L'édito de Philippe Bailly

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Apple s’appuie sur de nombreux talents pour accélérer sa stratégie de contenus originaux

Alors qu’Apple vient de présenter ses derniers résultats trimestriels[1], avec +34% de revenus pour la division Services (App Store, Apple Music, Apple Pay) qui dépasse ainsi le chiffre d’affaires généré par les ventes d’iPad, d’Airpods, d’Apple TV, Apple Watch et Ipod, la firme continue son déploiement et multiplie les relais de croissance en se lançant dans les contenus originaux. Avec un budget estimé à 1 milliard d’euros pour une année[2], Apple a déjà commencé à acheter et produire ses propres contenus. Faut-il y voir un pas vers la création d’une nouvelle plateforme de streaming lancée en dehors de son circuit fermé ? Quel est le potentiel de ces nouveaux contenus dans un contexte hyperconcurrentiel ?

Big guns

Il y a un sens pour Apple à s’aligner sur les stratégies des autres acteurs internationaux. Vouloir son Game of Thrones ou son Seigneur des anneaux pour élargir le business de ses contenus va aujourd’hui dans le sens de toute société innovante et compétitive des médias ou de la Tech. Il s’agit avant tout d’un produit d’appel. Ainsi, dans un premier temps, l’équipe des contenus d’Apple s’est étoffée avec l’arrivée de Zack Van Amburg et Jamie Erlicht de Sony Pictures, le studio à l’origine de Breaking Bad, le recrutement de Jay Hunt, la chef de la création de Channel 4, nommée responsable des opérations de création vidéo européennes. Enfin, Morgan Wandell, l’ancien responsable des séries internationales chez Amazon Studios est devenu chez Apple le responsable « international creative development for worldwide video ». Côté contenus, les noms prestigieux s’enchaînent pour Apple. Avec sa société de production, Steven Spielberg est ainsi sans doute le plus grand nom de l’histoire de la télévision et du cinéma. La crédibilité des équipes dans l’univers des contenus est ainsi plus que nécessaire. Apple aligne ainsi les « big guns » pour s’offrir de multiples possibilités mais savoir s’entourer ne signifie pas nécessairement le succès imparable.

Reboot et stars suffiront-ils au succès d’Apple dans les contenus ?

Avec un budget d’1 milliard de dollars, Apple s’implique « doucement » dans les contenus en comparaison avec les chiffres d’investissement dans les contenus de Netflix (7 milliards de dollars en 2018) ou d’Amazon (4,5 milliards de dollars en 2017) qui vient tout juste de s’offrir les droits télé du Seigneur des anneaux (pour 250 millions de dollars) dans l’objectif d’en faire une série tv. Amazon, davantage dans une logique de circuit fermé et de fidélisation de ses abonnés, pourrait être le modèle privilégié par Apple, pour davantage de « premiumisation » de ses services. En effet, lorsque Jeff Bezos explique : “when we win a Golden Globe, it helps us sell more shoes”, Tim Cook pourrait expliquer la même chose avec Apple : quand une série proposée sur le service vidéo d’Apple (pour le moment Apple Music), jouée par de grandes stars, est un succès, les spectateurs restent attachés à la marque Apple, à tous ses produits et services, et font grimper les ventes dont les profits seront réinjectés dans les programmes. Encore faut-il que les programmes soient des succès, au moins pour quelques-uns.

Apple a déjà produit cette année deux émissions, Planet of the Apps et Carpool Karaoke, qui ne semblent pas avoir séduit les critiques et qui en a surpris plus d’un : en effet, la 1ère est une émission de télé-réalité lancée en juin 2017 avec la diffusion d’un épisode toutes les semaines dans lequel un jury composé de célébrités et d’entrepreneurs (Jessica Alba, Gwyneth Paltrow, Gary Vaynerchuck et will.i.am) donne sa chance à des développeurs d’applications. Ce genre d’émission, une télé-réalité sur Apple (un non-sens pour beaucoup d’utilisateurs), et un jury très showbiz pour un concours de business technologique, ont été les principales critiques du programme. La 2ème émission, Carpool Karaoké, réunit avec James Corden une ou plusieurs célébrités dans une voiture. Pastille culte du Late late show with James Corden sur CBS, Apple s’empare du concept pour en faire une séries hebdomadaire diffusée sur Apple Music depuis le 8 août 2017, mais avec un incarnant qui n’est pas toujours présent dans les pastilles laissant la place au casting de choc. Or, James Corden est un élément essentiel dans ce format. Par ailleurs, il s’agissait auparavant d’une pastille au sein d’un talk, un break divertissant, loin d’un programme à part entière pour lequel le risque de lassitude est plus élevé malgré la présence d’un casting détonant.

