L'édito de Philippe Bailly

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Régulation renforcée du numérique et bienveillance pour la Culture. Biden plus proche de la vision européenne

Suite à l’élection présidentielle qui s’est tenue dans la nuit du mardi 3 au mercredi 4 novembre, Joe Biden a été élu 46ème président des États-Unis. Comment va-t-il traiter la culture ? Quelle est sa position en matière de numérique ? NPA donne quelques éléments de réponse.  

Sur son site de campagne, Joe Biden aborde les sujets les plus saillants actuellement pour les Américains et égrène ses propositions. Sans surprise on retrouve la crise sanitaire, le climat, la santé, la jeunesse, l’économie, les vétérans, etc. Si le numérique, la culture ou l’audiovisuel ne font pas partie des thèmes les plus porteurs en période électorale, le nouveau président des Etats-Unis aura nécessairement à traiter de ces questions une fois installé à la Maison Blanche, et certaines de ses positions, sur le numérique notamment, ont été dévoilées durant la campagne.

La régulation du numérique, un enjeu transatlantique

En matière de concurrence tout d’abord, le président Biden pourrait engager de profondes réformes afin de freiner l’expansion des Big Tech.

Il pourrait pour cela donner suite au rapport rendu début octobre par le sous-comité antitrust du comité judiciaire de la Chambre des représentants. Ce dernier résulte de l’enquête sur la concurrence dans les marchés numériques, centrée essentiellement sur les activités d’Amazon, Apple, Facebook et Google. Il formule 13 recommandations, dont la mise en œuvre i) de séparations structurelles et d’interdictions de certaines plateformes dominantes dans des lignes d’activités adjacentes, ii) de présomptions de refus de nouvelles acquisitions par ces plateformes, iii) d’obligations de non-discrimination et d’interdictions d’autopromotion, iv) d’obligations d’interopérabilité et de portabilité des données, v) de mesures de protection à l’égard de la presse et vi) de renforcement des pouvoirs des autorités de régulation des plateformes.

Son élection s’inscrit également dans le contexte de deux affaires d’envergure. Tout d’abord les poursuites engagées le 20 octobre dernier par le département de la justice et onze Etats américains contre Google pour atteinte au droit de la concurrence dans le but de préserver son monopole dans le domaine de la recherche et des annonces publicitaires en ligne. Il s’agit de la plus importante action judiciaire, en plus de vingt ans, menée par le gouvernement fédéral des Etats-Unis à l’encontre de l’un des GAFA. D’ici la fin de l’année, la Federal Trade Commission (FTC) pourrait par ailleurs engager une action contre Facebook à propos d’acquisitions telles qu’Instagram et WhatsApp notamment.

A ce stade, selon CNET, Biden ne souhaiterait pas aller jusqu’au démantèlement des entreprises concernées mais renforcer la régulation à laquelle ils sont soumis pour contenir leur domination.

Assainir la concurrence dans le numérique est un enjeu que partage la Commission européenne et qui figure au menu de sa feuille de route numérique. Sans aller non plus jusqu’au démantèlement qui n’est pas pour elle une option sur la table, la Vive-Présidente de la Commission et notamment en charge de à la concurrence Margrethe Vestager présentera, le 2 décembre prochain, un nouvel outil de concurrence. Le Digital Markets Act devrait être « un intermédiaire entre les règles ex ante [des pratiques interdites pour les plateformes structurantes], définies à l’avance et permanentes, et les sanctions antitrust, a posteriori », permettant d’agir sur des marchés nouveaux (la blockchain, le cloud, les enceintes connectées…), « sans passer par l’adoption d’un règlement ou d’une directive » selon Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence française.

Si les républicains sont traditionnellement moins favorables à réguler l’économie de manière générale que les démocrates, ils s’accordent, pour des raisons différentes, sur la nécessaire réforme de la Section 230 du « Communications Decency Act », qui exonère  les plateformes de poursuites judiciaires sur les contenus que leurs utilisateurs publient. Les démocrates s’inquiètent du laxisme supposé des GAFA face aux discours haineux et trompeurs, les républicains s’estiment au contraire bâillonnés par des plateformes nourries par des idéaux de gauche. Auditionnés par la commission sur le Commerce du Sénat sur la Section 230 mi-octobre, les patrons de Facebook, Twitter et Alphabet ont sans surprise défendu l’immunité dont ils bénéficient sur les contenus postés. Un projet de loi a été déposé le mois dernier par le ministère de la Justice.

