L'édito de Philippe Bailly

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Réforme du droit d’auteur : les pistes envisagées par la Commission européenne

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Statewatch a publié, en fin de semaine dernière, une étude d’impact évaluant les différentes options que la Commission européenne envisage de mettre en œuvre dans le cadre de sa future réforme visant à moderniser le droit d’auteur de l’UE.

Parmi les options « préférées », la Commission souhaite élargir l’accès aux œuvres retransmises par les diffuseurs sur leurs services en ligne en appliquant le principe du « pays d’origine » (qui s’applique déjà au satellite depuis la directive 93/83) aux acquisitions de droits. Pour accroître la disponibilité en vidéo à la demande (VàD) d’œuvres audiovisuelles européennes, la Commission envisage d’obliger les Etats membres à établir un « mécanisme de négociation pour surmonter les obstacles ».

La Commission s’attaque également à la rémunération des contenus, proposant des mesures législatives afin d’imposer aux services numériques qui « stockent et donnent au public un accès à de nombreux contenus protégés mis en ligne par les utilisateurs de ces services » de conclure des accords avec les ayants droit pour l’utilisation de leurs contenus. Ces services devraient mettre en place des mesures appropriées et proportionnées, en coopération avec les ayants droit, pour éviter la mise à disposition de contenus non-autorisés sur leurs plateformes.

Enfin, les éditeurs de presse se verraient conférer un droit voisin pour l’utilisation en ligne de leurs publications.

La Commission devrait présenter une directive et un règlement (d’après Le Monde) le 21 septembre prochain.

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Elargir l’accès aux contenus au sein de l’UE

La Commission européenne considère qu’à l’heure actuelle, les diffuseurs européens font face à des difficultés dans l’acquisition de droits sur des contenus en vue d’une diffusion transfrontalière sur leurs services en ligne. En effet, les diffuseurs doivent acquérir les droits nécessaires pour chaque territoire souhaité, impliquant souvent un processus complexe de libération de droits et d’importants coûts transactionnels. En Allemagne, l’ARD et ZDF peuvent, par exemple, conclure jusqu’à 70 000 contrats par an avec les ayants droit. Un épisode d’une série comme Doctor Who (BBC) peut couvrir une centaine de droits différents. Pour la Commission, les diffuseurs ne sont donc pas incités à étendre leur offre en ligne vers d’autres Etats membres.

CableSatInternet

En vertu de la directive Satellite et Câble de 1993, un diffuseur a seulement besoin, pour une retransmission par satellite, d’acquérir les droits dans l’Etat membre d’origine où il est établi pour pouvoir proposer ses services dans tous les pays de l’Union. C’est ce principe de « pays d’origine » que la Commission souhaite appliquer aux services en ligne des diffuseurs (simulcasting, TVR, contenus en rapport avec la diffusion initiale), afin de faciliter la libération des droits et donc d’élargir l’offre en ligne.

Cependant, l’application du principe de « pays d’origine » ne serait pas une obligation et dépendrait, comme l’écrit la Commission, des « décisions commerciales des diffuseurs et des ayants droit ». Ces derniers resteraient libres d’accorder des licences territoriales et de céder leurs droits pays par pays. La Commission précise que les acteurs n’auront sans doute pas recours à cette option pour les contenus audiovisuels premium, qui pourront toujours être « géo-bloqués », dans le respect du droit national et communautaire. Pour les autres types de contenus, la Commission espère que les diffuseurs pourront conquérir de nouveaux marchés dans l’Union grâce à leurs services en ligne, notamment par des programmes qui, sans cette réforme, n’auraient pas fait l’objet d’une diffusion dans d’autres Etats membres. De leur côté, les ayants droit devraient pouvoir augmenter le prix de leurs licences, et profiter d’une plus large exposition de leurs œuvres.