Aujourd’hui, la stratégie de développement de séries originales d’Apple se renforce : après avoir remporté le contrat du reboot d’Histoires fantastiques, la série fantastique américaine en partie réalisée par Steven Spielberg entre 1985 et 1987, Apple vient de signer avec la société Media Res, dont Jennifer Aniston et Reese Witherspoon sont co-propriétaires, les droits d’une série qui se déroule dans l’univers des matinales TV américaines. Mais ces deux contenus sauront-ils donner à Apple toute sa légitimité dans ce domaine ? Avec un budget de 5 millions de dollars par épisode pour Histoires Fantastiques, série créée par Steven Spielberg, le reboot composé de 10 épisodes mise sur l’engouement actuel des fans de séries pour la science-fiction : The Walking Dead, Game of Thrones, Stranger Things, Histoires fantastiques semble en effet s’intégrer dans ce paysage surnaturel mais tout en s’appuyant sur une marque ancienne, probablement inconnue des millenials, et dont les audiences de l’époque étaient décevantes, la série étant davantage considérée comme un incubateur de talents et de scénarios plutôt que comme une nouvelle série destinée à durer. Cette série rayonnait en effet grâce au casting de taille dans chacun des épisodes (Charlie Sheen, Kevin Costner, Harvey Keitel, etc.) et grâce à la renommée internationale de Steven Spielberg. Aujourd’hui, alors que les grandes marques de science-fiction sont luxuriantes (reboot également annoncé de La Quatrième Dimension sur CBS All Access), que le nom de Steven Spielberg n’est plus un gage de succès (par exemple le faible succès de The BFG), que la marque programme en question est une survivance d’une autre époque, celle du linéaire, la série ne sera pas nécessairement le « hit » d’Apple.

Concernant la série co-produite par Jennifer Aniston et Reese Witherspoon, il s’agit de l’adaptation du roman de Brian Stelter sur l’univers des matinales de la télévision américaine et des médias new-yorkais. Deux saisons ont déjà été commandées avec chacune 10 épisodes. Ce qui peut apparaître comme un succès pour Apple, avec 20 épisodes déjà commandés, un casting ultra prestigieux, pourrait se révéler une mauvaise stratégie. En effet, le public d’Apple est-il en phase avec l’univers de Jennifer Aniston, Reese Witherspoon et de leur proposition éditoriale ? La vision d’Apple tournée vers les nouvelles technologies et une consommation moderne de la télévision semble en contradiction avec l’univers des matinales TV américaines et de leurs animateurs malgré tout le succès qui leur incombe. De même, la « brand personality » des deux actrices ne semblent pas être complétement en lien avec celle d’Apple : l’une sort tout juste d’une série à succès diffusée sur HBO (Big little lies), l’autre est toujours marquée par la série tv Friends largement valorisée sur Netflix. Ces deux stars du petit écran devront être particulièrement convaincantes pour attirer les utilisateurs d’Apple ou sinon Apple devra ouvrir un peu son écosystème pour être moins sous contrôle de son environnement et élargir son public.

L’ambition d’Apple de rivaliser avec des diffuseurs traditionnels ou des services de streaming ne dépend pas uniquement du nombre de talents que le constructeur peut attirer et de l’argent injecté dans les contenus mais aussi de sa capacité à convaincre à la fois les aficionados de la pomme, les non abonnés aux services d’Apple et les téléspectateurs traditionnels, qu’Apple sait faire des séries. En effet, une marque programme se crée dans un univers précis, avec un marketing et une distribution clairs pour la communauté, et plus largement pour l’ensemble des consommateurs de contenus.

[1] http://www.numerama.com/business/302993-resultats-trimestriels-dapple-q4-2017-liphone-va-bien-les-services-encore-mieux.html

[2] Wall Street journal du 16 août 2017

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