L'édito de Philippe Bailly

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Clap de fin pour Afrostream

Afrostream, le service de SVoD spécialisé dans les contenus « afro » vient d’annoncer la fin de ses activités. L’arrêt du service s’explique selon son fondateur par les difficultés à financer une activité SVoD peu rentable à court-terme. Afrostream n’est d’ailleurs pas une exception et de nombreux services avant lui ont fait le choix d’arrêter leurs activités faute de rentabilité.

Afrostream, arrêt du service deux ans après son lancement.

Depuis le 13 septembre, le service de SVoD Afrostream spécialisé dans les contenus africains et afro-américains a cessé de commercialiser ses abonements. Le service s’apprête donc à fermer définitivement dans les 29 pays[1] où il était commercialisé. Le service s’arrêtera définitivement une fois que les périodes de validité des derniers abonnements en cours seront terminées. Lancé effectivement le 1er septembre 2015, le service malgré de bon débuts n’aura survécu que deux ans tout juste.

Le service était pourtant bien parti, puisque grâce à une campagne de pré-abonnement, il avait pu compter sur 2 000 abonnés dès le jour de son lancement. Le service avait également réussi à lever 4 milions de dollars d’investissement au cours de l’été 2015  après notamment une sélection au sein de l’accélérateur de start-up Y Combinator. Au cours de l’automne 2015, le service a réussi à sécuriser un catalogue de contenus « afro » de qualité notamment grâce à des partenariats avec Sony et la chaîne BET (Viacom). Sept mois après son lancement le service déclarait avoir dépassé le cap des 10 000 abonnés et annonçait un objectif de 50 000 abonnés pour 1 million d’euros de chiffre d’affaires à la fin 2016.

Pourtant, le service n’a jamais annoncé la réussite ou non de cet objectif. Alors que le service a continué à se développer en se lançant notamment en septembre 2016 sur les box Orange puis dans 24 pays africains en novembre, il n’a même jamais plus communiqué de données officielles sur son nombre d’abonnés ou son chiffre d’affaires. Le service a d’ailleurs été beaucoup moins offensif puisque mise à part le lancement d’une version « lite » du service au Royaume-Uni au printemps, Afrostream n’a guère fait d’annonces en 2017. Ce manque de communication s’explique par les problémes de financement externe du service, et Tonjé Bakang, fondateur d’Afrostream, a reconnu que dès le début de l’année 2017 la survie du service était menacée du fait de la difficulté à procéder à une nouvelle levée de fonds.

Un modèle économique difficilement soutenable

Tonjé Bakang explique l’arrêt du service d’une part par la faible rentabilité à court terme d’un service SVoD et d’autre part par sa difficulté à mobiliser de nouveaux investisseurs pour financer ce manque de rentabilité. Dans un post de blog récent, le fondateur d’Afrostream est longuement revenu sur les causes de la fermeture de son service et en particulier sur la complexité du modèle économique de la SVoD pour un acteur indépendant. Afrostream faisait pourtant parti des acteurs indépendants français les plus avantagés puisque la start-up disposait grâce à une première levée de fond de 4 millions de dollars pour développer son service sur deux ans. Alors que la somme est conséquente, le fondateur du service affirme que ce montant est insuffisant selon lui pour développer un service de SVoD.

Si l’on en croit le modèle d’affaires présenté par Tonjé Bakang, le principal poste de dépenses pour un service comme Afrostream est l’acquisition de droits. Il estime ainsi que le coût d’acquisition d’une série en SVoD se situe entre 1 000 et 15 000 euros par épisode auxquels il faut rajouter dans certains cas des coûts de sous-titrage et de marketing (bande-annonce, visuel, publicité en ligne). Selon le modèle de Tonjé Bakang au total une série de 2 saisons de 10 épiosdes coûterait au minimum 40 000 euros par an à un service de SVoD comme Afrostream. A ce tarif, il précise qu’il s’agit d’une série indépendante, étrangère et complètement méconnue en France. Si l’on suit sa logique, une série de 20 épisodes coûterait à l’inverse au maximum 320 000 euros par an à un service . Pour un film, le fondateur d’Afrostream estime le prix d’achat entre 2 000 et 50 000 euros par an pour un nombre restreint de territoires, sans compter évidemment les frais de sous-titrage et de promotion du titre[2]. Au final, dans le modèle économique initial d’Afrostream tel que présenté par Tonjé Bakang, pour un catalogue de 30 séries et 100 films, le coût annuel serait de 2,1 millions d’euros par an[3]. Soit un coût très important pour un catalogue pourtant relativement restreint par rapport aux différents services de SVoD étudiés par le Baromètre SVoD NPA Conseil.

