L'édito de Philippe Bailly

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Episode 6 – Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6

Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés de l’Horizon 2030.

“A son lancement en 1987, M6 incarnait la concurrence nouvelle qui menaçait de déstabiliser le paysage audiovisuel français – « la chaîne en trop ». Mais le secteur était alors radicalement différent. La télévision et la radio hertziennes représentaient le seul moyen d’accéder à un contenu audiovisuel chez soi. Les autorisations d’émettre, alors attribuées par la CNCL !, constituaient de réelles barrières à l’entrée du secteur. L’ensemble de notre régulation a donc été pensé pour éviter que le paysage audiovisuel français vire à l’oligopole, empêcher que la position des chaînes soit par trop dominante vis-à-vis des producteurs, mais aussi protéger la presse, la radio, les salles de cinéma etc.

Aujourd’hui, alors que le Parlement s’apprête à examiner le projet de loi relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique, notre industrie connaît un bouleversement d’une toute autre ampleur, sous l’effet d’une concurrence bien plus inquiétante. Le développement de l’Internet a favorisé l’essor de nouveaux services – plateformes de partage de vidéos, SVOD, podcasts, streaming musical, etc – qui tirent leur puissance d’un déploiement mondial pour mieux se substituer aux médias traditionnels. Ces nouveaux acteurs concurrencent les médias historiques, dans la bataille des audiences, mais aussi dans la bataille pour le financement et pour l’accès aux meilleurs programmes. Bref, le secteur audiovisuel est désormais un marché ouvert et international.

Or nous ne luttons pas à armes égales avec ces nouveaux concurrents. Ils sont gigantesques, bénéficient d’avantages comparatifs considérables grâce à des effets de réseaux, une présence mondiale et la maîtrise des portes d’entrée de l’Internet (moteurs de recherche, terminaux…).

Et surtout, nous ne jouons pas avec les mêmes règles. Alors que nous avons besoin de champions nationaux pour résister à ces géants, nous restons soumis à un ensemble de dispositions héritées des années 1980, auxquelles eux ne sont eux pas soumis : secteurs interdits de publicité, quotas musicaux en radio, obligations de production indépendante qui sont sans commune mesure avec celles de nos voisins européens et transforment notre contribution en simples dépenses courantes sur laquelle nous ne pouvons pas capitaliser, etc.

“Il y a désormais urgence à réformer”

Comment justifier que la régulation accentue, au lieu de corriger, les distorsions de concurrences existantes qui pénalisent les groupes nationaux ?

Il y a désormais urgence à réformer. Nous avons déjà perdu trop de temps alors que nous faisons face à une concurrence qui progresse très rapidement : les premiers travaux parlementaires préparatoires à la réforme audiovisuelle datent du printemps 2018, à une époque où Netflix comptait environ 3,5 millions d’abonnés français. Le groupe en compterait désormais 8,8 millions, auxquels s’ajoutent les 2 millions d’abonnés à Disney + pourtant lancé en France il y a tout juste un an, et ceux d’Amazon Prime, pour lesquels les contenus premiums ne sont plus qu’un accessoire à la livraison à domicile.

La transposition de la directive SMA est présentée comme une panacée, mais elle risque d’être un cheval de Troie pour les plateformes étrangères : le projet de décret SMAD est en réalité bien moins contraignant qu’il n’y paraît et l’intégration des géants du streaming se fait au prix de nombreuses concessions, notamment la révision à marche forcée de la chronologie des médias et la réforme du fonds de soutien du CNC, récemment confirmée par la Ministre de la Culture.

Cette adaptation réglementaire constitue pourtant un enjeu majeur pour le maintien de groupes audiovisuels locaux aujourd’hui fragilisés, en France mais dans nombre de pays d’Europe, et au-delà. Or, les chaînes locales jouent un rôle essentiel, non seulement sur le plan économique mais aussi social. Elles sont le maillon central de l’écosystème de création qu’elles financement par de multiples biais : par leurs investissements en production, par les taxes affectées au CNC ou encore au travers des redevances aux organismes de gestions collectives représentants les auteurs et artistes-interprètes…

« Les groupes de télévision sont les artisans d’une culture commune, gratuite et  accessible qui forge la cohésion sociale de notre pays »

A l’heure où la lutte contre les fake news devient critique, les chaînes sont les garantes du pluralisme et d’une information fiable. Ce sont les chaînes qui ont la responsabilité éditoriale des contenus qu’elles diffusent. C’est donc bien elles dont on doit soutenir le modèle économique.

Les groupes de télévision sont en outre les artisans d’une culture commune, gratuite et accessible sur tout le territoire, qui forge la cohésion sociale de notre pays.

Il est donc nécessaire de veiller à préserver la pérennité des groupes français. Le changement de modèle et d’échelle du secteur audiovisuel appelle un changement de paradigme de la réglementation. Aussi le Parlement ne doit pas manquer l’opportunité que constitue l’examen du projet de loi dans les prochaines semaines.”

 

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