L'édito de Philippe Bailly

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Le nouveau Dailymotion offre une caution précieuse aux technologies P2P

La nouvelle version de Dailymotion proposée depuis la semaine dernière aux internautes sur le marché français dans un premier temps est une refonte globale et d’envergure du service. Si les éléments les plus visibles restent un nouveau cœur de cible, une expérience utilisateur plus riche ainsi qu’un recentrage sur les contenus professionnels de nombreux partenaires, le nouveau Dailymotion repose également sur une architecture technologique ambitieuse ouverte à des solutions de distribution en Peer-to-Peer (P2P).

• Le P2P comme technologie de diffusion complémentaire

L’explosion de la vidéo sur IP, les usages multi-écrans ainsi que l’amélioration continue des formats vidéo obligent les diffuseurs de vidéo sur internet à réfléchir à des solutions de diffusion innovantes. Les coûts de bande passante sont au centre des problématiques actuelles et représentent un enjeu stratégique majeur. La priorité est donnée à la réduction de l’OPEX via des économies de bande passante et la mise en place de nouvelles infrastructures de diffusion capables de supporter les nouveaux standards ainsi qu’un volume de trafic croissant sans dégrader l’expérience utilisateur. Les modèles actuels de distribution sur internet commencent de fait à montrer leurs limites avec des pics de trafic et des goulots d’étranglement du réseau de plus en plus complexe à gérer. Les protocoles Unicast traditionnels, basés sur une relation one to one entre les serveurs et chaque utilisateur nécessitent de constituer des infrastructures toujours plus lourdes avec un maillage de serveurs de réseaux de distribution de contenus (CDN) géographiquement proches de l’internaute et la multiplication des points de peering. Une situation encore plus compliquée pour les flux live puisque par définition les vidéos ne peuvent pas être dupliquées à l’avance sur les serveurs CDN.

La recherche de modèles de distribution OTT complémentaires de l’unicast est donc une priorité pour continuer d’assurer la qualité de l’expérience et optimiser les coûts de diffusion. Dans tous les cas, le principal enjeu est de décentraliser les infrastructures de diffusion. Parmi les pistes explorées figurent le transport multicast qui a fait le succès de l’IPTV, mais également le Peer-to-Peer pour la diffusion de chaines ou de vidéos live OTT à grande échelle. La technologie du P2P est explorée comme une piste de travail depuis longtemps par les professionnels en raison de son avantage intrinsèque permettant le partage décentralisé des contenus en utilisant la bande passante disponible chez tous les internautes qui servent de relais. L’EBU en a fait un de ses chantiers d’exploration dès 2006 (1) et il existe maintenant plus de dix ans de recherche académique sur le sujet. Mais le P2P présente également des inconvénients majeurs qui ont freiné son déploiement à grande échelle par les services légaux et les principaux acteurs du streaming (asymétrie des connexions internet, absence de mesure et de contrôle de la distribution et donc de la qualité de service, nécessité d’installation d’un logiciel chez chaque utilisateur final…).

