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Le live : valeur refuge pour la captation de l’attention ?

Compte-rendu de la table ronde du 24è Colloque NPA-LeFigaro (15/11/2016)

Thomas Valentin, Vice-Président du Directoire du groupe M6, en charge des antennes et des contenus

Selon une étude NPA – Institut CSA publiée la semaine dernière[1], 40% des Français préfèrent la programmation à la demande ; les 60% restants privilégient la télévision linéaire. Premier intervenant de la table ronde, Thomas Valentin rebondit sur ces chiffres, affirmant que le résultat obtenu repose principalement sur du déclaratif. Les pratiques diffèrent bien plus selon lui. Il rappelle que 95% de la consommation TV aujourd’hui est linéaire (87% pour les 15-24 ans), sans pour autant négliger le développement du délinéarisé, permis notamment par l’essor des réseaux à larges bandes et la disponibilité de plateformes telles que 6play. Cette consommation serait devenue naturelle, à tel point que la télévision sans replay ne serait même plus imaginable. Selon Thomas Valentin, elle fait partie intégrante du travail de ses équipes : « Notre métier aujourd’hui, c’est de faire de la télévision linéaire et non linéaire. C’est la même chose. »

Valentin-3Thomas Valentin rappelle qu’un certain nombre de mutations ont amené à ces nouveaux types de consommation tels que le passage de 6 à 27 chaînes gratuites. Par ailleurs, il souligne que 90% des Français ont accès à Internet, ce qui a notamment entrainé une explosion de l’offre à la demande par les chaînes, mais également par les autres acteurs de la vidéo en ligne. Tout cela fait la puissance de la télévision aujourd’hui, un média qui est de plus en plus consommé, sa durée d’écoute sur écran traditionnel s’étant stabilisée sur les 10 dernières années. À celle-ci vient même désormais s’ajouter le temps passé devant toutes les plateformes de replay, venant gonfler la durée globale d’écoute.

Avant de revenir sur le cas M6, il affirme que quotidiennement, la télévision représente 38 millions de contacts (24 millions pour M6). Une couverture si importante que depuis un an, M6 a voulu faire de cette donnée un atout par la mise en place d’un système d’identification pour accéder à sa plateforme 6play. Aujourd’hui, ce sont 13,5 millions de personnes qui seraient inscrites (et un tiers des adolescents), faisant entrer la télévision dans l’ère de la data.

Le Vice-Président du Directoire du groupe M6 poursuit sur la complémentarité entre le digital et le support traditionnel, alors que la presse a parfois pu enterrer l’écran télévisé. La demande serait encore plus considérable avec l’essor du digital. Pour illustrer ses propos, il prend l’exemple de la télé-réalité Les Marseillais…. Il y a deux ans, M6 a retiré pendant trois jours la diffusion en replay de l’émission pour voir si l’audience en ligne allait se déporter sur le linéaire. Il a pu s’apercevoir que l’audience sur écran traditionnel était alors restée stable. Une fois le replay réintroduit, les 900 000 téléspectateurs de 6play habitués à regarder le programme en replay ont à nouveau répondu présents, constituant ainsi une audience complémentaire.

Aujourd’hui, Thomas Valentin souhaite travailler encore davantage sur la digitalisation du on demand mais également de la chaîne linéaire. Il estime qu’il est important d’investir davantage le linéaire et le live avec des innovations qui vont accroître la puissance de la télévision. Si la diffusion de programmes tels que les retransmissions de matches de football créent des émotions collectives simultanées, d’autres facteurs peuvent créer les mêmes sensations, tels que :

  • Le live, mode de diffusion qui rendra ce média pérenne et efficace.
  • L’imprévisible, possible même quand les programmes sont enregistrés. La France a un incroyable talent ou encore Le meilleur pâtissier sont deux programmes types qui peuvent mettre en haleine le téléspectateur, non informé en amont de l’issu des compétitions et du profil des candidats.
  • L’infalsifiable. Même si les programmes sont réalisés en avance, ils sont considérés comme authentiques. Le « vrai » prend encore plus de puissance en live, alors que l’Internet est qualifié comme étant le lieu de toutes les manipulations.

Interrogé enfin sur la valeur du direct au sein du groupe M6, Thomas Valentin ne la considère pas comme centrale. Les principaux critères de puissance d’un programme reposent selon lui sur l’événement et le storytelling.

