L'édito de Philippe Bailly

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PPL visant à instaurer une majorité numérique à 15 ans : quelle collaboration des plateformes ?

Le député Laurent Marcangeli (Horizons) et les membres du groupes Horizons, ont déposé le 17 janvier une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Cette proposition de loi votée le 15 février par la Commission affaires culturelles de l’Assemblée nationale fixe à 15 ans la majorité numérique afin de s’aligner sur la majorité numérique instaurée dans la loi de transposition du RGPD (règlement général sur la protection des données) concernant l’âge requis pour être propriétaire de ses données. Ce relèvement de la « majorité numérique » – fixée à 13 ans par les réseaux sociaux en application de la loi américaine sur la protection des données -, devra toutefois s’accompagner de garanties de contrôle de l’âge, ce qui pose la question de la faisabilité et de la mise en œuvre de cette proposition de loi dans le système juridique actuel.

Si l’inscription à la plupart des réseaux sociaux est théoriquement interdite avant l’âge de 13 ans (16 ans pour WhatsApp[1] ; pour YouTube, seule la création de compte est interdite avant l’âge de 13 ans), la Cnil estime qu’en moyenne, les enfants s’inscrivent sur leur premier réseau social à l’âge de 8 ans et demi[2].

L’Union européenne a fixé dans le cadre des travaux du RGPD la possibilité pour les Etats européens de fixer leur propre majorité numérique dans le seul cadre de la protection des données, celle-ci devant être comprise entre 13 et 16 ans. Alors que l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et les Pays-Bas ont opté pour l’âge de 16 ans, l’Angleterre et l’Espagne ont conservé la norme américaine, limite inférieure pour être dispensé de l’autorisation parentale.

La France quant à elle a retenu un moyen terme en tranchant sur l’âge de 15 ans, par souci de cohérence avec l’âge d’entrée au lycée, synonyme pour elle de maturité. Un âge plancher qu’elle souhaiterait transposer à l’usage des réseaux sociaux.

Dans ce sens, la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a adopté le 15 février, à l’unanimité, la proposition de loi du groupe Horizons. Cette dernière entend protéger les mineurs des contenus violents et illicites qui selon une étude de l’Ofcom sont directement responsables du mal être chez les plus jeunes. Les quatre articles du texte entendent :

  • Inscrire une définition des réseaux sociaux reprenant celle figurant au sein du Digital Markets Act (DMA)
  • Instaurer une majorité numérique, fixée à 15 ans, pour l’inscription et l’utilisation des réseaux sociaux notamment, sauf autorisation expresse de l’un des titulaires de l’autorité parentale. Les opérateurs de plateformes en ligne seront tenus de faire respecter cette obligation, « selon des modalités définies par décret en Conseil d’État. »
  • Demander aux opérateurs de plateformes en ligne de répondre aux réquisitions judiciaires effectuées dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une enquête de flagrance dans les 48 heures sous peine d’amende « ne pouvant excéder 1 % de leur chiffre d’affaires, conformément au montant fixé par le règlement européen sur les services numériques du 19 novembre 2022. »
  • Demander au Gouvernement, « la remise d’un rapport présentant les conséquences de l’utilisation des réseaux sociaux sur le bien‑être et la santé mentale des jeunes, notamment des mineurs. »

Cet énoncé conduit à s’interroger à assurer une application effective du nouveau cadre.

Moyens de vérification de l’âge des mineurs

Il n’existe pas dans le droit actuel d’encadrement de la vérification d’âge sur internet, si bien qu’il est très facile pour les mineurs de contourner la limite d’âge de 13 ans. 44 % des 11-18 ans déclarent avoir déjà menti sur leur âge sur les réseaux sociaux[i].

Dans le cadre de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales de 2020 a été insérée une obligation pour les sites pornographiques d’interdire l’accès à leurs contenus aux mineurs. Néanmoins, les modalités de mise en œuvre de ce blocage n’a été précisée, la Cnil considérant qu’aucune solution à la portée des sites n’était compatible avec le RGPD.

En Allemagne, le régulateur de l’audiovisuel (KJM) a validé en mai dernier trois systèmes de vérification de l’âge (AVS) fonctionnant sans papier d’identité, par la détermination biométrique automatique de l’âge à l’aide de technologies de deep learning. Mais celles-ci ne sont pas pour l’instant en application.

Jean-Noël Barrot, ministre délégué à la Transformation numérique a quant à lui mené des travaux avec la Cnil et l’Arcom afin de mettre en place d’ici fin mars 2023 l’expérimentation d’un système de vérification de l’âge « qui respecte un principe de double anonymat grâce à l’intervention d’un tiers de confiance. Celui-ci fournira l’attestation de majorité ». Le tiers de confiance pourra être « un opérateur télécom, un fournisseur d’identité numérique, ou tout autre organisme susceptible d’attester de la majorité d’une personne », a annoncé le ministre auditionné le 14 février par la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale. Jean-Noël Barrot a confié dans un entretien au Parisien que « La France sera le premier pays du monde à proposer une solution comme celle-là ».

Peut-on compter sur une coopération des plateformes ?

62 % des mineurs de 11 à 18 ans déclarent utiliser un réseau social, au moins. Pour les plateformes, les mineurs représentent une grande partie de leurs audiences. C’est par exemple le cas de Snapchat dont 20 % de l’audience au niveau mondial est âgé de 13 à 17 ans.

Pour appliquer cette loi, les députés n’en comptent pas moins sur leur collaboration pour restreindre effectivement l’accès aux moins de 15 ans. Les plateformes seront « légalement tenues de faire obstacle à l’inscription à leurs services par des mineurs de moins de quinze ans », sauf si le consentement de l’un des titulaires de l’autorité parentale est présenté de manière explicite.

La proposition de loi adoptée par l’unanimité des députés membre de la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale fera l’objet d’une discussion le 2 mars prochain en séance.

[1] WhatsApp to raise minimum age limit to 16 in EU – BBC News

[2] Droits numériques des mineurs : la CNIL publie les résultats du sondage et de la consultation publique | CNIL

[i] Recommandation 7 : vérifier l’âge de l’enfant et l’accord des parents dans le respect de sa vie privée | CNIL

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