L'édito de Philippe Bailly

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Les enjeux légaux et réglementaires de la distribution audiovisuelle (4/4)

Le Flash NPA vous a proposé d’analyser, sur 4 volets, les évolutions actuelles de la transformation dans la distribution audiovisuelle, en France et à l’étranger, en s’inspirant de la trentaine d’entretiens réalisés cet été auprès des professionnels du secteur. Le Flash du 20 septembre analysait les nécessaires adaptations économiques du secteur où la segmentation des acteurs et où la complexification de la gestion des droits sont des phénomènes croissants ; celui du 27 septembre détaillait les solutions mises en place par les distributeurs audiovisuels pour gérer et développer leurs forces commerciales et leur marketing.

Aujourd’hui, NPA s’intéresse aux impacts des dernières évolutions législatives (loi relative à la liberté de création à l’architecture et au patrimoine), et réglementaires (décret du 27 avril 2015, et accords professionnels qui le prolongent) auxquelles le secteur a dû et doit encore s’adapter.

 

Le souhait d’une mise en place d’aides directes à la structure de la distribution

Les aides directes à la structure de la distribution sont aujourd’hui inexistantes. La plupart des distributeurs interrogés s’accordent sur la nécessité d’une réforme pour y remédier, dans un contexte d’augmentation des minima garantis et des prix du marché.

Un premier pas a été franchi avec le Plan export adopté en novembre 2016 par le CNC, afin de favoriser l’export de programmes audiovisuels français. Dans le cadre de ce nouveau plan, le CNC a doublé le montant des aides au doublage, au sous-titrage et à la voix off, le portant à 3,4 millions d’euros par an. En plus de cette aide dite « automatique », le CNC gère également une aide sélective, attribuant régulièrement des aides au web marketing et site internet qui couvrent une partie des dépenses liées aux campagnes vidéo, réseaux sociaux, l’animation de communautés en ligne…

Le CNC a également lancé à titre expérimental la commission d’aide aux opérations spéciales de promotion, gérée par TV France International, avec une première attribution d’environ 50 000 euros répartis sur quatre projets (I am not your negro, Dix pourcent, Le Bureau des Légendes et Grizzy et les lemmings).

Cependant, comme le soulignent l’ensemble des distributeurs interrogés, ces aides à l’export ne constituent pas des aides directes à la structure de la distribution en tant que telle. En effet, seuls peuvent en bénéficier les producteurs et diffuseurs (y compris les filiales de diffuseur) disposant d’un établissement stable en France. L’œuvre audiovisuelle aidée doit également avoir bénéficié de l’aide du COSIP. A défaut de remplir ces conditions, les dépenses du distributeur pour la traduction, par exemple, ne sont pas remboursées. L’annonce par le CNC de l’ouverture prochaine aux œuvres audiovisuelles du FARAP, « Fonds d’avances remboursables pour l’acquisition, la promotion et la prospection de films à l’étranger », géré par l’Institut Financement Cinéma Industries Culturelles et jusqu’ici réservé aux œuvres cinématographiques, est donc naturellement saluée par le Syndicat des Entreprises de Distribution de Programmes Audiovisuels (SEDPA).

Pour Emmanuelle Bouilhaguet (Lagardère Studios Distribution et présidente du SEDPA), le système d’aides au cinéma, qui s’adresse aux sociétés de distribution établies en France ou dans un autre Etat européen et se compose d’une aide sélective et d’une aide automatique, « est à regarder ». Une piste envisageable pour aider les entreprises de distribution audiovisuelle serait par exemple l’instauration d’une « prime au succès, à l’audience, à l’exposition ». Autres suggestions récurrentes : récompenser la « prise de risques » afin de dynamiser le secteur en poussant les distributeurs vers des projets ambitieux, et accorder des aides aux entreprises plutôt que les attacher aux œuvres.

D’autres demandent davantage d’aide pour les supports marketing et pour le développement de la communication B2B.

Certains experts parlent aussi de fluidifier et simplifier les procédures et dossiers de candidature aux aides, ce qui permettrait notamment de renforcer la confiance entre le CNC et les producteurs et distributeurs[1].

Au niveau européen, si le programme MEDIA[2] de la Commission européenne a vocation à récompenser les meilleurs projets européens, plusieurs distributeurs considèrent que « les projets français ne sont pas prioritaires », le programme aidant plus souvent les projets issus de plus petits Etats membres de l’Union. De plus, aucune commission n’est prise par le distributeur sur l’aide versée, qui revient donc finalement au producteur.