Bibiane Godfroid, Présidente de CAPA

Godfroid-3Bibiane Godfroid met au cœur de son propos la valeur d’émotion. La Présidente de CAPA rejoint ainsi Thomas Valentin, Vice-Président du Directoire du groupe M6, sur la manière d’aborder chaque sujet à la télévision : « Il faut faire de bonnes histoires avec de bonnes émotions. C’est un principe de base pour faire de la télévision et pour qu’elle soit regardée », affirme-t-elle.

Le direct prend selon elle de plus en plus de place dans les grilles de programmation. Ce mode de diffusion donne l’impression que tout peut arriver à l’antenne, en permanence. Elle souligne que la différence avec le direct aujourd’hui, c’est l’appui considérable que constituent les réseaux sociaux, à tous les niveaux. La résonnance y est telle, qu’un simple problème technique à une heure de grande écoute peut booster les interactions sur la toile et susciter la curiosité de l’internaute, lequel va vouloir regarder le programme en question.

Selon la Présidente de CAPA, la multiplicité des écrans a induit une certaine frustration chez les professionnels de la télévision. La révolution digitale a poussé les producteurs à créer des contenus digitaux, à faire du Social TV, et ce dans un souci d’adaptation aux nouveaux usages. Cependant, d’un point de vue économique, les recettes étant indexées aux audiences des programmes, la nouvelle stratégie des producteurs se serait avérée moins fructueuse que souhaité. C’est pourquoi Bibiane Godfroid envisage désormais le digital autrement. Il doit être complémentaire à la diffusion traditionnelle. À titre d’exemple, en amont même de la mise à l’antenne d’un programme, lors de l’étape des castings dans le cadre d’une télé-réalité ou d’un jeu, le choix des candidats n’est pas laissé au hasard. Bibiane Godfroid accorde une attention toute particulière à l’influence des sélectionnés sur la toile. Il en est de même pour le choix des sujets, certains pouvant davantage faire parler sur les réseaux sociaux. Ainsi, le digital est systématiquement envisagé quand un programme est produit.

D’après la Présidente de CAPA, toutes ces mutations ne doivent pas faire de l’ombre à la consommation traditionnelle de la télévision. Nombre de téléspectateurs sont encore attachés à leur téléviseur, il ne faut pas les négliger. Par ailleurs, selon elle, le live constitue certes d’une valeur de captation de l’attention, néanmoins, il s’agit d’un mode de diffusion qui représente une part peu importante, rapportée à l’ensemble des programmes à l’antenne.

Didier Quillot, Directeur Général de la LFP

CaptureAnciennement à la tête de Lagardère Active, Didier Quillot a été nommé en mars 2016 directeur général de la Ligue de Football professionnel (LFP). Son objectif est clair : faire de la Ligue 1 une marque attractive en s’inspirant des best practices utilisées en Angleterre et en Allemagne, pays où le football est géré comme un « véritable spectacle » selon ses termes. Prenant l’exemple de l’outre-Manche, Didier Quillot estime que la Premier League est mieux markétée que le football français et ce pour deux raisons : d’abord la culture anglaise du football est beaucoup plus forte en Angleterre qu’en France. De plus, Didier Quillot estime que le produit que représente le championnat anglais est beaucoup plus attractif, que ce soit en termes de jeu tourné vers l’offensif, ou encore de réalisation audiovisuelle. En découle une grande différence de valeur des droits de diffusion entre le championnat anglais et français. Pour rappel, lors de son appel d’offres en 2014 pour la période 2016-2019, la Premier League touche 2,3 milliards d’euros par an, contre 748 millions pour la Ligue 1. Cette inflation des droits TV anglais était notamment la conséquence de la bataille entre l’opérateur historique Sky qui diffuse aujourd’hui 126 rencontres, et British Telecom qui a obtenu la diffusion de 42 matches par saison. Cette « intensité compétitive » entre les acteurs du marché, qui existe en Angleterre serait absente en France, ce qui constitue l’une des raisons pour lesquelles le football français est moins valorisé selon le directeur exécutif de la LFP.

Malgré cet écart entre les deux pays, le football reste un carrefour d’audience important pour les chaînes gratuites et une notion d’existence même de la pay TV en France, rappelle Didier Quillot. En témoigne le record historique d’audience pour une chaîne de télévision détenu par le match France-Portugal en demi-finale de la Coupe du monde de 2006 avec 22,5 millions de téléspectateurs sur TF1.

