L'édito de Philippe Bailly

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Valorisation de Spotify : consécration durable ou feu de paille ?

La valeur de Spotify atteindra-t-elle 39Mds$ au terme de son entrée en bourse, soit trois fois plus qu’en… juin 2017 ? La prévision avancée par les analystes de la société américaine MKM Partners témoigne à elle seule du rebond spectaculaire que le marché de la musique a opéré grâce au streaming payant et qui a permis, par exemple, à la France d’enchaîner deux années de croissance (+5,4% en 2016 ; +3,9% en 2017). Elle conduit aussi certains analystes à une comparaison tentante entre Spotify et Netflix… dont Les Echos marquent à juste titre les limites.

« La faiblesse du modèle financier de Spotify est qu’il dépend de trois majors, Universal, Warner et Sony Music, et d’un représentant des indépendants, Merlin, qui détiennent 85% du marché et lui imposent des commissions sous forme d’un pourcentage fixe -environ 75%- de ses revenus », relève ainsi Nicolas Madelaine. Exprimé en d’autres termes : Spotify paie aux studios un « loyer » dont il ne peut s’affranchir sous peine de perdre l’accès à leurs répertoires, et dont le montant va croissant avec le nombre de ses abonnés. Autrement dit, son modèle n’offre pas de scalabilité, et la concentration du secteur de la production musicale ne lui permet pas de rechercher de fournisseurs alternatifs. Quant à son principal actif, son parc d’abonnés, il est convoité par un nombre croissant de concurrents, surpuissants financièrement et qui bénéficient de position clé pour séduire les clients : intégration optimisée à l’OS de leur mobile (Google et Apple), association à une offre de e-commerce (Amazon…).

A l’inverse, le tournant de la création originale a permis à Netflix de se constituer progressivement un catalogue dont il peut ponctuellement valoriser les droits (Marseille, par exemple, avec TF1), qu’il peut exploiter sur l’ensemble des territoires, et sur lequel il peut capitaliser pour faire évoluer ses prix : quand la (quasi) exhaustivité constitue la promesse de base des services de streaming musicale, interdisant par la même de jouer – sauf à la marge – sur la notion d’exhaustivité, les franchises Netflix (Hause of Cards, Narcos, Orange is the new black…) lui permettent de jouer sur la préférence de marque pour augmenter régulièrement ses prix : de 7,99€ début 2014 à 10,99€ pour son offre centrale, via trois hausses successives.

Les patrons des groupes audiovisuels français ne manqueront pas de s’y référer à propos de la prochaine réforme du cadre législatif national. « Gouvernance des chaînes, mode de nomination des pdg, réforme du financement, avenir du CSA, chronologie des médias, régulation du marché publicitaire, rapports producteurs-diffuseurs, périmètre de France Télévisions, rapprochement avec Radio France et France Média Monde, création d’une présidence commune (et non plus d’une holding)… Ce sont là quelques-uns des axes d’un projet de loi aux allures de mille-feuille », avançait ce 1er avril le Journal du dimanche. La répartition des droits entre chaînes et producteurs devrait – une fois de plus – figurer en bonne place dans les discussions destinées à le préparer.