Ces freins sont majoritairement levés aujourd’hui en raison de progrès décisifs rendus possibles par les solutions développées et commercialisées par des start-ups comme Peer5 (Palo Alto, Californie) ou le français Streamroot (Paris et New York). Dans les deux cas les technologies sont relativement similaires avec deux types d’avancées majeures par rapport au P2P traditionnel. D’abord, l’hybridation du P2P avec les architectures CDN classiques. Les solutions ne remplacent pas les autres modes de diffusion mais s’y ajoutent tout en ne nécessitant qu’un effort d’intégration minimum. Les technologies sont donc complémentaires. Le P2P permet de soulager les réseaux face aux pics de trafic, chaque spectateur mettant sa bande passante à disposition pour partager le même flux vidéo ; mais si le P2P est trop faible (peers insuffisants), les informations manquantes sont alors récupérées via les serveurs CDN. La complémentarité se traduit également par la possibilité de capitaliser sur les avantages des infrastructures CDN dans le domaine de la sécurité. Les processus de géolocalisation des contenus, de gestion des droits numériques (DRM), de cryptage restent inchangés. Ces processus sont agnostiques en termes de technologie de diffusion et restent donc valides dans le cas de diffusion via une passerelle P2P. Ensuite, seconde avancée majeure, les solutions de diffusion P2P des deux sociétés sont optimisées avec des innovations et des technologies issues de l’internet ouvert à commencer par le protocole WebRTC (Real Time Communication). Celui-ci, distribué en open source par Google est intégré aux navigateurs HTML5 et au navigateur Safari d’Apple depuis le début le mois de juin et permet une communication directe, instantanée et sécurisée entre les utilisateurs. Il n’y a donc plus besoin de logiciels à installer pour créer un réseau de distribution en P2P. Tout se fait directement au sein des navigateurs (2). De même, Media Source Extensions (MSE), autre standard du W3C, permet la gestion du streaming adaptatif (y compris en MPEG-DASH) et des formats haute définition, HD et UHD 4K.

• Le P2P commercial obtient un soutien de poids

Dailymotion avant même sa refonte présentée la semaine dernière se plaçait parmi les plus importantes plates-formes de streaming dans le monde avec 300 millions d’utilisateurs revendiqués et 3,5 milliards de vidéos vues chaque mois. Si son intérêt pour les architectures de streaming assisté en P2P est donc logique, il est également précoce et très avancé. Il est vrai que le streaming en live pour laquelle ces technologies de diffusion sont particulièrement adaptées est également une des pistes de développement importante pour la plate-forme de Vivendi. Les partenariats avec le californien Peer5 et le français Streamroot ont donc été annoncés respectivement en septembre et octobre 2016. Depuis, les tests se sont multipliées sur certains formats (sport en direct, e-sport) et dans certains pays (l’Asie notamment). Les deux solutions sont aujourd’hui en production. Il semblerait également à en croire Peer5 lui-même que la solution américaine soit également utilisée pour Canalplay, le service de vidéo à la demande de Vivendi.

Ce choix de tester puis d’utiliser deux partenaires dont les solutions technologiques sont directement concurrentes montre la solidité de l’engagement de Dailymotion derrière le streaming assisté en P2P. Surtout, il apporte une caution et une forme de validation pour ces nouvelles formes de distribution OTT alternatives. Une question qui n’est pas neutre puisque derrière l’aspect technologique le peer-to-peer souffre d’un véritable problème de légitimité qui trouve ses origines dans son histoire intimement lié au succès de la technologie décentralisée pair à pair BitTorrent et donc au piratage des contenus. Le support de Dailymotion, lui-même engagé dans une stratégie de recentrage sur les contenus premiums et professionnels et donc dans une stratégie de partenariats avec les grands éditeurs pourrait s’avérer décisif pour les spécialistes de la technologie comme Peer5 et Streamroot. De fait, le principal écueil qu’ils rencontrent aujourd’hui reste les réticences des industries du contenu qui craignent toujours que la technologie P2P, même commerciale, soit synonyme de piratage. Au point pour certains acteurs de mentionner explicitement dans leurs contrats avec les distributeurs que l’utilisation de cette technologie est interdite. Si Dailymotion n’est pas le premier acteur professionnel à utiliser ce mode de diffusion, son envergure est sans conteste un atout majeur pour l’avenir du peer-to-peer.

(1) Les travaux ont débouché en 2010 sur la publication d’un rapport de référence, TECH REPORT 009, Peer-to-Peer (P2P) Technologies and Services

(2) WebRTC reste néanmoins limité pour l’instant à l’univers du PC, le standard étant encore peu supporté sur les terminaux mobiles. Mais Peer5 a déployé un SDK Android et prévoit un SDK iOS d’ici la fin de l’année.

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