Catalogue de présentation affiché sur le site d’Afrostream

En outre, à cet investissement dans les contenus, il est nécessaire d’ajouter à la fois les coûts de développement de la plateforme et divers frais de fonctionnement. Tonjé Bakang estime à 500 000 euros par an les coût de développement informatique qui incluent le coût des serveurs, le développement et l’entretien de la plateforme ou encore la déclinaison du service sur terminaux mobiles ou set-top boxes. Concernant, les frais de fonctionnement du service, il évoque un budget de 500 000 euros par an pour les salaires, les bureaux, les déplacements et le marketing.

Soit au total, un, budget de 3,6 millions d’euros par an ne pouvant être rentabilisé qu’avec une base de 44 000 abonnés[4] qu’Afrostream n’a semble-t-il jamais atteint. Le budget nécessaire au fonctionnement, va en outre croissant puisque Tonjé Bakang note que plus le nombre d’abonnés augmente, plus les coûts de la base d’abonnés se diversifient et donc plus le volume de catalogue disponible doit croître. Par conséquent, les coût d’acquisition de contenus ne cessent d’augmenter ce qui induit un besoin constant d’accélérer les rythmes de recrutement.

Une solution pour accélérer le recrutement d’abonnés aurait été d’investir massivement dans la promotion du service, mais cette solution était trop coûteuse pour un service de la dimension d’Afrostream. Tonjé Bakang estime ainsi que pour atteindre son point d’équilibre de 44 000 abonné au cours de ses premiers mois d’existence, le service aurait dû investir 2,9 millions d’euros en budget marketing soit près des ¾ de son budget initial. Pour effectuer ce calcul, Tonjé Bakang se base sur les dépenses marketing de Netflix qui aurait dépensé en moyenne 66 euros par abonné en 2015 année de son lancement. Le fondateur du service de SVoD ne dévoile cependant pas les investissements marketing réellement consentis par Afrostream au cours de ses deux ans d’existence. Par contre, il reconnaît les bienfaits pour le recrutement de la forte présence de son service sur les réseaux sociaux. Afrostream a réussi lors de son lancement à recruter 3,3% de sa base d’abonnés sur les réseaux sociaux[5].

Pour élargir sa base d’abonnés le service a décidé à la place de s’étendre à de nouveaux territoires dès la fin 2016. Les besoins de recrutement étaient en effet de plus en plus pressant pour le service, car depuis l’été 2016, Afrostream était semble-t-il dans l’incapacité de financer l’achat de nouveaux contenus, ce qui n’a pas dû améliorer la fidélisation des abonnés existants[6]. En novembre, Afrostream s’est donc lancé dans 24 nouveaux pays africain. Le service ou son fondateur n’a cependant jamais communiqué de données sur le nombre d’abonnés à Afrostream dans ces pays mais tout porte à croire que le nombre de recrutements a été trop faible. Le service s’est peut être lancé trop tard sur le marché africain alors que des acteurs de plus grande envergure y avait déjà investit dans la VoD[7]. Le lancement international a par contre encore renchéri les besoins de financement du service et fin 2016 son fondateur cherchait à lever 10 millions de dollars auprès des investisseurs. Néanmoins, le service ne réussira jamais à lever cette somme malgré semble-t-il l’intérêt de plusieurs investisseurs. En mars 2017, le dernier investisseur potentiel s’est retiré et le fondateur s’est mis à la place en quête d’un repreneur, sans succès là non plus ce qui conduira à la suspension des activités d’Afrostream.

