L'édito de Philippe Bailly

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E3 : Vers un décollage de la VR dans le jeu vidéo ?

La semaine dernière se déroulait l’Electronic Entertainment Expo, ou E3, à Los Angeles. Il s’agit du plus important salon international consacré aux jeux vidéo et comme chaque année les grandes entreprises du secteur (Sony, Nintendo, Microsoft, Ubisoft, etc.) étaient présentes et toutes ont fait des annonces, notamment dans le domaine de la réalité virtuelle (VR).

Enfin des jeux pour les casques de réalité virtuelle

Alors que la nouvelle console de Microsoft, la Xbox One X, a été la véritable star de cette édition 2017 de l’E3, la réalité virtuelle a également brillé de façon plus discrète. En effet, cette année pas de présentation de nouveaux casques de VR pour attirer tous les regards mais une présence plus diffuse sur les stands de presque la totalité des éditeurs. Cette édition de l’E3 aura donc été marquée par une multiplication des annonces de jeux VR à la place des annonces de hardware qui ont marqué les éditions précédentes.

Ainsi, une des tendances de cet E3 aura été l’annonce de très nombreuses adaptations de jeux cultes pour la VR. Sony a ainsi présenté la version destinée à son casque Playstation VR du célèbre jeu de course Gran Turismo. L’éditeur américain Bethesda a lui annoncé le portage VR de ses principales franchises Doom, Elder Scrolls et Fallout pour les casques HTC Vive et Playstation VR. Même Nintendo, qui pourtant n’a pas officiellement de projets de casques VR, a annoncé une version VR de son jeu Mario Kart destiné à des bornes d’arcades équipées de casque HTC Vive. Au final, chaque éditeur ou presque a annoncé le portage en VR d’une de ses marques les plus fortes[1]. Cependant, cette vague de portage était un peu attendue puisque certains éditeurs comme Capcom en avait déjà réalisé l’année dernière et que les portages sont beaucoup moins risqués commercialement que le développement intégral d’un nouveau jeu qui peut se révéler très coûteux tout en ne bénéficiant pas d’une base de joueurs fidèles dès sa sortie.

Cependant, l’E3 a permis de constater que les grands éditeurs commencent également à développer des jeux spécifiquement conçus pour une utilisation avec un casque de réalité virtuelle. Ainsi, Ubisoft a annoncé par exemple Star Trek : Bridge Crew qui proposera une aventure VR sur les PSVR, Oculus Rift et HTC Vive. C’est cependant Sony qui s’est imposé comme l’acteur le plus innovant dans le domaine de la VR. Le géant japonais a ainsi présenté lors de sa conférence un grand nombre de jeux développés par ses studios partenaires exclusivement pour son casque de PlayStation VR[2]. C’est sans doute ces nouveaux projets qui permettront de tester les possibilités offertes par la VR dans le domaine du jeu : liberté totale de mouvement, images en 360, immersion totale dans un univers, sensation de prise de risque physique, etc. Cette technologie est une opportunité pour les développeurs de proposer quelque chose de complètement nouveau, avec de nouveaux styles de jeu.

Un tournant pour le marché de la VR

Cette prolifération de jeux peut constituer un tournant pour le marché de la VR, caractérisé auparavant par la frilosité des éditeurs de contenus. La VR souffrait jusqu’alors d’un cercle vicieux empêchant son développement. Alors que le marché de la VR était très balbutiant, les développeurs ont adopté une posture attentiste ne voyant pas l’intérêt de créer des jeux coûteux pour un marché de la VR très restreint. Les jeux proposés lors du lancement des terminaux comme l’Oculus Rift ne tiraient pas parti du potentiel énorme de la VR et étaient assez limités dans leurs ambitions. De ce fait, les consommateurs n’ont pas été convaincus de l’intérêt d’investir dans un casque pour un marché encore balbutiant. En outre, de manière générale, le marché est confus pour un client lambda. Chaque développeur dispose de sa propre plateforme, sans passerelles possibles. Les consommateurs ont donc adopté eux aussi une approche prudente de ce marché, attendant qu’il devienne réellement intéressant.

Cependant, depuis le lancement du PlayStation VR à la fin 2016, les choses évoluent positivement. Au premier trimestre 2017, Sony a vendu 429 000 PSVR, HTC a vendu 190 000 casques HTC Vive, Oculus a écoulé 99 000 Oculus Rift et Samsung a vendu plus de 489 500 casques Gear VR. Sony a ainsi atteint le million de casques PSVR vendu depuis son lancement en octobre 2016, un cap plus symbolique que réellement significatif. Mais le passage de ce cap montre que la réalité virtuelle sur PS4 a de beaux jours devant elle. Ce passage peut être expliqué par la relation de confiance qui existe entre les joueurs et la marque PlayStation, confiance qui s’est construite année après année, mais aussi par le fait qu’il s’agit d’un des casques les moins chers du marché : 399€, là où l’Oculus Rift coûte 699€ et le HTC Vive 899€. Aux alentours de Noël, le succès du PSVR a été tel que Sony a dû freiner ses efforts publicitaires car les stocks n’arrivaient pas à suivre les demandes des clients. La marge de progression de Sony est également assez nette puisqu’il existe près de 60 millions de personnes possédant une PS4, nécessaire au fonctionnement de la PSVR.

