L'édito de Philippe Bailly

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Android TV s’impose progressivement comme une alternative crédible pour les opérateurs

 

Android TV a été officiellement présenté par Google en juin 2014 lors de la conférence Google I/O afin de remplacer l’OS Google TV qui reste un cuisant échec sur le marché de la télévision connectée. L’OS a rapidement trouvé sa place dans l’univers des streaming boxes (Google Nexus Player, NVIDIA Shield, Xiaomi Mi Box parmi les principales) et des Smart TV (Sony, Sharp et Philips dès leurs gammes 2015 puis Arcelik, Vestel, RCA, Hisense, TCL et Bang & Olufsen en 2016-2017). En revanche,  hormis quelques opérateurs télécoms pionniers, notamment Bouygues Telecom (Bbox Miami) et Free (Freebox mini 4K) en France, First Media en Indonésie ou KT et LG U+ en Corée du Sud, l’OS de Google n’avait pas réussi à convaincre les câblos et les telcos. Ces derniers ont évidemment de très fortes réticences à laisser Google prendre en partie le contrôle de leurs box et donc les précieuses données d’usage qui les accompagnent. De même, une plateforme de télévision ouverte comme Android TV est logiquement perçue comme un cheval de Troie par la télévision payante, ouvrant les portes à de nouveaux services OTT alternatifs et pouvant donc conduire in fine à des phénomènes d’abandon progressif des offres payantes traditionnelles.

  • Android TV se généralise progressivement au sein de l’écosystème

Pourtant, force est de constater que la situation aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de 2014-2015 et qu’Android TV occupe désormais une position centrale dans l’écosystème de la télévision payante. Plusieurs indicateurs illustrent ce phénomène. D’abord la multiplication des annonces du côté des opérateurs du câble et de télécommunications. De fait, plusieurs grands noms, tant sur les marchés matures que sur les marchés moins matures ont rejoint la liste initiale des opérateurs partenaires déjà mentionnés. En Europe, TIM Vision (Telecom Italia) propose un boitier hybride TNT et Android TV assemblé par Technicolor depuis 2016. Idem pour Swisscom avec sa nouvelle TV-Box UHD. En 2017 le mouvement s’est accéléré avec l’arrivée de décodeurs tournant sous l’OS Android TV chez les câbloopérateurs locaux Telecable, Euskatel et R cable ainsi que l’opérateur télécom (ADSL et fibre) MÁSMÓVIL en Espagne. Plus au nord, les scandinaves Canal Digital (Telenor),  Stofa au Danemark, et plus récemment Com Hem en Suède ont également franchi le pas. Et une annonce d’envergure a été faite sur le marché allemand du côté de Vodafone et d’une nouvelle box Android TV en 2018 pour sa plateforme Giga TV. Si on y ajoute des rumeurs sur le marché français (une prochaine Bbox Brooklyn 4K chez Bouygues Telecom et un boitier Technicolor chez SFR[1]) on peut donc noter un vrai mouvement d’accélération en Europe. L’Asie n’est pas en reste avec des offres existantes en Inde (Airtel), en Indonésie (First Media), au Japon (CCC, KDDI mais surtout NTT DoCoMo l’année prochaine) en plus des partenaires historiques sud-coréens. La situation semble plus bloquée en Amérique du nord, zone géographique de prédilection pour le câble qui continue de privilégier la plateforme Middleware open source RDK (Linux) standardisée par Comcast, Time Warner Cable et Liberty Global. Néanmoins des premières brèches apparaissent chez les concurrents des télécoms ou du satellite via des offres alternatives. Dish propose ainsi une solution professionnelle (hôtellerie notamment) de même qu’un boitier hybride (avec le numérique terrestre), le AirTV, destiné à compléter ses bouquets OTT Sling TV. Enfin, AT&T se prépare à suivre le même chemin en annonçant la sortie prochaine d’une box OTT sous Android TV pour supporter ses offres DirecTV NOW[2].

