L'édito de Philippe Bailly

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Information: Comment réinventer le traitement de la politique ?

Compte-rendu de la table ronde du 24è Colloque NPA-LeFigaro (15/11/2016).

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Catherine Nayl, directrice générale adjointe de l’information du groupe TF1

colloque07Sur la question de savoir si le processus de primaire « à la française » a étiré le débat sur les présidentielles jusqu’à un point où les médias auraient du mal à maintenir l’attention, Catherine Nayl considère que les médias doivent simplement être dans « le bon timing », et qu’il y a plusieurs types d’émission s politiques qui correspondent à un « timing ». Il faut « concevoir des émissions politiques qui ont moins des concepts travaillées et choisis sur la personne et sur le fond, que des évènements que consistent à pouvoir gérer la parole des uns et des autres ».

Elle pense également « qu’il y a de la place pour des émissions politiques sur chaque chaine » et que chacun peut y participer avec « ses armes, avec son ADN, sa volonté de rentrer dans ce débat ». Finalement, elle estime que c’est un étrange procès que de reprocher aux médias de faire trop de politique, qu’intéresser les citoyens à la politique fait partie de leur rôle.

Sur la représentation des citoyens français, elle estime que les médias sont aujourd’hui aidés par les nouvelles technologies et les outils d’analyse des réseaux sociaux, par exemple, qui les amènent « à revoir un peu la façon dont on décline des émissions politiques, en étant plus 360 et en allant chercher les gens qui ne se trouvent pas devant la télévision ». Pour les médias quels qu’ils soient, l’enjeu est « d’aller chercher un nouveau public », plutôt qu’un public récurrent. « Il me semble qu’on peut faire remonter plus facilement en 2016 des choses qui vont au-delà de ce que disent les instituts de sondage », ajoute-t-elle.

Enfin, interrogée sur l’élection présidentielle française de 2017, Catherine Nayl estime que le vainqueur sera celui ou celle qui dégagera « quelque chose de différent » et qui fera ressentir de la sincérité à un peuple français qui a « vécu beaucoup de déception ». Pour faire émerger cela dans le traitement de l’information, elle admet qu’il n’y a « pas de recette ». Il y a plutôt « des moments, du flair », et l’identité des médias et de leurs chaînes respectives, dont le rôle serait de « faire retrouver des réponses aux questions » que se posent les français.

 Alexandre Kara, directeur des rédactions de France Télévisions

Interrogé sur la rcolloque05areté de la parole des politiques, Alexandra Kara considère que c’est un problème lorsqu’on retrouve deux invités sur des émissions importantes dans la même journée, mais qu’aujourd’hui, les espaces supplémentaires disponibles pour les politiques sont un « plus » pour la démocratie. « En réalité, aujourd’hui on peut s’exprimer différemment sur des antennes différentes avec des choix éditoriaux différents », se réjouit-il, citant notamment l’exemple de M6 avec Une ambition intime, « émission qu’on n’aime ou qu’on n’aime pas, mais qui a aujourd’hui son intérêt ». D’après lui, « c’est à nous médias de faire nos choix, de trouver nos angles pour mettre en perspective différemment la parole publique ».

A ce titre, il pense que les médias ont besoin de permettre à plus de personnes d’occuper l’espace démocratique, et essaie régulièrement d’enrichir le panel d’invités de France Télévisions afin d’entendre de nouveaux discours. Il constate également que si France Télévisions a choisi de faire une émission longue et de prendre des risques en termes d’audience, la part de marché des chaînes est « quasiment la même aujourd’hui que lors de la course présidentielle il y a 5 ans ».

Par ailleurs, Alexandra Kara est revenu sur la difficulté de donner la parole aux « vrais gens », estimant que c’était statistiquement impossible, et que les outils pour cela n’existaient pas. « C’est des choix qu’on fait dans des émissions d’avoir un point de vue, de confronter un homme politique à une dramaturgie particulière », ajoute-t-il. Evoquant Twitter, par exemple, il rappelle que c’est un outil intéressant, mais qu’il « ne montre que l’intérêt des gens de Twitter spécifiquement ». Tout cela est donc « à prendre avec beaucoup de pincettes et humilité ». Il pense au contraire que les médias peuvent apporter autre chose : du décryptage des programmes, du « fact-checking », poser plus de questions pédagogiques. Il ne faut pas, selon lui, « céder à l’illusion qu’on va faire rentrer les français sur un plateau ».

