité et de proportionnalité.

France Télévisions fait valoir que ces conditions ne sont pas remplies car il est impossible d’affirmer qu’un nombre significatif d’utilisateurs du réseau internet utilise Playmedia comme principal moyen pour recevoir des émissions de télévision. Elle affirme également que l’obligation d’accepter la diffusion de ses programmes sur le site Playmedia porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle qu’elle détient.

Le Conseil d’Etat relève au 4ème considérant de sa décision que le législateur français a prévu une obligation de diffusion de certains services de télévision pesant sur les distributeurs tels qu’il les définit, sans égard à la qualification d’exploitant de réseaux de communications électroniques imposée par la directive « service universel ». Il relève par ailleurs que l’article 34-2 de la loi du 30 septembre 1986 ne reprend pas explicitement les conditions fixées par la directive, notamment celle relative au nombre significatif d’utilisateurs finals des réseaux telle que prévu par la directive précitée.

Face à la complexité du litige, le Conseil d’Etat décide de transmettre plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Il interroge la Cour de justice de l’Union européenne afin qu’elle l’éclaire sur ce qu’elle entend par « entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques ». Il lui demande notamment si une entreprise qui propose le visionnage de programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet doit être regardée comme telle au sens du paragraphe 1 de l’article 31 de la directive service universel. Suivant la réponse de la Cour à cette première question, le Conseil d’Etat l’invite à préciser la portée à accorder à l’obligation de must carry et ses conditions d’application.

Le Conseil d’Etat demande ensuite à la Cour qu’elle l’éclaire sur la condition relative au « nombre significatif d’utilisateurs finals ». Il lui demande notamment de préciser le « mode de calcul » de ce nombre significatif et surtout la nature des utilisateurs concernés par celui-ci. La Cour devra donc se prononcer sur le fait de savoir si l’ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur internet seront concernés, ou si seulement les utilisateurs du site soumis à l’obligation de diffusion seront comptabilisés.

Notre analyse

Le juge déterminera la portée exacte de la loi française en fonction des réponses apportées par la CJUE.

A titre comparatif, la Cour de justice de l’Union européenne avait précisé, pour la distribution par câble en Allemagne, ce que pouvait être entendu par « nombre significatif d’utilisateurs » dans le cadre de l’affaire « Kabel Deutschland », le 22 décembre 2008. Il ressort de la décision de la Cour que le réseau câblé analogique remplit cette condition étant donné que, en Allemagne, ce mode de transmission atteindrait environ 57 % des ménages et constituerait donc « le moyen de transmission le plus utilisé ». A voir si la CJUE transposera ce raisonnement à la diffusion OTT… Dans le même arrêt, la Cour avait également précisé que ces exigences devaient être proportionnées et ne pas avoir de répercussions économiques disproportionnées sur les acteurs du marché.

Dans un autre arrêt du 3 mars 2011 (Commission européenne c/ Belgique), la Cour avait considéré que la réglementation belge qui prévoyait une exonération de l’obligation de diffusion pour les chaînes en cas de « nombre non significatif » était contraire aux dispositions de la directive.

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Alors que Playmedia souhaite se voir reconnaitre le droit de diffuser les chaînes de France Télévisions sur son site internet, les opérateurs télécoms font face aux pressions exercées par M6 et TF1 pour l’augmentation de la rémunération qui leur est allouée pour leur retransmission.

Le régulateur des télécoms s’est prononcé sur ce point lors d’une conférence de presse tenue le 17 mai dernier. Sébastien Soriano, Président de l’Arcep, a déclaré que l’autorité n’aurait « aucune objection » à ce Free cesse de proposer la diffusion de TF1 via sa box.

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