Si la liste des opérateurs ne cesse de s’allonger, c’est également le cas pour les constructeurs et les assembleurs de décodeurs. Le cas de Technicolor qui s’est positionné très en amont sur Android TV est significatif. Le groupe annonce ainsi qu’il a signé son premier client à la fin de l’année 2015. A la fin de l’année 2016, il était passé à huit clients pour une de ses box Android TV. En février 2017, à l’issue du Mobile World Congress, quinze opérateurs utilisaient les solutions Technicolor[3] et le groupe prévoit d’ici la fin de l’année entre 20 et 25 clients au total. Dès l’IBC 2016, au mois de septembre, Ericsson rejoint Technicolor en annonçant un partenariat avec Google afin d’intégrer Android TV à sa solution phare, la plateforme SAAS MediaFirst TV (les clients d’Ericsson ont donc le choix entre Android TV et RDK). Un an plus tard, à l’IBC 2017, c’est ARRIS, spécialiste du traitement et de la distribution vidéo qui fait la démonstration d’une nouvelle gamme de Set-top-box basée sur Android TV. Parmi les autres grands noms il faut ajouter le britannique Amino qui intègre depuis cette année également Android TV dans son portefeuille de solutions (hardware et Software). Enfin, les spécialistes de l’expérience utilisateur ne sont pas en reste puisque Accedo, Espial, SeaChange ou NAGRA ont tous des plateformes désormais compatibles avec l’OS de Google. Autrement dit, c’est l’ensemble de l’écosystème IPTV-Câble qui est capable de proposer aux opérateurs des solutions complètes sous Android TV.

  • Des chiffres et des prévisions d’adoption très dynamiques

Dès lors, on assiste fort logiquement à une explosion du rythme d’adoption et des prévisions concernant Android TV. Au mois de mai 2017, Google a officiellement communiqué sur 1 million de nouveaux terminaux Android TV activés tous les deux mois et sur un doublement de la base utilisateurs en un an[4]. Des chiffres plus précis sont apportés par une récente étude du cabinet américain S&P Global Market Intelligence. D’après cette étude l’ensemble des ventes de terminaux sous Android TV s’élevait à 7,6 millions d’unités en 2016. Les prévisions sont de 11 millions de ventes en 2017, 17,7 millions en 2018 pour un atterrissage en 2021 à 40,1 millions. Au sein de ce grand ensemble ce sont les segments Smart TV et Set-top boxes opérateurs qui tirent le marché avec pour 2017 des prévisions de 7,7 millions de smart TV vendues et de 1,8 millions de Set-top boxes contre 1,5 millions d’autres terminaux (streaming Media players du type NVIDIA Shield ou micro-consoles de jeux). Mais, dès l’année prochaine les Set-top boxes opérateurs représenteraient 28% du total avec 4,9 millions d’unités (16% du total seulement cette année). Enfin, un dernier élément permet de confirmer la montée en puissance d’Android TV. Une étude réalisée par Ovum pour le compte d’Irdeto sous la forme d’une campagne d’entretiens menée en février 2017 auprès de 301 professionnels du secteur (opérateurs de télévision payante, telcos, opérateurs de réseaux et éditeurs de services OTT) répartis sur toutes les zones géographiques montre que l’OS de Google est désormais bien intégré dans la feuille de route de l’écosystème. Ainsi, 72% des décideurs interrogés considèrent que l’implémentation d’Android TV fait partie de leur stratégie de court, moyen ou long terme pour le développement de leurs prochaines Set-top boxes. Le court terme est surreprésenté au sein des groupes les plus importants en nombre d’abonnés et sur les marchés les plus matures[5].

 

  • De nombreuses opportunités mais des risques importants pour les opérateurs

Ce changement de paradigme au sein de l’industrie, si longtemps réticente envers les différentes plateformes de télévision connectée développées par Google repose sur deux principaux éléments. D’abord les évolutions rapides du marché avec le poids pris aujourd’hui par la distribution OTT et les principaux services de streaming. Le risque perçu par les opérateurs n’est plus désormais d’ouvrir leurs boxes à l’OTT mais plutôt de ne pas les ouvrir suffisamment rapidement afin de ne pas perdre une partie des consommateurs. Ensuite, Google a su accompagner cette évolution en abandonnant l’arrogance et les effets de manche disruptifs qui prévalaient à l’époque de Google TV. Il a au contraire assoupli les spécifications et s’est ouvert aux préoccupations des opérateurs. Ainsi Android TV regroupe aujourd’hui plusieurs versions différentes dont une version dite « Operator Tier » (mai 2017) qui apporte aux différents partenaires beaucoup plus de souplesse que les versions précédentes dans la manière de configurer et de personnaliser l’interface utilisateur. Cette décision de Google d’introduire une liberté de choix dans l’UEX a changé la donne et permis le décollage d’Android TV. Concrètement, le « Launcheur » de la version « Operator Tier » permet à l’opérateur de conserver son environnement propriétaire et sa propre interface utilisateur comme la porte d’entrée principale de l’expérience. Un atout qui conduit donc un nombre croissant d’opérateurs à penser que les avantages d’Android TV l’emportent aujourd’hui sur ses inconvénients.