De nombreux autres échecs en SVoD

Le fondateur d’Afrostream se révèle finalement très pessimiste sur les chances de réussir à créer un service de SVoD indépendant. En effet, il en arrive à la conclusion qu’un média audiovisuel ne peut être rentable à court-terme, ce qui est incompatible avec les canaux de financement des start-ups qui ne refinancent en général que les projets rentables. Pour lui, son échec à mobiliser les investisseurs pour un deuxième tour de financement s’explique essentiellement par leurs réticences face au manque de rentabilité d’Afrostream. Si le fondateur élude sans doute la possibilité que les investisseurs aient plutôt désaprouvé la stratégie d’Afrostream[8], il est cependant indéniable que la rentabilité est très difficile à atteindre pour un service de SVoD. Le marché de la SVoD voit en effet de nouvelles plateformes se lancer chaque mois mais compte déjà un très grands nombre d’échecs retentissants ou de projets arrêtés au bout de quelques mois seulement.

En France, depuis 2015 un grand nombre de services SVoD ont fermé et pas seulment des services indépendants mais également des services adossés à de grands groupes audiovisuels.

Dailymotion a été un des pionniers du marché de la SVoD pour enfant en France avec le lancement sur sa plateforme de la chaîne payante Dailymotion Kids+ en décembre 2012. La chaîne à destination des enfants de 3 à 10 ans proposait une vingtaine de séries jeunesse à la demande pour 4,49 euros par mois. La programmation de la chaîne était de qualité avec des séries attractives et connues comme Caillou, Foot 2 rue ou encore Totally Spies. Le succès du service n’a pas été au rendez-vous et le catalogue a commencé à décliner à la mi-2014 avant que Dailymotion n’arrête discrètement  le service en janvier 2015 à peine plus de deux ans après son lancement.

En mars 2013 le groupe AB a lancé le service de SVoD généraliste Jook Vidéo. Ce service proposait plusieurs centaines de films et jusqu’à près de 3 000 épisodes de séries (séries TV, jeunesse, anime japonais, documentaire) pour 6,99 euros par mois. Le catalogue s’appuyait en partie sur les productions du groupe AB mais offrait également un grand nombre de titres de producteurs tiers. AB Groupe a revendiqué jusqu’à 750 000 abonnés à son service en septembre 2014[9]. Néanmoins, le service a été arrêté par AB le 30 juin 2015 au motif que le groupe préférait se recentrer sur les pass thématiques jugés plus lucratifs.

Lancé en septembre 2010 par le groupe M6 sous le nom de Pass Séries VIP, ce service de SVoD dédié aux séries américaines est devenu le Pass M6 en 2012. Le service s’est progressivement enrichi de séries jeunesse et de quelques titres français. Il a pu proposer jusqu’à une quarantaine de séries représentant environ 1 000 épisodes pour 7,99 euros par mois. Néanmoins, le catalogue offrait essentiellement des titres déjà diffusés par les chaînes du groupe et peu de séries complètes, le catalogue se modifiant au gré des diffusions linéaire. Le service a été arrêté le 31 janvier 2016 par le  groupe M6, soit au moment du lancement de la nouvelle version de 6Play qui intègre certains éléments du Pass M6[10].

 VODD le service de SVoD lyonnais lancé en janvier 2016 a annoncé l’arrêt de ses activités le 30 novembre 2016 soit après moins d’un an d’existence. Le service jouait la carte de la découverte et de la différence avec un catalogue de 250 films essentiellement inédits ou non-sortis en salle pour 5 euros par mois. Cette offre exigeante n’a finalement pas réussi à trouver rapidement son public, ce qui l’a empêché de se refinancer auprès de banques ou d’institutions.