Il ajoute que les rédactions sont mêmes souvent dans un tel rapport à la rationalité qu’elles peuvent s’égarer de la réalité d’un vote, comme cela a été le cas avec l’élection de Donald Trump. « On va penser que son vote est irrationnel. On doit s’interroger, nous, sur ce que pensent véritablement les électeurs. On doit remettre au cœur du journalisme la question de l’empathie, qui a été oubliée, et cette capacité de tenter de comprendre les gens ». Pour illustrer ses propos, il donne l’exemple de la campagne de Lionel Jospin en 2002, dont l’équipe était « très fier de ses résultats économiques et sur le chômage ». Cependant, « comment explique-t-on à quelqu’un qui a perdu son emploi, que l’outil statistique doit le convaincre que tout va bien pour lui ? », interroge Alexandre Kara.

Sur l’esprit « anti-establishment » qui a animé la campagne du nouveau président des Etats-Unis, il considère que les médias doivent se poser des questions, notamment sur les outils journalistiques utilisés. « Quand une partie des français nous associe comme étant nous-même l’élite et l’establishment, on doit au moins prendre le temps de s’interroger là-dessus », a-t-il rappelé. Selon lui, la situation en France serait toutefois différente de celle outre-Atlantique. « Si l’élection de 2007 a été celle de l’adhésion, 2012 a été essentielle celle du rejet, celle de 2017 s’apparente une élection de défiance », qui tournera en faveur du candidat dont les français se méfieront le moins.

Marie-Eve Malouines, Présidente de LCP Assemblée-Nationale

colloque04Marie-Eve Malouines a débuté son intervention en soutenant que la multiplication des émissions politiques est une bonne chose, car cela crée une forme d’émulation. L’on peut trouver dommage qu’il n’y a ait pas de diversification quand toujours les mêmes personnes sont invités sur les plateaux, poursuit-elle. Chez LCP, les invités ne sont pas nécessairement de premier plan étant donné que cela fait partie des missions de la chaîne. La démocratie passe aussi par-là, affirme-t-elle. La lassitude que la politique peut créer chez les téléspectateurs est en lien étroit avec le concept des émissions. Selon la présidente, si les émissions sont faites pour utiliser les hommes politiques « pour mieux les dénig rer, cela ne rend pas service à la démocratie ». Elle pense qu’au contraire, trouver des biais différents est une bonne chose et « traduit la volonté des gens de connaître différemment les personnalités politiques ». Citant à son tour l’émission de M6 qui « est intéressante », elle admet que celle-ci a « interrogé les autres médias sur ce qu’on peut faire dans ce domaine ».

Marie-Eve Malouines a dans un second temps évoqué la question des sondages, dans un contexte marqué par la récente élection du nouveau Président américain. Pour cette dernière, les sondages se trompent moins aujourd’hui que les journalistes pour la simple raison que les gens votent aussi en fonction des sondages.

La Présidente encourage à ce qu’il y ait dans le journalisme et dans les chaînes une part d’intuition. Il faut s’interroger sur ce qui intéresse les gens.

Pour illustrer cette idée, Marie-Eve Malouines a pris l’exemple du deuxième débat de la primaire Les Républicains du 3 novembre dernier. « Les français ne sont pas intéressés par le sujet Bayrou », soutient-elle. « Ils sont plus intéressés par les questions d’éducation ». C’est un sujet qui passionne et qui a pourtant été peu présent dans le débat de la primaire LR.

Elle conclut : « il faut utiliser tous les outils que l’on a notre disposition. Que ce soit le programme, la personnalité, la méthode, je pense que ce sont des outils, et que ce qui intéresse les gens c’est la sincérité et l’empathie. Ce qui compte c’est comment le prochain président incarnera la fonction. »

Alexis Brézet, Directeur des rédactions du Groupe Le Figaro

Alexis Brézet estime positive la diversité de l’information politique. Selon lui, ces formats fonctionnent et suscitent l’intérêt du public, ce qui n’empêche pas de réfléchir à de nouvelles formes.

« Chaque canal colloque03a sa façon de raconter. On ne raconte pas pareil sur le print (longs formats, enquêtes…), sur le web (vidéos, infographies) et à la télévision ». Alexis Brézet identifie ainsi deux défis pour intéresser de nouveau le public : chaque canal doit trouver son mode de narration propre d’une part, et le champ politique doit s’élargir, d’autre part. Sur ce second point, il considère que « la politique souffre de s’être réduite à la vie politicienne ». La « vraie politique » doit passer par davantage de terrain et de débats intellectuels.

Par ailleurs, Alexis Brézet souligne un changement important, celui de la fin d’une relation verticale entre médias et lecteurs. Désormais, ceux-ci se parlent entre eux. Il cite, à l’appui, des chiffres pour le site Le Figaro : 900 000 commentaires par mois, soit 30 000 par jour. En outre, les internautes dialoguent entre eux. A la question de l’existence de faux commentaires, Alexis Brézet répond que cela peut arriver, citant l’exemple d’articles portant sur la Russie. Il a également mentionné les « votes » quotidiens que propose le site Le Figaro sur divers sujets, mais souligne néanmoins que ce ne sont pas des sondages et qu’ils ne prétendent pas l’être.

