L'édito de Philippe Bailly

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Sandrine Roustan, Directrice Internationale du développement Format TV&OTT, Shangai Media Group

Sandrine Roustan se montre très optimiste sur les velléités et les capacités des plateformes OTT asiatiques et plus spécifiquement chinoises, à s’imposer dans le reste du monde. Fortes de leur marché domestique et d’une croissance à deux chiffres, elles ont développé des modèles économiques performants et des services innovants et comptent bien se poser en concurrence principale des GAFA.

La Chine, un marché considérable qui permet de tester des contenus en quantité et qualité

Le paysage audiovisuel chinois est à la mesure de l’immensité du pays, large et diversifié. À la  CCTV qui est le groupe public avec 50 chaînes, se rajoutent des chaînes dites mainlands (cogérées par l’Etat et le privé avec des financements composites) et des chaînes complètement privées. Au total, on compte 1700 chaînes de télévision et plus de 4000 services de streaming auxquelles se rajoutent les 7 plateformes OTT (IQIHY, YOUKU, TENCENT, Mango TV, SOUHU.com, PPTV et LEtv) pour un total 1,2 milliard de téléspectateurs.

Au niveau des contenus, les chinois sont particulièrement friands des fictions et des dramas quotidiens tournés localement. Ce type d’émissions est donc à la base de la programmation sur toutes les chaînes de télévision et  sur les OTT avec 5 millions d’épisodes diffusés par an et une programmation de 3 à 4 heures par jour.

Ainsi chaque année, 15 000 épisodes sont tournés, ce qui fait de la Chine le plus grand producteur de séries au monde malgré le contrôle politique dont font l’objet les entreprises du secteur : licence du gouvernement pour mettre en place une chaine OTT, validation obligatoire des programmes par la SAFRT (autorité administrative de contrôle) et restriction des thématiques.

À l’instar des pays occidentaux, la consommation de télévision linéaire baisse au profit de l’OTT. En effet, la régulation étant moins stricte qu’à la télévision,  les plateformes OTT ont pu clairement prendre la main en produisant des contenus exclusifs et qualitatifs qui leur permettent de se démarquer et de capter l’attention des jeunes. A titre d’exemple, YOUKU a consacré en 2016 47% de son budget annuel soit quasiment 235 millions d’euros en acquisitions de nouveaux contenus.

Les programmes sont de très bonne facture avec une narration et une production très moderne et les sujets de plus en plus actuels. Avec 700 millions d’internautes (dont 60% ont moins de 30 ans) et un bassin de 600 millions d’autres à convertir, les prévisions de croissance de la production audiovisuelle sont de l’ordre de 15 à 20% par an d’ici à 2025.

Le développement est porté par la consommation sur support mobile en quasi-monopole (renforcé par les micro-projecteurs qu’on peut accrocher au téléphone) suivi de loin par la consommation sur les ordinateurs et sur les smart TV qui embarquent les OTT pour une accessibilité totale.

Un modèle économique solide et une stratégie multi-contenus et multi-services

D’après leurs chiffres, les trois principales plateformes, IQIHY, YOUKU et TENCENT,  regroupent aujourd’hui  plus de 200 millions d’abonnés et devraient en toucher 300 millions d’ici 2025.

Elles ont pu se développer dans un marché protégé dans la mesure où les entrants étrangers doivent signer un partenariat obligatoire avec les acteurs locaux (par exemple Netflix avec IQIHY).

Mais surtout, elles sont adossées à la puissance économique des BATX (BAIDU, ALIBABA, TENCENT et XIAOMI, les GAFA chinois) dont les valorisations sont aussi importantes que celle de leurs homologues occidentaux (par exemple, TENCENT a été valorisé en novembre 2017 à la bourse de Hong Kong à plus de 500 milliards de dollars soit plus que Facebook).

Le modèle économique des OTT chinoises est basé sur le statut VIP/ non VIP : à savoir, d’une part, une offre standard mais avec une publicité particulièrement omniprésente voire agressive, qui incite fortement l’utilisateur à souscrire un abonnement. D’autre part, un accès VIP avec des prestations très avantageuses multi-contenus et multi-services.

Ainsi, les contenus comprennent non-seulement des programmes exclusifs mais un grand nombre d’émissions populaires coproduites avec les chaînes de télévision locales, des séries internationales et les fameux « coupons films » (négociés avec Disney, Warner et Universal et qui permettent aux abonnés l’accès à un ou plusieurs films deux semaines après leur sortie internationale). On retrouve aussi de la musique, des jeux, des téléchargements inédits, du commerce avec du merchandising spécial (avant premières, live conférence, offres spéciales et réductions etc.), des services bancaires…

Les différentes fonctionnalités permettent de transformer l’expérience utilisateur telle que nous la connaissons en Europe en poussant la rentabilité à son maximum. A titre d’exemple, les achats par pop-up permettent en un clic et sans quitter son écran, d’acquérir des produits placés dans un programme. Les « bullets com » sont des commentaires instantanés que les internautes peuvent poster et personnaliser moyennant finance. Les « live stream rooms » permettent de tchatter avec des stars ou des spécialistes en les rémunérant avec des cadeaux…

Toutes ces options sont accessibles sur des interfaces multifonctions très innovantes : en plus des services de SVoD, on peut y retrouver un fil d’informations comme sur Twitter, une messagerie interne, une interactivité poussée (commentaires, choix de la caméra, fan zones…) et même du contenu généré voire produit par les utilisateurs.

Au final, la structure des revenus de ces OTT est diversifiée et s’équilibre avec 40% de publicité, 40% d’abonnements et 20% de revenus associés aux services. Leur taux de transformation est très élevé et leur puissance en termes d’audience et de volume financier sous-tend une aptitude à l’innovation et à la fidélisation des clients, que viendra encore renforcer l’usage de l’intelligence artificielle en plein essor en Chine.

Les OTT chinoises sont donc à surveiller de près car elles ont aujourd’hui toutes les armes pour envisager une expansion internationale et contrer les GAFA non seulement sur les marchés émergents mais aussi sur leur propre terrain.

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