Lancé en 2004, Vodéo.Tv était un service de VoD par abonnement spécialisé qui proposait un accès à un catalogue de plus de 5 000 documentaires.  Racheté par le Figaro en 2011, il a été revendu à NextRadio en mars 2015 pour développer une offre de documentaire à la demande autour de la marque RMC Découverte. Au moment de ce rachat le groupe revendiquait 3 000 abonnés à son offre par abonnement à 7,99 euros par mois. Le service a été fermé par SFR Médias le 31 décembre 2016.

Lancé en janvier 2013 par Vivendi sur le marché allemand, le service de SVoD Watchever proposait un catalogue varié de plusieurs milliers de films, documentaires et séries à 8,99 euros par mois. Le service n’a cependant jamais réussi à s’imposer en Allemagne face à la concurrence de grands services locaux ou internationaux comme Maxdome, Lovefilm ou plus tard Netflix. Dès 2013, Watchever a enregistré des pertes de 66 M€ en 2013 pour un CA de 12 M€. Après avoir essayé de vendre puis d’améliorer sa plateforme, Vivendi a finalement arrêté le service outre-Rhin le 31 décembre 2016. Le groupe a cependant conservé les équipes françaises de développement de Watchever, soit environ une centaine de personnes à Paris et à Marseille. Elles devaient être mobilisées sur le lancement d’un service de SVoD paneuropéen mais elles ont surtout participé au développement de la nouvelle version de Dailymotion. Début septembre 2017, Vivendi a d’ailleurs annoncé que les équipes de Watchever et Dailymotion allaient fusionner prochainement.

[1] France, Belgique, Royaume-Uni, Luxembourg, Suisse, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Gabon, Guinée-Bissau, Sénégal, Togo et 16 autres pays africains

[2] A titre d’exemple, selon Tonjé Bakang, un film nigérian de type Nollywood inconnu en France coûte 4 000 euros à une plateforme de SVoD en incluant le sous-titrage, auxquels il faut rajouter 10 000 euros de plus en frais marketing

[3] Il est important de préciser que cette échelle de valeur ne peut être comparable à celle de « gros » services de SVoD comme Canalplay ou SFR Play mais peut s’appliquer sans doute à de plus petites plateformes qui comme Afrostream sont tentés de proposer des titres indépendants étrangers et quelques titres plus connus issus des catalogues de plus gros ayants-droits.

[4] Notons que le fondateur d’Afrostream raisonne sur la base d’abonnés payants pendant un an à 7 euros par mois. Dans les faits, ce nombre aurait dû sans doute être plus élevé puisque le service proposait également des abonnements à prix réduit pour les abonnés qui s’engageaient pour un an.

[5] 2 000 abonnements sur 60 000 fans Facebook dans le cadre d’une offre promotionnelle. Avant sa fermeture, Afrostream disposait de plus de 220 000 abonnés à un de ses comptes sur les réseaux sociaux.

[6] Tonjé Bakang reconnaît que les abonnés fidèles consommaient les titres qui les intéressaient sur la plateforme en trois mois. En l’absence de renouvellement du catalogue, il semble complexe de pouvoir retenir des abonnés bien au-delà de cette période.

[7] On peut citer l’exemple de Trace TV qui a racheté en juin 2016 la plateforme panafricaine BuniTV, de Vivendi qui a lancé CanalVOD en Afrique et investit dans le spécialiste nigérian de la VoD iRoko.

[8] Le pari d’Afrostream était risqué, en effet le positionnement sur une cible « afro » peut poser question alors même que des services comme Netflix propose déjà un grand nombre de contenus issus de la culture afro-américiane. En outre, la stratégie d’expansion internationale du service était peut-être précoce et n’a pas tenu compte de la concurrence déjà forte sur le marché de la VoD africain. Cette expansion semble en tout cas avoir précipité la chute du service.

[9] Ce chiffre incluait cependant les abonnés en version light offerts à l’époque dans certains abonnements d’opérateurs télécoms

[10] 6Play propose les programmes des chaînes du groupe M6 en rattrapage  mais donne également accès à des programmes exclusifs dont des séries américaines et britanniques.

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