Sur la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, Alexis Brézet estime que les journaux auraient dû savoir, et qu’il n’y a pas eu un manque de travail sur le terrain. Le problème, selon lui, est que « quand on est trop persuadés, on ne veut pas voir autre chose ». La réponse à ce risque, c’est la diversité des médias.

Gilles Finchelstein, Directeur des études chez Havas Worldwide

colloque02Gilles Finchelstein souligne un premier paradoxe du marché de l’offre d’émissions politiques : alors que celle-ci est en hausse, la demande des téléspectateurs ne suit pas, et est en baisse. Une situation qui s’explique par de nombreux facteurs, au titre desquels la perte de statut de la politique, qu’on observe notamment via l’abstentionnisme. Second paradoxe, la perception d’uniformité de cette offre, alors qu’elle est en réalité très diverse. En revanche, il faut plus de rigueur dans le traitement de cette information afin d’obtenir plus de spontanéité.

Pour lui le temps de la primaire est compliqué à gérer pour les candidats : « savoir, quand on est désigné en novembre, comment occuper son temps jusqu’à l’élection, alors qu’on en a déjà beaucoup dit, c’est très compliqué ».

Sur la personnalisation de la politique, Gilles Finchelstein fait remarquer que celle-ci n’est en rien spécifique à la France, que toutes les démocraties sont concernées. Toutefois, l’élection au suffrage universel ainsi que les primaires, participent au phénomène. Une émission comme Une ambition intime ne pose pas de problème selon lui, tant qu’elle ne se substitue pas au fond et que la porosité entre vie privée et publique n’est pas trop forte.

Sur les Etats-Unis, Gilles Finchelstein reconnait que, s’il y a peut-être eu un excès d’engagement, l’analyse n’est pas si simple. Il rapporte les propos d’un commentateur selon lesquels les supporters de Donald Trump l’avaient pris « au sérieux mais pas littéralement », alors que pour ses détracteurs, c’était l’inverse. Il souligne ainsi que les électeurs ne votent pas pour des mesures ou des propositions, mais pour un mélange de personnalité, de valeurs et de méthodes.

Gilles Finchelstein souligne enfin que les comportements électoraux évoluent. Une analyse lors de la dernière élection en France lui a permis de constater que 56 % des électeurs avaient changé d’intention de vote, et qu’il était impossible de déterminer le moment précis de ce changement. « Le rapport à la politique a changé, les fidélités ont changé, d’où l’importance d’être prudents dans ses pronostics ».

Shéhérazade Semsar-de-Boisséon, Managing Director de POLITICO European Edition

S’adressant aux « political junkies », Politico se distingue des autres médias en apportant un traitement différent de l’information politique « en comptant les points » mais sans jamais prendre position pour l’une des parties. Shéhérazade Semsar-de-Boisséon indique qu’il existe aujourd’hui un vrai marché de niche pour les passionnés de politique aux Etats-Unis et en Europe aussi. Elle estime d’ailleurs que nous vivons dans une ère très politique et que ce qui se passe à Berlin, Paris, Londres, Bruxelles ou à Washington est passionnant, que le « political game » intéresse les électeurs.

colloque01Elle indique que le traitement de l’information politique s’est intensifié en France et promet une année 2017 passionnante en Europe avec les prochaines échéances électorales qui vont être nombreuses : référendum en Italie sur le projet de réforme institutionnelle, élections législatives aux Pays-Bas, présidentielles en France et élections fédérales en Allemagne.

Aux Etats-Unis, l’élection présidentielle de 2016 a montré que les médias de masse étaient beaucoup trop engagés. Elle estime ainsi nécessaire qu’ils prennent la place « d’arbitre » et arrêtent de « donner leur avis » sur les personnalités politiques. Selon elle, ils auraient par exemple dû donner « un carton rouge » à Donald Trump sans prendre parti pour Hilary Clinton comme ils l’ont fait.

Ces élections américaines ont également montré que le « mainstream media » a réduit le discours de Donald Trump à un seul message relatif à son comportement avec les femmes et ses prises de position sur les races. Or, elle indique qu’il a dit beaucoup d’autres choses qui n’ont pas été reprises par les médias de masse, mais seulement par les réseaux sociaux comme Twitter et autres.

Aujourd’hui, la difficulté la plus importante dans le traitement de l’information politique est que les médias « mainstream » ne véhiculent qu’un message tronqué alors qu’avec les réseaux sociaux, les électeurs entendent autre chose.

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