L'édito de Philippe Bailly

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Marché unique numérique : de nouveaux équilibres pour un nouvel espace de régulation

Krisztina Stump, directrice adjointe du Département de la convergence des médias et des contenus de la Commission européenne

La représentante de la Commission européenne a ouvert la table-ronde en exposant les principaux chantiers du marché unique numérique relatifs à l’audiovisuel : le règlement portabilité, la directive SMA, la directive droit d’auteur et le règlement « câble/sat 2 ». .

La principale controverse dans le cadre de ce dernier texte a trait à la territorialité des droits. Pressée sur ce sujet par les autres intervenants, elle a réaffirmé plusieurs fois que le principe de pays d’origine prévu dans le règlement « câble/sat 2 » n’était qu’une option, qui n’avait aucune influence sur la liberté contractuelle des parties. Celles-ci pourront donc continuer à négocier la cession des droits de diffusion pays par pays. En outre, le principe ne concerne que certains services et certains contenus spécifiques.

Elle a affirmé que les différents textes du marché unique numérique organisaient une modernisation globale du marché et de son cadre juridique, qui profitera aux entreprises européennes qui ambitionnent de devenir des acteurs mondiaux. Elle accepte comme normales les critiques de cette nouvelle législation, qui ne peut satisfaire tout le monde, et demeure confiante dans l’aboutissement à un cadre juridique équilibré.

Interrogée sur la position de l’exécutif européen à l’égard des GAFA, elle a exposé que la Commission n’avait pas de « balle d’argent » contre les plateformes américaines. Elle ne peut que donner aux européens de bonnes conditions d’exercice de leur activité, en tenant compte de la spécificité de chaque secteur d’activité.

Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC

Pour Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC, trois points fondamentaux ressortent de l’accord trouvé la semaine dernière sur la directive SMA :

  • La possibilité accordée à l’ensemble des Etats membres de taxer des plateformes de partage vidéo ou des organismes de radiodiffusion établis à l’étranger mais ciblant leur marché. Interrogé sur les modalités d’application de cette mesure, M. Tardieu explique qu’il est encore trop tôt pour se prononcer ; l’adoption formelle du texte révisé doit intervenir dans les prochaines semaines à l’issue des dernières réunions techniques et la transposition dans la loi française à la fin 2018. Mais « il va de soi que le système ne peut fonctionner qu’à condition qu’il y ait une vraie coopération entre les différentes instances de régulation nationales », souligne-t-il.
  • L’obligation, pour les services de médias à la demande, de réserver une part d’au moins 30% de leur catalogue aux œuvres européennes.
  • L’obligation de garantir l’exposition de ces contenus.

Sur ce dernier point, le CNC annonce qu’il sera vigilant et attentif à la mise en œuvre et au contrôle de cette obligation, qui imposera de « se pencher sur l’algorithme » des plateformes.

En outre, si le règlement « portabilité » ne représente qu’un « micro-sujet » pour M. Tardieu, celui-ci s’inquiète néanmoins de la possible remise en cause de la territorialité des droits avec l’adoption du règlement dit « câble/sat 2 », en cours d’examen par les institutions européennes.

Christophe Tardieu se réjouit par ailleurs de l’augmentation des crédits du programme « MEDIA » dans le budget de la Commission européenne », qu’il voit comme « un excellent signe », une « forme d’espoir » pour l’industrie.

Le directeur général délégué du CNC conclut en s’adressant à la Commission européenne : « j’aimerais bien que l’on parle un peu moins de consommateurs et un peu plus de diversité culturelle, d’œuvres, de culture, de choses qui nous permettent de dépasser le simple cadre de l’économie et d’essayer d’évoluer vers des hauteurs plus importantes dans lesquelles le citoyen européen se retrouvera ».

Grégoire Polad, Directeur Général de l’ACT (Association of Commercial Television in Europe)

Directeur général de l’ACT depuis novembre 2015, Grégoire Polad représente les intérêts des principaux diffuseurs du secteur privé de 37 pays européens. Concernant l’annonce, la semaine dernière, par les rapporteures du Parlement européen, d’un accord sur les points clés de la réforme de la directive « Services de médias audiovisuels », M. Polad dresse un « bilan mitigé ». Il rappelle que le premier objectif des chaînes de télévision privées est « le réinvestissement » et la recherche de « nouvelles sources de financement pour s’assurer que le cycle de production continue ». Parmi les points positifs de la réforme, il relève la « flexibilisation de la publicité », qui permettra aux diffuseurs de programmer des spots publicitaires en toute liberté entre 00h00 et 18h00, tout en respectant un quota général de 20 % de temps d’antenne. « On est loin de ce qu’on pensait au début de la proposition, qui était une flexibilité totale, mais c’est mieux que rien », concède Grégoire Polad.

Toutefois, il considère que les avancées sur la régulation des plateformes sont insuffisantes : « le marché de la publicité en ligne est contrôlé par deux entreprises et est en augmentation croissante pour le numérique, alors qu’on est en déclinaison pour la presse papier et relativement stable pour la télévision. Ces courbes ne vont pas s’inverser grâce à la directive SMA ». C’est notamment dû au fait qu’aujourd’hui, il est « plus simple de faire passer une publicité sur YouTube » qu’à la télévision.