Interrogé ensuite sur la complémentarité entre la diffusion en live et le développement de la VoD pour le football, Didier Quillot estime que la vidéo à la demande constitue un nouveau canal de diffusion du football, devenant un complément au live et non pas un concurrent. A titre d’exemple, il cite la chaîne YouTube de la LFP à laquelle sont abonnées plus de 520 000 personnes, qui propose des résumés de rencontres, des classements des plus beaux buts, ainsi que des images d’archive.

Dans l’objectif de développer une véritable marque Ligue 1, Didier Quillot a évoqué la création de la marque « e-Ligue 1 » en partenariat avec le studio de jeux vidéo Electronic Arts. L’objectif est de déployer la marque « Ligue 1 » sur un autre territoire, celui du e-sport, actuellement en pleine croissance et qui vise les jeunes (18-30ans) jouant au jeu Fifa 17. Afin d’exploiter les droits audiovisuels de la e-Ligue 1, la LFP a retenu l’offre conjointe de beIN SPORTS et de Webedia et les qualifications en ligne débuteront dès le vendredi 18 novembre.

Interrogé enfin sur l’arrivée progressive des GAFA et des grands acteurs du web dans l’achat de droits de diffusion du sport aux Etats-Unis, avec notamment Yahoo qui avait déboursé près de 15 millions d’euros pour la diffusion en streaming du match d’ouverture de la NFL en octobre 2015, Didier Quillot observe leur arrivée progressive dans le football. Ainsi, Amazon a acquis pour une cinquantaine de millions d’euros les droits Web et mobile de la Bundesliga lors du dernier appel d’offres de la ligue allemande. Il n’est cependant pas certain que les GAFA viendront à la hauteur des acheteurs traditionnels de droits de diffusion du football que sont la pay-TV et les opérateurs télécoms. Il observe également l’arrivée des opérateurs OTT sur ce marché avec l’exemple de DAZN, service en ligne de diffusion de rencontres sportives, qui a payé 20 millions d’euros pour obtenir la diffusion des résumés de matchs de la Bundesliga.

A propos des droits de diffusion de la Ligue 1, Didier Quillot confesse que lors du dernier appel d’offres en 2014, ni les GAFA, ni les services OTT n’étaient présents. Il estime que ces nouveaux acteurs achètent les droits de diffusion dans les pays où ceux-ci sont très bien markétés. Ainsi, pour que la Ligue 1 puisse attirer ces investisseurs pour le prochain appel d’offres qui doit avoir lieu avant 2019, elle doit d’abord proposer un produit plus spectaculaire avec une véritable tension compétitive.

François de Brugada, Président Directeur Général de Banijay Groupe

CaptureFrançois de Brugada, président directeur général de Banijay Groupe, a voulu attirer l’attention sur l’attrait que représente le direct en prenant pour exemple l’émission Touche pas à mon poste, dont sa société est productrice. En effet, le fait que l’émission ne soit pas enregistrée laisse la place à l’imprévu, au buzz éventuel, ainsi qu’à l’interaction avec les téléspectateurs via les réseaux sociaux. Le direct est alors intrinsèque au concept de l’émission, malgré son coût de fabrication plus élevé.

Cependant, le direct ne représente pas la « clé universelle du succès » selon le PDG de Banijay Groupe, pour qui la même charge d’émotion peut être transmise par l’histoire racontée au sein d’une émission, notamment grâce au montage réalisé en aval. Il présente ainsi le cas de l’émission Koh Lanta pour laquelle le live n’est pas nécessaire pour attirer les téléspectateurs en nombre devant leur écran, excepté pour la finale où le gagnant est annoncé en direct.

Interrogé sur l’utilisation des réseaux sociaux par les chaînes TV à propos de la communication de leurs programmes, François de Brugada estime que le lien entre ces deux univers fonctionne très bien en citant l’exemple du programme Les Marseillais et les Ch’tis vs le reste du monde. En effet, selon lui, l’émission atteindrait aujourd’hui le nombre de plus de 100 millions de vidéos vues en replay et via les réseaux sociaux rien que pour la saison en cours de diffusion.

