L'édito de Philippe Bailly

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En 2023, c’est d’Allemagne que pourraient venir les opérations les plus structurantes

Vu de France, l’échec de la fusion TF1 et M6 en France, puis de la mise en vente ratée du Groupe M6, représentent sans aucun doute l’événement majeur, après les seize mois consacrés à la préparation de l’opération. Du point de vue allemand, elle s’inscrit dans une succession de déconvenues qui ont mis à mal la volonté de Thomas Rabe, PDG du géant des médias allemands Bertelsmann, de renforcer les positions de son groupe dans son marché national et/ou sur ses marchés clés, telle que l’édition, en cédant en contrepartie des activités  dans les territoires où il n’était pas en position de leader, et plus largement d’œuvrer à la consolidation entre les groupes européens, afin de faire émerger sur chaque marché un champion national de l’audiovisuel capable de rivaliser avec les grandes plateformes internationales. L’année 2023 permettra de mesurer s’il conservera la confiance de ses actionnaires. Au-delà, la volonté de Media for Europe de prendre le contrôle de ProSiebenSat.1 pourrait constituer le feuilleton principal de l’année 2023. La cession de Sky Deutschland par Comcast pourrait, elle, aboutir rapidement.

Thomas Rabe est d’autant plus fragilisé que le projet de vente de RTL Pays Bas annoncé en juin 2021 n’a toujours pas pu être confirmé, faute de feu vert des autorités de la concurrence néerlandaises, Bertelsmann a dû faire face cette année à un autre échec majeur en renonçant au rachat par sa filiale Penguin Random House, de l’éditeur américain Simon & Schuster. La transaction a été purement et simplement abandonnée suite au véto du gouvernement américain à la fin du mois d’octobre, inquiet des répercussions sur la concurrence. Il en coûtera à Bertlelsmann 200 M$ de cancellation fees.

Une année noire pour Bertelsmann

Et s’y ajoute encore le « nein » opposé par les régulateurs au vieux rêve de rapprochement entre RTL Deutschland et ProSiebenSat.1 en Allemagne. Le président de l’autorité de régulation bavaroise (BLM – Bayerischen Landeszentrale für neue Medien), a ainsi estimé le 17 octobre devant l’agence de presse allemande dpa-AFX que les spéculations autour d’un rapprochement entre les deux groupes étaient « irréalistes ». Selon Thorsten Schmiege, « Pour RTL et ProSiebenSat.1, une fusion est juridiquement impensable dans une perspective de concentration des médias. Cela ne serait probablement pas non plus possible en vertu du droit de la concurrence [Bundeskartellamt] ».

Suite aux déboires de Bertelsmann, c’est ProSiebenSat.1 et son actionnaire majoritaire MediaForEurope (MFE) qui concentre désormais toutes les attentions. MFE, l’ancien groupe Mediaset, détenu par la famille Berlusconi, affiche depuis le début d’année 2019 l’ambition de constituer un ensemble européen capable de tenir tête aux nouveaux concurrents américains, sur le marché de la publicité comme sur celui de la production de contenus. Et c’est d’ailleurs cette ambition qui est affichée dès la page d’accueil de son site internet.

En mai 2019, Mediaset a racheté 9,6 % des actions du groupe allemand. En juin 2020, il a augmenté sa participation directe à 11,7%. Et après plusieurs opérations au cours des deux dernières années dont la dernière au mois de novembre, il se rapproche du seuil fatidique des 30 % du capital qui nécessiterait de déclencher une OPA. Concrètement, MFE, détient des droits de vote dans le groupe de télévision allemand à hauteur de 29,9 % grâce à la combinaison de plusieurs instruments financiers.