Le premier atout d’Android TV est sans contexte la possibilité de réduire à la fois les coûts et les délais de développement et de lancement d’une nouvelle STB et/ou d’une nouvelle UX par rapport aux boitiers et aux interfaces propriétaires. Le cycle complet de lancement pourrait être réduit à 6 à 10 mois alors que le lancement d’une plateforme de télévision payante nécessite généralement deux ou trois ans de développement. Android TV permet donc aux opérateurs de lancer très rapidement un nouveau produit sur le marché. En revanche, si Android TV est une solution largement pré-intégrée, elle n’est pas fournie totalement prête à l’emploi. Pour une expérience optimale, les opérateurs qui choisissent cette plateforme open source doivent travailler avec un intégrateur système et / ou un développeur de Set-top box pour intégrer nombre de fonctionnalités qui ne sont pas natives à Android TV.

En outre, le système d’exploitation est mis à niveau régulièrement tant pour les mises à jour de sécurité que pour l’intégration de nouvelles fonctionnalités. Au premier rang de celles-ci figure bien sûr l’ouverture OTT de la plateforme livrée avec des services et des applications pré-intégrées dont l’ensemble des principaux services de streaming que cherchent les utilisateurs. La recherche vocale, le PVR font également partie des fonctionnalités intégrées. Il en est de même pour le mode Picture-in-Picture, et surtout le TIF – TV Input Framework – qui permet donc la personnalisation de l’UX par l’opérateur mais également de proposer une recherche et une recommandation transversales sur l’ensemble des sources (chaînes du câble ou IPTV et contenus OTT dans une seule interface utilisateur). Enfin, le « Direct Carrier Billing » permet à l’opérateur de facturer directement les abonnés pour leurs transactions effectuées sur le Google Play Store sur la base d’un partage des revenus avec Google.

Pour autant, de nombreux compromis subsistent pour un opérateur intégrant Android TV y compris dans sa version « Operator Tier ». Fondamentalement, il est nécessaire pour obtenir la certification de se conformer à certaines exigences qui impliquent qu’une partie de la roadmap des futurs développements de l’opérateur est finalement, sinon dépendante, au moins copilotée par Google, dont les exigences peuvent évoluer rapidement. A titre d’exemple, Android TV a récemment ajouté de nouvelles fonctionnalités dans le cadre de la mise à jour 6.0 publiée cette année dont le support obligatoire de Google Assistant, ce qui va permettre d’intégrer le téléviseur dans l’écosystème Google Assistant qui s’étend désormais à Google Home et l’ensemble des solutions de Smart Home. Un vrai problème si cette même thématique fait partie du cycle d’innovation d’un opérateur.

Un autre problème majeur réside dans l’obligation d’offrir un accès illimité à l’écosystème applicatif Android TV, ce qui signifie qu’il n’est pas possible pour un opérateur[6] d’interdire ou de bloquer l’accès à certaines applications qui peuvent pourtant concurrencer ses propres services comme dans le cas de la vidéo à la demande. Cette perte de contrôle du système d’exploitation peut donc potentiellement signifier des baisses de revenus et une décroissance de l’ARPU. A contrario, la richesse du magasin d’applications assure à l’opérateur qui en a fait le choix de se positionner comme un super agrégateur de contenus, offrant à ses utilisateurs le meilleur de l’univers OTT. Chacun doit donc évaluer si la prise de risque est trop élevée ou si au contraire elle peut permettre de rester positionné comme principale porte d’entrée dans l’univers du divertissement vidéo au moment où pullulent les terminaux et les solutions purement OTT.

Enfin, quels que soient les avantages ou les inconvénients, Android TV implique pour l’opérateur un partage de ses données d’utilisation avec Google et donc une forme d’accès à ses données concernant ses abonnés. Un choix difficile pour les opérateurs les plus puissants en compétition frontale avec les GAFA.

[1] http://www.phonandroid.com/sfr-nouvelle-box-android-tv-preparation.html

[2] Il convient d’ajouter le service encore en Beta de CenturyLink, baptisé Stream et qui propose des mini bouquets OTT pour la population hispanophone avec une fois de plus la possibilité d’acheter un boitier Android TV, le CenturyLink Player.

[3] http://thefuturetrust.technicolor.com/article/content-experiences-everywhere/technicolors-gaetan-delcroix-how-android-tv-technology-is-helping-network-service-providers-around-the-world-introduce-over-the-top-services/

[4] https://blog.google/products/android/2bn-milestone/

[5] https://resources.irdeto.com/irdeto-conditional-access/ovum-industry-survey-report-is-android-the-future-of-the-set-top-box

[6] C’est une des différences majeure entre Android TV et AOSP (Android Open Source Project), beaucoup moins riche et nécessitant beaucoup plus de développements mais qui permet à l’opérateur – comme le fait à son niveau Amazon par exemple – de garder le contrôle complet sur le magasin d’applications en bloquant l’accès à certaines d’entre elles notamment.

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