L'édito de Philippe Bailly

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(Fin du) Binge ou publicité : les plateformes jouent leur retour vers le futur

On en avait perdu l’habitude. C’est au compte-gouttes que se consomment les séries phares de la rentrée sur les plateformes payantes, et plus par saisons entières avalées le temps d’un week-end. C’est épisode par épisode, le vendredi, que se dégustent les Anneaux de Pouvoir (Prime Video) ; c’est à raison de deux fois cinquante minutes par semaine que monte depuis le 5 septembre La Guerre des Mondes (saison 3 ; Canal+) ; c’est une brique à la fois que se construit The House of the Dragon (OCS)… Comme auparavant se déroulaient The Game of Thrones. Après avoir suivi Netflix dans la généralisation du binge, les plateformes à la demande redécouvrent la notion de rendez-vous. Encore un signe, s’il en fallait, de la fin du quoi qu’il en coûte (pour attirer de nouveaux abonnés).

Donner à voir dès le premier jour l’intégralité d’une série était envisageable quant le rythme de sorties des nouvelles productions suivait la montée, vertigineuse, des dépenses dans les contenus mais, à chaque sortie, cela revenait aussi à cramer les millions par dizaines en l’espace d’une soirée.

Pire, cela aboutissait à percer des fuites dans la baignoire (d’abonnés) que l’on s’efforçait par ailleurs de remplir à grands frais, en organisant le churn & return : la possibilité, dans un univers où le sans engagement est devenu la règle, de jouer à saute-moutons entre les plateformes, en passant de l’une à l’autre au gré de leur programmation.

Retrouver la notion de rendez-vous aide à s’assurer de la fidélité des clients, pour quelques semaines au moins. De la part des nouveaux entrants, cela représente aussi une forme d’hommage à la « bonne vieille télévision », et au métier de programmateur qui en est historiquement un pilier.

Le lancement de la publicité sur Netflix pourrait conduire l’inventeur de la SVoD à intégrer d’autres savoir-faire du « monde d’avant ».

La situation est inédite – l’ouverture aux annonceurs d’un média déjà puissant, pouvant capitaliser sur une audience déjà constituée – et l’effet potentiellement dévastateur : la projection (plutôt que prévision) effectuée par NPA Conseil montre que la monétisation de son capital-audience pourrait permettre à Netflix de prendre place dans le Top 4 des régies TV françaises (lire par ailleurs).

Mais passer de la coupe aux lèvres, autrement dit tirer pleinement profit de ce changement de cap, supposera pour le streamer de cocher des cases majeures :

Trouver le juste prix. Le CPM à 65$ évoqué dans les présentations au marché est aussi ardemment défendu par Netflix que jugé peut réaliste par les dirigeants de groupes de communication américains ou britanniques auxquels il a été présenté.

Offrir des possibilités de ciblages au moins équivalentes à celles que proposent télévision, chaînes FAST ou plateformes vidéo. Il semble acquis que celui-ci se limitera lors du lancement au choix de l’environnement programme, sans indication et encore moins garantie sur le profil du public touché.

Arrêter le bon positionnement tarifaire. Suffisamment attractif pour que les abonnés soient tentés de migrer vers la nouvelle formule, et qu’ils y soient rejoints par de nouveaux clients, sans lâcher la proie pour l’ombre en amputant de façon trop significatives l’ARPU.

Repenser l’offre éditoriale. C’est peut-être là le principal défi. S’agissant des programmes aujourd’hui disponibles sur Netflix – ses Originals au moins – ceux qui les ont produits ne les ont pas pensés pour accueillir de la publicité (atmosphère, organisation des arches narratives…). Il faudra du temps pour que des productions plus adaptées, mais respectueuses de la couleur éditoriale du streamer, intègrent le catalogue. Avec le risque, si l’exercice est mal maitrisé, que les programmes ne se démarquent plus de ceux disponibles sur les grands networks historiques, et que le public préfère alors en revenir à l’original plutôt que tester la copie.

En accélérant le lancement de sa formule avec publicité, Netflix s’est mis en situation de devancer de cinq semaines l’arrivée de son équivalent coté Disney+.

Cela le contraint à être le premier à dévoiler son offre, permettant ainsi à Mickey et ses amis de peaufiner la leur en fonction des réactions du marché.

S’agissant des défis mentionnés plus haut, surtout, l’unanimité semble proche chez les professionnels pour considérer qu’historique, organisation, positionnement ou encore culture du groupe donneront plus de facilité à Disney pour les relever. Un train peut en cacher un autre, lit-on aux passages à niveau. Aujourd’hui au moins, le marché semble plutôt parier sur le second.