S’agissant de la contribution des éditeurs à la création, Grégoire Polad assure avoir « évidemment œuvré contre » l’extension du principe de pays de destination aux chaînes linéaires, mais reste satisfait que des garde-fous soient prévus. Il plaide finalement pour un « équilibre, un environnement où l’on peut continuer à investir » et où les règles sont les mêmes pour ceux qui exercent sur le même marché. « On n’est toujours pas là, mais il y a des bonnes choses et on va continuer à se battre pour avoir des règles que l’on trouve équilibrées avec les plateformes », ajoute-t-il. Il regrette ainsi que la Commission européenne ait « pêché » en refusant de s’attaquer au « vrai problème », qui est le statut d’intermédiaire technique dont bénéficient les plateformes, prévu par la directive « e-commerce ». Pour Grégoire Polad, c’est « le grand sujet des cinq prochaines années ».

Naturellement, le directeur général de l’ACT est aussi intervenu pour défendre le principe de la territorialité des droits. Selon lui, la politique de l’exécutif européen de renforcer l’accès aux œuvres n’est pas la solution : « c’est un échec, ce n’est pas avec l’accès que l’on fait de la croissance et de l’emploi », conclut-il.

Réagissant à l’annonce du renforcement du programme MEDIA (un peu moins d’un milliard d’euros) dans le cadre du nouveau budget de Commission européenne, il a déploré le fait que celui-ci soit « à peu près équivalent » aux pertes subies par l’industrie audiovisuelle chaque année en France, face au piratage. Apporter une véritable réponse au problème du piratage est donc une solution pour préserver le financement de l’industrie audiovisuelle.

Carolina Lorenzon, Directrice des affaires règlementaires internationales et affaires publiques, MEDIASET

La directrice des affaires publiques du groupe audiovisuel italien MEDIASET, Carolina Lorenzon, a mis l’accent sur la nécessité pour les acteurs du marché de disposer de la liberté d’exploiter leurs contenus sur une base territoriale, afin d’obtenir le meilleur retour sur investissement possible. Avec la proposition de règlement dit « câble/sat 2 », qui propose de faciliter l’exploitation d’œuvres à destination de l’ensemble des Etats membres de l’Union sur les services en ligne des éditeurs, elle craint que la Commission européenne ne mette fin à cette possibilité : « La Commission nous dit que vous pourrez toujours faire du géoblocking, mais le problème existe lorsque des chaînes ont acheté le même contenu que vous, dans d’autres Etats membres. Il y a un risque de débordement ». Si la situation était déjà complexe avec certains débordements en matière de diffusion par satellite, « c’est encore plus grave » sur le numérique, signale Mme Lorenzon, et d’autant plus si c’est avec des programmes premium comme le football.

Pour mieux résister à la concurrence des géants du numérique, elle considère qu’il faut « mettre le droit d’auteur au centre du système de valeur » européen. « Si les nouveaux acteurs ne sont pas enclins à s’adapter à notre système de valeurs, je pense que l’Europe devrait avoir pour priorité la valorisation du droit d’auteur sur toute la chaîne de la valeur », ajoute Mme Lorenzon. Le retard accusé aujourd’hui par l’Europe est, selon elle, dû en grande partie à la « timidité règlementaire » de la Commission européenne sous son mandant précédent, qui s’est traduite par un énorme pouvoir de marché des acteurs globaux.

Qu’il s’agisse des négociations sur la directive relative au droit d’auteur ou de l’entrée en vigueur du Règlement Général sur la protection des données personnelles, elle estime que c’est « le moment de dire qu’on peut faire les choses à l’européenne, et qu’il ne faut pas être timide ». « En Europe nous avons souffert de cette séduction de la Silicon Valley, avec un complexe d’infériorité », ajoute Carolina Lorenzon. « On n’a pas passé nos années d’université à faire computer 101 coding coding coding, mais on sait très bien faire la différence entre ce qui est éthique ou non ». Elle concède néanmoins que la tâche sera difficile, et qu’il faudra être « rusé comme David contre Goliath ».

Enfin, la directrice des affaires publique de MEDIASET a tenu à féliciter l’initiative de Françoise Nyssen en matière de lutte contre le piratage, et a appelé la Commission européenne et le Parlement à traiter la question du streaming sur les sites de partage de vidéos. « Pour nous, la technologie doit s’adapter en fonction du droit d’auteur, et pas le contraire », affirme-t-elle. Globalement, elle demande aux institutions européennes de faire preuve de cohérence dans leur approche sur la question de la responsabilité des plateformes.

Thomas Anargyros, Président de Storia Television et Président de l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle

Le Président de Storia Television se dit « ravi » de l’aboutissement des négociations autour de la directive SMA, même s’il reste encore quelques étapes avant son adoption définitive. L’USPA sera vigilante aux modalités de contrôle des quotas de diffusion, de l’obligation d’investissement dans la production, mais aussi à la préservation de la territorialité des droits, dont la mise à mal « pourrait créer un effet de distorsion de concurrence entre les acteurs qui évoluent sur le marché français ».

Selon lui, la proposition de règlement dit « câble/sat 2 » détruit de fait ce principe, et « n’est pas un bon résultat pour l’ensemble des européens. Cette politique d’accès est un constat d’échec ».

Il se dit par ailleurs très inquiet de la direction que prend la directive sur le droit d’auteur et se pose la question « de la cohérence au fond de ces dossiers, qui ne servent pas une vision unifiée de ce que veut faire l’Europe pour l’audiovisuel ».

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