Il soulève enfin la nécessité de prise de conscience, par les chaînes et les producteurs, de la diminution de la consommation de télévision chez les plus jeunes, particulièrement auprès de la cible 4-14 ans, au profit d’Internet. Ainsi, tout un pan de consommation est en train de se créer chez les plus jeunes, qui ne se fait pas sur la télévision mais en ligne. C’est pourquoi, François de Brugada insiste sur la nécessité de proposer d’autres façons de consommer des programmes achetés par les chaînes, mais aussi de proposer de nouvelles offres digitales pour ces cibles précises. Par conséquent, à côté du métier de vente de programmes aux chaînes, les producteurs doivent réfléchir à la création de programmes dédiés à l’environnement digital, notamment pour des agrégateurs de contenus tels que Amazon, Netflix ou YouTube.

Sébastien Perron, Directeur des partenariats stratégiques, YouTube France

CaptureDepuis 2011, année de lancement de la fonctionnalité « live » sur YouTube en France, l’hébergeur de contenus vidéo s’est imposé comme étant un acteur majeur de la diffusion en direct. Sébastien Perron, Directeur des partenariats stratégiques de YouTube France, affirme que la mise en place du service s’est inscrite dans une logique de complémentarité avec les diffuseurs traditionnels. En effet, YouTube souhaite rester une plateforme qui héberge du contenu, sans pour autant en détenir l’exclusivité : « On reste une plateforme, notre logique est d’abord de travailler avec les ayants-droit, en respectant la chronologie des droits avec par exemple une diffusion de résumés de matches de Ligue 1 sur la chaîne de la LFP à partir du dimanche soir à minuit ». Sébastien Perron qualifie ainsi YouTube d’entreprise « d’ingénieurs » qui propose des technologies et non pas comme un acquéreur de droits de diffusion.

À la question de la réaction de YouTube face à l’engouement pour le live et à l’intensification de la concurrence, notamment avec de nouveaux rivaux tels que Periscope ou Facebook Live, Sébastien Perron répond que la logique a été avec YouTube Live d’améliorer au fur et à mesure le produit et de le diversifier. Ces nouveaux outils sont ainsi mis à la disposition de divers ayants-droit tels que British Telecom qui a diffusé en direct la finale de la Ligue des champions et d’Europa League via YouTube, mais aussi France Télévisions qui proposait cette année la retransmission de matches de Roland Garros en version 360.

A propos de la puissance grandissante du e-sport en direct, Sébastien Perron précise que YouTube serait la première plateforme de diffusion de jeux vidéo. A ce titre, la filiale d’Alphabet compte lancer prochainement YouTube Gaming dans plusieurs pays, une interface dédiée exclusivement à la diffusion en direct de compétitions de e-sport, concurrençant directement le service Twitch, propriété d’Amazon. En outre, du fait de l’arrivée de diffuseurs plus traditionnels comme Canal+ ou TF1 dans le secteur du e-sport, Sébastien Perron envisage la possibilité de partenariats avec ces différents acteurs, comme YouTube l’a déjà fait pour le football avec la Ligue 1.

Interrogé ensuite sur la possible diffusion de programmes de flux sur YouTube, Sébastien Perron rappelle l’existence de YouTube Red, déjà présent aux Etats-Unis. Cette fonctionnalité payante permet l’accès à des contenus originaux exclusifs, mais aussi la suppression de la publicité ainsi que le visionnage de vidéos hors ligne. Son arrivée en Europe pourrait être effective en 2017.

Interrogé enfin sur la monétisation des contenus sur YouTube, Sébastien Perron rappelle que la redistribution se fait à hauteur de 55% réservés au créateur, le reste pour la plateforme. Alors qu’une régie traditionnelle ne prélève que 30% de ces revenus, YouTube justifie cette quote-part élevée par ses infrastructures efficaces et son fort taux de fréquentation, le site étant le troisième plus visité en France. Il précise également que la régie Google qui commercialise YouTube, travaille assidument à que les ayants-droit soient rémunérés le plus rapidement possible. Cependant, le directeur des partenariats stratégiques de YouTube France rappelle que la croissance des usages et plus forte que la croissance des revenus. Afin de contrer ce phénomène, des revenus complémentaires peuvent être envisagés, c’est-à-dire autrement que par la publicité. Sébastien Perron prend l’exemple de Norman fait des vidéos. En parallèle de la présence de son dernier spectacle sur Google Play, le Youtubeur a mis en ligne une vidéo rappelant à ses 8 millions d’abonnés la disponibilité de ce spectacle en streaming légal ou téléchargement définitif sur Google Play. Il s’agit ainsi de revenus complémentaires pour les ayants-droit, ne provenant pas directement de YouTube mais facilités par la plateforme de vidéos.

[1] La TV à l’heure du « mieux regarder »

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