Par ailleurs, la Commission constate que l’offre et l’accès aux œuvres audiovisuelles européennes sur les plateformes de VàD est toujours limitée pour des raisons d’acquisitions de droits complexes, de blocages contractuels ou de manque d’incitation économique. Pour remédier à cela, la Commission souhaite que les parties prenantes se concertent pour adopter des mesures d’autorégulation afin d’accroitre la disponibilité et l’efficacité d’exploitation des œuvres audiovisuelles européennes. De plus, les Etats membres devront établir un « mécanisme de négociation » pour parvenir à cette fin, comprenant certains éléments, dont l’identification d’une instance d’arbitrage impartiale et l’obligation de négocier de bonne foi sur une base volontaire. Pour la Commission, « cette mesure respecte le principe de liberté contractuelle tout en créant un cadre apte à la résolution de désaccords individuels ».

Encadrer l’utilisation de contenus protégés par les services en ligne

En imposant aux services en ligne comme YouTube, Vimeo ou Dailymotion de conclure des accords avec les ayants droit et de mettre en place des systèmes d’identification et de retrait de contenus, la Commission espère garantir une rémunération équitable aux ayants droits, et leur conférer un réel contrôle sur l’utilisation de leurs contenus. La Commission espère que le secteur audiovisuel suivra l’exemple de celui de la musique, pour lequel de tels accords existent.

De son côté, Google a rappelé que YouTube avait déjà rapporté plus de 2 milliards d’euros de revenu pour les ayants droit de par ses accords avec les différents labels musicaux. YouTube a également mis en place la technologie ContentID, qui identifie automatiquement les œuvres pour donner aux ayants droit le choix de retirer leurs contenus ou de les monétiser. Si Google estime que 98% des contenus protégés sont identifiés par ce système, et que l’industrie de la musique choisit de les monétiser dans 95% des cas, les ayants droit considèrent qu’ils n’ont aucun pouvoir de négociation face aux plateformes en ligne qui ne sont, jusqu’ici, pas contraintes de parvenir à des accords et leur présentent donc des offres “à prendre ou à laisser”.

Créer un droit voisin au profit des éditeurs de presse

Ce nouveau droit exclusif pour l’utilisation en ligne des articles de presse couvrirait « les publications essentiellement textuelles, issues d’un périodique, sous la responsabilité éditoriale, technique et économique d’une personne physique ou morale ».

La Commission souhaite également que les Etats membres puissent prévoir que « lorsque qu’un auteur cède ses droits à un éditeur de presse, cette cession constitue une base légale suffisante pour permettre à l’éditeur de demander une compensation financière pour les utilisations faites sous une exception à ce droit, sous réserve que l’éditeur assure une compensation adéquate à l’auteur ». Concrètement, cette option ouvre la voie à une compensation pour les éditeurs de presse et auteurs pour l’utilisation de leurs travaux sous l’exception de reprographie.

Toutefois, pour le consommateur, la Commission assure que le niveau général de compensation restera inchangé. Elle a également précisé que cette proposition « ne changera en rien le statut légal des liens hypertextes en droit communautaire », problématique sur laquelle la Cour de justice de l’UE devrait se prononcer ces prochaines semaines dans l’affaire GS Media[1].

Sur son site internet, la députée européenne Julia Reda (Groupe des Verts/Alliance libre européenne) s’inquiète de ce projet de réforme mené par le commissaire Günther Oettinger, qui a, selon elle, « laissé les industries du cinéma et de la musique empêcher une réforme progressiste ». Pour elle, cette réforme risque de se transformer en nouvel Accord commercial anti-contrefaçon (qui avait été rejeté par le Parlement européen en 2012). Elle considère que les propositions de la Commission auront vocation à « handicaper Internet au profit des éditeurs de presse », « tuer les start-ups européennes pour l’industrie de la musique », et regrette l’absence de propositions sur le geo-blocking des services de VàD et de sites de partage vidéo.

[1] Affaire C-160/15 GS Media BV/Sanoma Media Netherlands BV, Playboy Enterprises International Inc., Britt Geertruida Dekker.

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