L'édito de Philippe Bailly

Vous souhaitez recevoir l’Insight NPA ?

Taylor Swift refuse toujours le streaming pour son nouvel album

La chanteuse américaine Taylor Swift a sorti le 10 novembre dernier son nouvel album, intitulé « Reputation ». Comme certains de ses derniers albums, celui-ci risque de ne pas être disponible sur les sites de streaming avant quelques semaines.

Composé de 15 titres, l’album entier ne figure pour le moment sur aucune plateforme de streaming. Seuls quelques trois ou quatre titres sortis en single sont disponibles notamment sur Deezer, Apple Music et Spotify. Selon Bloomberg, les services de streaming seraient en négociations avec l’équipe de la chanteuse, qui leur a de son côté annoncé que l’album ne seraient pas disponible en streaming durant sa première semaine de sortie (et donc de vente). On pourrait donc s’attendre à des changements d’ici la fin de la semaine mais rien n’a été confirmé… Pour le moment, l’album est commercialisé en « physique » dans les magasins (tels que UPS et Target avec lesquels des partenariats ont été signés) ainsi qu’en digital sur des boutiques en ligne telles qu’iTunes.

  • Retour sur les conflits entre la chanteuse et les plateformes

Ce choix de disponibilité s’inscrit dans un passé conflictuel entre l’artiste et les plateformes de streaming qui avait commencé en 2014. Taylor Swift s’opposait alors à une politique de Spotify qui rendait toute la musique disponible même aux utilisateurs non payants. Par ailleurs, elle estimait aussi que ces plateformes lésaient financièrement leurs artistes : Spotify a par exemple eu de réels problèmes de paiements de royalties et Apple Music (lancé en 2015), qui offre 3 mois gratuit à tous ses nouveaux abonnés, n’avait initialement pas l’intention de rémunérer les artistes durant cette période d’essai. Le géant américain était finalement revenu sur cette décision après des attaques publiques de la part de Taylor Swift. La chanteuse avait alors tout de même laissé l’intégralité de ses chansons hors des sites de streaming en signe de désaccord. En 2015, ses contenus étaient disponibles uniquement sur la plateforme Tidal (service 100% payant), après que la chanteuse ait passé des accords avec la compagnie de Jay-Z.

Le conflit entre Taylor Swift et Spotify avait été à l’époque public, par comptes interposés sur les réseaux sociaux notamment, lieu où la plateforme suédoise avait essayé de faire revenir la chanteuse sur sa décision dans une campagne de communication humoristique. Celle-ci n’a rendu ses contenus accessibles de nouveau qu’en juin dernier après des accords passés avec certaines plateformes.

Mais elle n’est pas la seule à avoir boycotté certaines, ou la totalité, des plateformes de streaming de musique. Adele avait gardé son album « 25 » hors des plateformes de streaming durant les 7 mois suivant sa sortie. Résultat, sur l’année de sa sortie l’album a battu des records de ventes avec presque 10 millions d’exemplaires vendus seulement aux Etats-Unis. A titre de comparaison, cela représente plus que la meilleure vente de 2013 et 2014 additionnées. Dès sa sortie, l’album d’Adele avait été vendu à plus de 3.3 millions d’exemplaires en une semaine aux Etats-Unis, soit le meilleur démarrage de tous les temps.

Par ailleurs, « Lemonade », l’album de Beyonce sorti en 2016 en exclusivité sur la plateforme Tidal (pour des raisons de compétitivité car elle en est partenaire), n’est toujours pas disponible sur Spotify ou Apple music. Selon l’International Federation of the Phonographic Industry, cet album s’est vendu à 2.5 millions d’exemplaires (physique et digital) dans le monde, soit la meilleure vente d’album en 2016.

  • Maîtresse du marketing avec une stratégie millimétrée

Si ce retrait de contenus des plateformes peut paraître éthique d’un côté, il peut également opérer une stratégie marketing et financière astucieuse de l’autre. En effet, les fans peuvent se trouver contraints d’acheter l’album, physique ou digital, à défaut de pouvoir l’écouter librement en streaming, et ce même pour les fans payant un abonnement mensuel à l’une de ces plateformes. Pour son dernier album, « 1989 », Taylor Swift l’avait rendu disponible 8 mois après sa sortie sur certaines plateformes (comme Apple Music) après être parvenue à certains accords – financiers notamment –, alors qu’elle avait déjà vendu 10 millions d’exemplaires dans le monde de ce même album. Et lors de la première semaine de sa sortie, il avait été vendu à plus de 1 280 000 exemplaires.

