L'édito de Philippe Bailly

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Samsung / Netflix : les raisons de la séparation

De la salve de spots de publicité, cette annonce ne fera pas les gros titres des rubriques médias, mais elle est parlante, à plus d’un titre, sur le défi que la multiplication des modes d’accès au consommateur représente pour les éditeurs – qu’ils soient nouveaux entrants ou acteurs historiques et qu’ils proposent une chaîne linéaire ou un service uniquement disponible à la demande (SVoD, AVoD…) : Samsung a confirmé via son site Internet que Netflix ne serait plus accessible à une partie de son parc de smart TV, ni à certains de ses lecteurs Blu-Ray connectables à compter du 1er décembre. Le leader mondial de l’électronique grand public n’a pas précisé, à ce stade au moins, les modèles qui ne pourront plus accéder au service de streaming. Roku s’est montré plus précis… avec à la clé une liste de références – Roku 2050X, Roku 2100X, Roku 2000C, Roku HD Player, Roku SD Player, Roku XR Player, Roku XD Player – qui ne permettront plus, non plus de visionner 13 reasons why, La Casa de Papel ou, s’agissant de productions françaises Plan cœur, Family Business, Banlieusards ou Marianne.

De la part de Netflix, l’information apparaît comme un pas supplémentaire dans le virage amorcé dès la fin 2016, avec l’annonce de son deal d’intégration à l’offre XFINITY X1 de Comcast, et dont le combo avec l’offre cinéma séries de Canal+ constitue le développement le plus récent : après avoir dépassé le cap des 150 millions d’abonnés en faisant levier sur la distribution OTT, le groupe a multiplié les accords avec les distributeurs, jusqu’à figurer chez certains dans des hard bundles. Être moins systématiquement disponible via les smart TV, consoles de jeux et autres dongles apparaît comme une nouvelle étape logique… voire comme une manœuvre tactique visant à ralentir l’avancée des Disney+, AppleTV+, HBO Max ou encore Salto : être moins présent dans les environnements OTT après s’être assuré une disponibilité dans tous les plans de service devrait réduire la tentation des consommateurs de s’équiper pour recevoir Netflix… et diminuer d’autant le risque qu’ils y croisent et se laissent séduire par l’un de ces nouveaux concurrents.

Au-delà, le « no show » qu’opposera désormais le groupe sur une partie des parcs Samsung et Roku illustre bien le dilemme de l’éditeur face à la multiplication des environnements. La stratégie de l’hyperdistribution, d’une part, supposant d’être le plus largement accessible, donc de supporter les coûts d’adaptation aux différentes gammes d’appareils – la liste de références de Roku rappelée plus haut se passe de commentaires, si on la multiplie par le nombre de marques opérant dans l’électronique grand public ; la démarche de priorisation de quelques devices phares et/ou de relations privilégiée avec les distributeurs historiques, de l’autre.

La solution est loin d’être évidente. Quelques éléments pour éclairer la réflexion :

– Un rappel : la décision de l’équipe de Delphine Ernotte de tourner le dos à la logique d’hyper-distribution initiée par Bruno Patino, au nom du rapport « coûts de mise à jour des apps / niveau d’usage constaté ». Mais c’était en 2015, donc aux prémices de la vague OTT.

– Quelques chiffres qui donnent la mesure du chemin parcouru depuis : 78,3% des foyers équipés TV et près de 73% de l’ensemble de la population disposent aujourd’hui d’au moins un moyen de connexion (box opérateur, smart TV, ordinateur, console de jeu ou appareil dédié de type Chromecast ou Apple TV). Ces chiffres, issus du retraitement des données de l’Observatoire de l’Equipement Audiovisuel du CSA par NPA Conseil, témoignent aussi d’une accélération de l’équipement et de la montée des usages (plus de détail via INSIGHT NPA).

– Un constat, enfin : la présence croissante des chaînes ou services dans ces environnement (à fin septembre 2019, l’Observatoire de la distribution audiovisuelle a recensé près de 600 services disponibles sur au moins l’un des devices OTT). beIN Sports, OCS ou encore RMC Sport sont par exemple chacun disponibles dans plus d’une dizaine d’environnements.
Avec, à la clé, l’équation-clé de la période qui s’ouvre : ne pas s’exposer à la « perte de chance » en n’étant pas présent dans les environnements clés, sans alourdir plus que nécessaire, les coûts techniques associés aux différents « portages, puis mises à jour.

Nous avons – au moins – quelques mois pour y réfléchir.

Philippe Bailly

@pbailly