A l’international enfin, d’après TV France International, certaines aides existantes pour soutenir la présence française sur les marchés et festivals sont « sous-consommées », à l’image de l’aide individuelle groupée (AIG), qui a bénéficié en 2016 à 35 opérations et 40 sociétés. Des réflexions seraient donc actuellement en cours pour « réformer ce mécanisme de soutien pour une meilleure performance dans le cadre de la multiplication des marchés et salons ».

Au-delà des aides financières, certains distributeurs se félicitent de la place qu’occupe aujourd’hui TVFI dans leurs déplacements à l’étranger. Pour Christophe Bochnacki (Balanga), TVFI permet aux distributeurs français de présenter une offre groupée et organisée lors de festivals internationaux, ce qui contribue fortement au succès des ventes auprès d’acheteurs japonais, brésiliens ou Moyen-Orient par exemple, qui apprécient cette structure.

La détention des mandats de commercialisation des œuvres indépendantes coproduites

La tendance à l’intégration verticale de l’activité de distribution, corrélée à la recherche constante de ressources supplémentaires, fait de la détention des mandats de commercialisation des œuvres indépendantes coproduites un enjeu déterminant opposant producteurs et diffuseurs dotés d’une structure de distribution interne.

En contrepartie de la possibilité donnée à l’éditeur de disposer de parts de producteurs dans les œuvres audiovisuelles dont ils ont financé une part substantielle (70 % du financement du devis), tout en les valorisant au titre de leur obligation de contribution à la production indépendante, le décret du 27 avril 2015 encadre strictement la détention des mandats de commercialisation et droits secondaires sur les œuvres en question.

Il accorde au producteur doté d’une capacité de distribution interne la priorité dans la détention des mandats de commercialisation des œuvres. Dans le cas où le producteur ne dispose pas d’une capacité de distribution ou renonce à y recourir, les mandats de commercialisation devront faire l’objet d’un contrat distinct et être négociés dans des conditions équitables, transparentes et non discriminatoires. L’éditeur devra également s’engager à diffuser l’œuvre sur l’un des services de son groupe dans un délai de dix-huit mois à compter de l’acquisition et à l’exploiter en France sur un service de télévision.

Comme prévu par le décret, un accord a été conclu entre les groupes TF1 et France Télévisions et les représentants des producteurs et distributeurs le 24 mai 2016 afin, notamment, de définir les conditions de cession des mandats de commercialisation pour les œuvres coproduites pouvant être retenues au titre de la production indépendante, lequel a donné lieu à un nouveau décret, datant du 21 mars 2017, modifiant les décrets de 2010 en vigueur.

Dès lors que le producteur délégué ne dispose pas d’une capacité de distribution ou d’un accord cadre de distribution, ou renonce à y recourir de manière dérogatoire, l’accord prévoit un mécanisme « équitable, transparent et non discriminatoire » de mise en concurrence pour l’attribution des mandats de commercialisation aux filiales de distribution des éditeurs ou aux distributeurs indépendants.  France Télévisions et TF1 ont ainsi pris plusieurs engagements à ce titre: ne pas insérer de clause relative aux mandats dans les contrats de développement ; démarrer la procédure de recherche d’un distributeur après la réception de l’engagement chiffré du diffuseur relatif à la production de l’œuvre ; respecter la procédure de recherche d’un distributeur mise en place par le producteur délégué ; respecter le caractère distinct de la procédure de recherche d’un distributeur et des négociations relatives à la coproduction…

L’accord définit également les conditions effectives d’exercice des mandats pour l’ensemble des distributeurs de programmes audiovisuels, afin de garantir la circulation des œuvres. Il est prévu, notamment, qu’en cas de vente des droits de diffusion de l’œuvre à l’une des chaînes du groupe de l’éditeur, la filiale de distribution s’engage à faire valider le prix et les conditions de cession préalablement par le producteur délégué.

La plupart des distributeurs interrogés voient les évolutions récentes sur la détention des mandats de commercialisation comme une avancée, permettant de préserver la distribution indépendante. Elles permettent également, selon certains, que les mandats ne soient pas systématiquement attribués au distributeur qui verse le MG le plus élevé.

