L'édito de Philippe Bailly

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Alliances entre acteurs médias européens : prise de conscience tardive mais plus que jamais nécessaire

L’heure est-elle enfin au regroupement des forces en Europe ? En début d’année, Nicolas de Tavernost exprimait son soutien au projet de plateforme en ligne qui regrouperait les contenus de France Télévisions, TF1 et M6, défendu par la patronne de France Télévisions, Delphine Ernotte. S’il n’a pas été évoqué par Françoise Nyssen lors de son intervention du 4 juin, les négociations se poursuivent en vue de confirmer sa faisabilité. Même approche au Royaume-Uni, entre la BBC, ITV et Channel 4. Et, plus ambitieux encore, le président de l’ARD Ulrich Wilhelm plaide, dans Le Monde, pour une plate-forme numérique européenne se présentant comme une porte d’accès vers des « contenus de qualité » et associant pour ce faire « des médias audiovisuels publics et privés, des journaux, des maisons d’édition, mais aussi des institutions, comme des universités, des musées, des institutions scientifiques, etc. »

« L’univers numérique, tel qu’il est structuré aujourd’hui (…) est en réalité aux mains de compagnies privées américaines, les fameux GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon]. L’enjeu, pour nous, Européens, est de reconquérir notre souveraineté numérique, en matière de contenus et de sécurité des données », expose le dirigeant allemand à l’appui de sa démarche, dans des termes qui ne diffèrent guère de ceux que pourraient employer ses homologues britanniques ou français.

Ce faisant, les Européens ne font qu’emboiter tardivement le pas aux Américains et aux Japonais : quand les « Hulu à la » française, à l’anglaise ou à l’allemande » restent une perspective de ce côté-ci de l’Atlantique, leur modèle qui réunit NBC Universal (Comcast), Fox (News Corp), Turner (Time Warner), et Disney a fêté en mars son… 11e anniversaire. Et cela fera neuf ans en décembre que YouTube, Universal Music et Sony Music ont uni leurs forces pour donner naissance à la plateforme musicale Vevo.

A la décharge des Européens, la Commission (particulièrement Neelie Kroes dans ses fonctions successives de Commissaire à la concurrence, puis de Commissaire à la société numérique) se sera assez consciencieusement employée à dérouler le tapis rouge aux géants du numérique, en même temps que les autorités nationales de la concurrence bloquaient les projets de rapprochements entre acteurs continentaux (au Royaume-Unis 2009 entre, déjà, BBC, ITV et Channel4 ; en Allemagne, au printemps 2011, entre ProSiebenSat1 et RTL Group…).

Face à la montée en puissance de l’OTT, et au vent qu’elle fait souffler dans les voiles des acteurs mondiaux de la vidéo (Amazon et Netflix aujourd’hui, Disney, CBS, Fox, Turner… demain), la posture des régulateurs a sensiblement évolué : intervenant début mai lors d’une conférence sur les médias, l’un des membres de l’OFCOM considérait que le véto opposé en 2009 à Kangaroo avait été une « tragédie » et affirmait que le régulateur était aujourd’hui ouvert à son déploiement ; en France, la présidente de l’Autorité de la Concurrence Isabelle de Silva a présenté ces derniers jours ses propositions de simplification et allègement des procédures de contrôle des concentrations ; et si le projet de taxation est loin de faire consensus à Bruxelles, l’heure y est globalement au durcissement dans la position tenue face aux GAFA.

Il n’est que grand temps ! Aux Etats-Unis, le feu vert donné ce mardi au rachat de Time Warner par AT&T et la concurrence que se livrent Disney et Comcast pour reprendre Fox témoignent de la poursuite du mouvement de concentration. Et, en Europe, l’entrée en vigueur des différents textes du marché unique numérique n’est pas faite pour rééquilibrer le rapport de force au profit des acteurs locaux.