Si la stratégie du manque et de la rareté ont souvent fait leurs preuves dans l’industrie de la musique, il n’est pas négligeable de rappeler qu’en plus de vendre des millions de disques, Taylor Swift est également extrêmement influente : elle possède plus de 85 millions de followers sur Twitter et plus de 100 millions sur Instagram. C’est d’ailleurs sur ces réseaux qu’elle avait organisé le dévoilement de ses nouveaux singles et de son nouvel album en teasers, après en avoir supprimé l’intégralité des contenus au mois d’août dernier, faisant réagir de nombreux fans ainsi que la presse.

La chanteuse peut de ce fait se permettre d’imposer ses propres règles, notamment auprès des diffuseurs en streaming. Vendredi dernier, son titre « Look what you made me do », faisant partie du nouvel album, a engendré à lui seul plus de 10 millions de streams sur Spotify, battant le record du titre le plus écouté en une seule journée selon la plateforme. Selon Les Inrocks, « les critiques de la jeune star adressées à l’industrie musicale pourraient progressivement aider à changer le fonctionnement économique des plateformes de streaming. Les artistes de grande renommée pouvant faire preuve d’exigence pourraient entraîner un changement qui serait finalement profitable à tous les musiciens. »

Par ailleurs, l’importance du streaming aujourd’hui n’est plus celle d’il y a deux ans. Il représente actuellement plus de 60% de la consommation de musique aux Etats-Unis, selon Nielsen sur les six premiers mois de l’année 2017. Alors que lors de la sortie de « 1989 » en 2014, le streaming ne représentait que 23% de la consommation de musique aux Etats-Unis.

Si la stratégie marketing de la chanteuse est millimétrée, elle ne lésine pas non plus sur l’incitation à la consommation. Elle utilise par exemple Ticketmaster et Verified Fans, des technologies pour vendre ses tickets de concerts en toute sécurité tout en vérifiant que vous n’êtes pas un « robot ». Cela permet de vendre les billets directement aux fans et d’empêcher leur vente en gros ainsi que leur revente à prix d’or sur internet, une fois les dates de concerts complètes. Mais lors de sa dernière tournée, Tickemaster avait personnalisé son système de vérification pour la chanteuse en incitant les fans à acheter des produits dérivés ou des CD. Plus un spectateur achetait des produits, plus il pouvait accéder à des contenus gratuits (tels que des vidéos à regarder ou des contenus à publier en ligne) et plus il avançait dans la file en ligne pour accéder à la vente de billets.

Si l’emploi de ces technologies a pu être critiqué, la chanteuse de seulement 27 ans instaure son propre business model, imposant sa propre chronologie, et cela fonctionne.
Le clip de son titre « Look what you made me do » a fait exploser le record du nombre de vues en 24h sur Youtube (auparavant détenu par Adele pour « Hello ») en engendrant plus de 28 millions de vues le jour de sa publication. Plusieurs des clips de son dernier album, « 1989 », cumulent par ailleurs plus de 2 milliards de vues actuellement.
Son nouvel album « Reputation » vient de dépasser le million de ventes en moins d’une semaine de commercialisation. Encore un record donc pour la star de la pop, qui touche plus de rémunération sur un disque vendu que sur un stream.

En outre, la chanteuse était en 2016 l’artiste la mieux payée au monde selon le magazine Forbes, avec plus de 170 millions de dollars générés. La tournée de son album « 1989 » a rapporté plus d’un quart de milliard de dollars rien qu’en Amérique du Nord, ce qui bat encore un record pour une tournée sur le continent.

Vous êtes abonnés à l’Insight NPA ? Merci de renseigner vos identifiants pour accéder à l’ensemble de cet article.

Pas encore inscrit à l'Insight NPA ?