 

Des obligations renforcées en matière de transparence

En plus de définir la notion de distributeur, la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine leur impose un ensemble d’obligations, afin de renforcer la transparence de la filière. Le Code du cinéma et de l’image animée prévoit ainsi que « tout distributeur qui, en sa qualité de cessionnaire ou de mandataire, dispose de droits d’exploitation pour la commercialisation d’une œuvre audiovisuelle appartenant aux genres de la fiction, de l’animation, du documentaire de création ou de l’adaptation audiovisuelle de spectacle vivant et admise au bénéfice des aides financières à la production du CNC doit, dans les trois premiers mois de l’année qui suit celle de la première diffusion de l’œuvre par un éditeur de services de télévision, puis au moins une fois par an pendant la durée d’exécution du contrat conclu avec le producteur délégué, établir et transmettre à ce dernier le compte d’exploitation de cette œuvre. Les éléments du compte d’exploitation sont fournis pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre en France ainsi que pour chaque territoire d’exploitation de l’œuvre à l’étranger, sauf pour ceux de ces éléments qui ne sont pas individualisables.»

La loi renvoyait la définition de certains éléments à un accord professionnel. Cet accord a été signé le 6 juillet 2017 entre les syndicats de représentants des producteurs, le SEDPA et les représentants de plusieurs éditeurs, et étendu par arrêté à l’ensemble de la filière.

Il précise tout d’abord l’ensemble des informations devant être présentes dans le compte d’exploitation (montant total des encaissements, commission du distributeur, frais déductibles, minimum garanti, état des ventes du programme…). Il définit ensuite précisément les « recettes brutes » qui sont constituées des montants hors taxe encaissés par le producteur et/ou toute personne chargée des mandats de commercialisation de l’œuvre au titre de toutes ses exploitations, en toute langue et version, dans le monde entier. Elles comprennent les recettes tirées de cessions de droits d’exploitation ainsi que celles de « merchandising ». Plusieurs éléments au contraire sont spécifiquement exclus de ces recettes : les recettes conservées par le distributeur ayant acquis les droits d’exploitation de l’œuvre en couverture d’un minimum garanti, celles versées aux pré-financeurs en contrepartie de leur investissement dans la production de l’œuvre ou celles conservées par le coproducteur étranger de l’œuvre…

Renvoyant à l’accord du 19 février 2016 sur la transparence pour déterminer le point d’amortissement de l’œuvre[3], le nouvel accord précise également que le crédit d’impôt « ne constitue pas une recette d’exploitation de l’œuvre ».

S’agissant des commissions de vente versées au distributeur (ou au producteur lorsqu’il prend en charge lui-même la distribution de l’œuvre), celles-ci peuvent être « opposées aux différents ayants-droit » sur l’assiette des recettes brutes. En fonction du type de distribution, différents taux d’opposabilité aux ayants-droit s’appliqueront : les frais et commissions peuvent faire l’objet d’un plafond, d’un forfait, ou être opposés à frais « réels ». Par exemple, en cas de recours à une capacité de distribution interne par un producteur, celui-ci pourra prélever une somme forfaitaire de 20 % des recettes brutes hors taxe encaissées pour des exploitations commerciales en France et en Europe francophone, ou 30 % pour des exploitations commerciales dans le reste du monde.

Les distributeurs s’engagent par ailleurs à « faire preuve de diligence » pour fournir aux producteurs la documentation fiscale requise permettant de bénéficier d’un taux réduit de retenue à la source, conformément aux conventions fiscales internationales en vigueur, afin qu’il puisse en tenir compte dans les recettes brutes. Toutefois, ils ne seront pas tenus de transmettre l’ensemble des échanges avec les autorités fiscales jusqu’à la déduction d’impôts effective – une obligation qui aurait pu être excessivement lourde pour de plus petites entreprises.

L’accueil réservé à ces accords par la profession semble mitigé : si pour certains, particulièrement les petits distributeurs indépendants, ils constituent une charge juridico-administrative supplémentaire conséquente, les plus grosses structures de distribution disent, pour la plupart, déjà se conformer aux obligations prévues par cet accord.

[1] Danielle Elkrief, Elkrief Avocats

[2] Soutien européen qui couvre les frais de promotion sur chaque territoire pour la sortie d’œuvres de fiction (y compris les films d’animation) ou documentaires sélectionnées d’une durée minimale de 60 minutes

[3] Point d’amortissement de l’œuvre : déterminé après recoupement de l’apport du/des producteur(s) délégué(s) dans le financement définitif par une part du crédit d’impôt dont l’œuvre a bénéficié. Cette part du crédit d’impôt est égale au ratio financement des chaînes de télévision sur le coût définitif de l’œuvre, plafonnée à 75 %.

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