Biden a déclaré au New York Times que l’article 230 « devrait être immédiatement réformé » car les plateformes propagent « des mensonges qu’ils savent être faux, et nous devrions établir des normes similaires à celles que font les Européens en matière de vie privée ». La voie tracée le 3 novembre par la Californie, avec l’adoption du référendum destiné à renforcer le contrôle des habitants sur leurs données personnelles, sera peut-être suivie par une initiative fédérale à Washington avant son entrée en vigueur, prévue pour 2023.

A Bruxelles, la Commission européenne finalise le texte du Digital Services Act, que Thierry Breton présentera le 2 décembre. Dans un entretien au Monde, le Commissaire européen au marché intérieur en a présenté les contours. L’ambition est de retirer « tous les contenus illégaux » et « d’identifi[er] comme tels et trait[er] en conséquence » les « contenus haineux, l’amplification de la violence verbale et physique [et] la désinformation ».

Des deux côtés de l’Atlantique, l’heure n’est plus, comme il y a quelques années sous l’ère Obama, à saluer ces entreprises comme des success stories, mais bien de réguler leur domination. Pour couronner le tout, Biden souhaiterait assurer une meilleure redistribution des richesses en taxant les plus hauts revenus, dont les patrons des grandes entreprises du numérique font partie.

Enfin, à propos de la neutralité du net, contrairement à d’autres candidats démocrates tels que Bernie Sanders et Elizabeth Warren qui ont ouvertement défendu le principe, Biden n’a pas beaucoup évoqué le sujet. Sa remise en cause sous l’ère Trump aurait suscité son indignation, mais ces déclarations contrastent avec l’action politique, qu’il a conduit lorsqu’il était sénateur : il n’aurait pas alors soutenu la législation sur la neutralité du net, y compris la loi de 2007 sur la préservation de la liberté sur Internet. Biden serait également en lien étroit avec les dirigeants de Comcast, opposants engagés à Donald Trump et dont certains ont organisé des collectes de fonds pour sa campagne. Il reste que, en son temps, Comcast avait également soutenu Obama, ce qui n’avait pas empêché ce dernier d’agir pour une réglementation plus stricte du haut débit. De plus, la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, est très favorable à la neutralité du net, ce qui en fait un élément fondamental de la doctrine du parti. Au final, Biden pourrait donc être conduit à inscrire son action sur le sujet dans la suite de la loi de 2007.

Joe Biden, le choix du secteur culturel

France Culture rappelle que la culture a été la grande absente de la campagne électorale. Aucun des deux candidats n’a émis la moindre proposition, ni envisagé le moindre soutien pour un secteur qui fait, comme d’autres, face aux conséquences de la crise sanitaire.

Ce n’est toutefois pas étonnant car le financement de la culture aux Etats-Unis est essentiellement privé et il n’y a pas, à Washington, de ministère de la Culture.

Il existe toutefois depuis 1965 une agence fédérale, National Endowment for the Arts (NEA) mais dont le budget en 2019 n’était que de 162 millions de dollars. Donald Trump n’a cessé de vouloir supprimer, mais le Congrès s’est prononcé à chaque fois pour le rétablissement des fonds du NEA.

Ainsi, dans leur majorité les artistes ont plutôt été en faveur de Joe Biden, dont le bilan, en tant que sénateur et vice-président sous l’administration de Barack Obama, est jugé positif au plan culturel.

 

Comme dans tous les pays industrialisés, le poids économique de la culture aux États-Unis est colossal, avec 877 milliards de dollars (747 milliards d’euros) par an et quelque 5,1 millions d’emplois.

Durant la campagne, un porte-parole de Joe Biden, aurait indiqué que « Biden sait qu’investir dans les arts est essentiel pour la création d’emplois et il s’est engagé à promouvoir et à soutenir les arts dans les écoles ainsi que la diversité et la richesse des idées qui font vivre le monde de l’art ».

Si Biden devrait se montrer bienveillant à l’égard des artistes et du monde culturel, il ne faut pas s’attendre à une révolution copernicienne. L’approche américaine de la culture, très libérale, va en effet perdurer comme le souligne le journaliste et sociologue Frédéric Martel : « Le NEA est une agence artistique qui aide uniquement les organisations à but non lucratif, alors que la culture sur le territoire américain passe très majoritairement par le marché. Je dis souvent que s’il n’y a pas un ministère de la Culture aux États-Unis, il y en a des milliers : toutes les agences locales et fédérales, quand il s’agit d’emploi, traitent de la culture ».

Proximité de vues sur les enjeux numériques avec l’UE, normalisation des relations avec le secteur culturel local et, au-delà, retour à la coopération internationale car « le monde ne s’organise pas tout seul » a-t-il écrit. Un vent d’optimisme souffle sur la présidence Biden qui va prochainement se dessiner.

Rendez-vous le 20 janvier 2021 pour la prestation de serment et l’entrée en fonction du 46e président des Etats-Unis.

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