Cette explosion des ventes de casques VR semblent donc avoir convaincu les éditeurs de l’intérêt économique de développer des jeux directement pour cette partie du marché. Et ce changement peut enclencher un cercle vertueux pour la VR. Un nombre croissant de jeux rendra les casques plus attractifs et devrait faire augmenter les ventes et le parc de terminaux compatibles installés. Un grand nombre de terminaux VR installés devrait ensuite convaincre un plus grand nombre d’éditeurs de produire des contenus directement pour la VR.

La VR semble sur le point d’exploiter son potentiel auprès du public. Mais il reste cependant de nombreux obstacles à franchir avant d’arriver à ce que la technologie soit réellement accessible auprès du grand public.

Les étapes à franchir avant d’arriver à la VR grand public

Mark Zuckerberg a déclaré en février dernier que la VR ne sera « réellement grand public qu’à l’horizon de 10 ans » et que la rentabilité ne sera pas au rendez-vous tout de suite. La technologie n’a qu’un an et à ce stade, les casques vendus aujourd’hui peuvent être vus, et le sont par beaucoup, comme des prototypes. Les casques actuels ne font que délivrer une expérience, pour donner aux utilisateurs le goût d’aller plus loin. La technologie proposée aujourd’hui comporte de nombreuses contraintes, particulièrement en termes de résolution de l’image, qui peut peser sur l’expérience utilisateur.

Le casque HTC Vive par exemple a besoin de ses deux capteurs, des fils et d’un ordinateur puissant  car pour éviter la sensation de gêne de l’utilisateur, il faut une résolution de 90 images par secondes sur chacun des deux écrans, là où un jeu vidéo fluide n’en nécessite que 60 par seconde, équivalent à l’UHD. Pour obtenir la résolution de l’œil humain, il faudrait atteindre une clarté de l’image 70 fois supérieure à celle des casques actuels. C’est sur ce point que la déclaration du PDG de Facebook prend tout son sens : la VR va devoir attendre l’avancée des technologies display pour pouvoir atteindre son plein potentiel.

Une fois ceci possible, et une fois les puissances de calcul ainsi que l’autonomie de la batterie des casques seront suffisantes, des casques autonomes, qui ne nécessitent ni fils, smartphone ou ordinateur, vont pouvoir se développer. Google a déjà annoncé le mois dernier s’être allié à HTC et Lenovo pour développer ce genre de casque. HTC a également annoncé au dernier CES un partenariat similaire avec Intel. Microsoft a d’ailleurs profité de l’E3 pour déclarer qu’il attendait d’être capable de produire et commercialiser ce type de casques sans fil pour investir massivement dans les jeux en réalité virtuelle. Phil Spencer, président de la division Xbox de Microsoft a d’ailleurs déclaré : « Pour que la réalité virtuelle touche le grand public, elle doit être sans fil ». Microsoft et Asus devraient d’ailleurs commercialiser un casque commun en 2018 qualifié de « Mixed Reality[3] » plutôt que de réalité virtuelle.

A plus court terme, de nombreuses autres entreprises semblent s’intéresser de près à la VR. Dell serait en train de développer un casque au prix abordable, et le nouvel iMac d’Apple est annoncé comme étant « VR-ready » et est destiné aux développeurs, et non aux joueurs. La multiplication des acteurs sur le marché devrait aboutir sur un choix plus varié pour l’utilisateur final et une baisse des prix. Le cabinet IDC prévoit par ailleurs le triplement des ventes de casque cette année.

Il est possible qu’il faille attendre un autre cycle de développement de la technologie avant de pouvoir vraiment parler de VR pour tous, grand public. Mais les annonces faites à l’E3 montrent que les acteurs du marché semblent déterminer à développer leurs offres en attirant d’abord les initiés au monde du jeu vidéo.

[1] On pourrait également mentionner Final Fantasy VR de Square Enix ou Batman Arkham VR de Warner Interactive parmi les annonces importantes de ce salon.

[2] Parmi les jeux annoncés on peut citer No Heroes Allowed ! de Acquire, MOSS de Polyarc ou Bravo Team de Supermassive Games.

[3] La Mixed Reality fait référence à une technologie utilisant la VR, la réalité augmentée ainsi que la 3D, permettant de pouvoir « faire entrer » des personnes physiques dans un univers virtuel.

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