Le nouveau dirigeant de ProSiebenSat.1 ne s’est pas encore exprimé sur les velléités d’intégration de MFE

Le nouveau président de ProSiebenSat.1 Bert Haberts, nommé au mois d’octobre ne s’est pas encore exprimé sur le sujet de son actionnariat. Mais son prédécesseur, Rainer Beaujean avait repoussé à plusieurs reprises toute perspective de collaboration avec les chaînes de son premier actionnaire. Haberts a lui passé plus de 20 ans au sein de RTL Group, dont deux (2017-2019) comme directeur général, reportant à Thomas Rabe dont on connait les velléités pour une concentration du secteur. En attendant, autre signe de son expansion en Europe, MFE est monté en juillet à 82,9% du capital de sa filiale espagnole Mediaset Espagne à l’issue d’une OPA lancée en mars.

L’Allemagne devrait également animer l’actualité sur le front de la télévision payante puisque la vente de Sky Deutschland par Comcast semble imminente. Le journal en ligne allemand spécialisé dans les médias DWDL.de estime que l’opération dans sa dernière ligne droite et pourrait intervenir avant la fin de l’année. L’information circulait depuis le mois d’octobre et un article de Bloomberg aux États-Unis indiquant que Sky Deutschland était valorisé par Comcast à un milliard de dollars. La somme avait alors été jugée beaucoup trop élevée par les analystes, en raison notamment des investissements nécessaires après la reprise par un nouveau propriétaire.

Comcast souhaite se séparer de Sky Deutschland qui n’est pas fournisseur d’accès à internet, contrairement à ses cousins au Royaume-Uni et en Italie, ce qui freine son développement et les synergies au sein du groupe. Dépendant des offres de télévision payante, Sky Deutschland subit la concurrence des services de streaming et perd des abonnés depuis plusieurs années. Un temps cité comme possible repreneur, ProSiebenSat.1 Media SE a officiellement démenti. Selon DWDL.de c’est le groupe de Ralph Dommermuth, United Internet qui serait en meilleur position. United Internet est présent en Allemagne sur le marché de l’internet fixe via sa filiale 1&1 qui comptabilise 4,13 millions d’abonnés à fin septembre 2022.

Clarification attendue du gouvernement britannique concernant Channel 4

En Grande Bretagne, on peut espérer une clarification, après les tergiversations des gouvernements conservateurs qui se sont succédés à propos de la vente de The Channel 4 Television Corporation, média de service public au modèle commercial.  La nouvelle secrétaire britannique à la culture, Michelle Donelan, a en effet décidé de réexaminer le projet de cession de Channel 4 qui avait le soutien du gouvernement de Boris Johnson.

En même temps qu’il digérera le rassemblement de ses activités de diffusion et de streaming sous l’ombrelle itvX, ITV devrait préciser s’il poursuit dans la voie du spinf off de ses activités de production. L’objectif vise, notamment, à éliminer les décotes de holding et à stimuler une action qui a perdu un tiers de sa valeur depuis le début de l’année.

Dans la lignée de ses déclarations du 7 décembre devant la Royan Television Society, et du plan stratégique qu’il avait présenté au mois de mai, le directeur général de la BBC devrait poursuivre dans la mise en œuvre de son plan Digital first, et du rassemblement de ses activités sous la seule marque BBC.

A l’échelle continentale, et même mondiale, il ne fait pas de doute que les leaders de la production audiovisuelle, eux, poursuivront dans la voie de l’intégration. Il n’est pas de semaine sans son lot d’acquisitions de sociétés de production indépendantes, un peu partout dans le monde, par les géants du secteur, All3Media, Banijay, BBC Studios, Federation, Fremantle, ITV Studios, Mediawan ou Newen Studios. La concentration s’accélère et chaque groupe comporte désormais plusieurs dizaines de labels, jusqu’à 140 chez Banijay et plus de 400 au total si on considère le Top 8 des producteurs européens[1].

[1] https://insight.npaconseil.com/2022/10/13/pres-de-11-milliards-de-revenus-pour-le-major-8-npa-conseil-des-producteurs-europeens/

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