L'édito de Philippe Bailly

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Le cinéma français est-il vraiment prêt pour la révolution numérique ?

Introduction de Philippe Moati – L’Obsoco – Etude pour Unifrance

L’étude a été menée sur 660 professionnels du cinéma (producteurs, distributeurs, exploitants). Elle a également donné lieu à 16 entretiens. Son objectif : faire une projection sur ce que sera le cinéma français en 2027 et essayer confronter cette vision avec la réalité des dynamiques qui sont en cours.

  • 94% des répondants voient venir une accélération des changements à l’ère du numérique, dont 64% des changements radicaux. Les moteurs de ces changements seraient l’évolution des réglementations, mais aussi la diffusion de nouveaux modèles économiques dans le secteur (les nouvelles plateformes numériques).
  • Les visions d’avenir sont différentes. Les professionnels semblent avoir des difficultés à se projeter en 2027. Certains sondés ont une vision optimiste quant à l’avenir de l’industrie (« le paysage sera bouleversé mais il y aura toujours des solutions, je ne suis pas inquiet pour l’industrie »). Cet optimisme est justifié selon eux par un marché français du film qui ne devrait pas décroitre, une consommation en salles qui se stabiliserait à un haut niveau et une bonne croissance du marché mondial (la mondialisation et l’essor des pays émergents, les nouveaux modes de consommation numérique).
  • Les sondés pensent que le cinéma français n’est pas assez visible actuellement sur les plateformes numériques, mais 50% estime que cette visibilité augmentera d’ici 2027.

L’équilibre financier du cinéma est en mutation, mais l’équilibre des pouvoirs aussi selon Philipe Moati. Les services de SVOD ne sont « pas directement enclins à adopter les codes et les systèmes de valeur qui caractérisent la filière du cinéma français » car cette activité est pour elles secondaire. Entre menace et opportunité pour le cinéma français, les avis totalement partagés. Philippe Moati compare aussi l’industrie cinéma à celle de la grande distribution. Il rappelle que les géants de la grande distribution ont sous-estimé l’arrivée du e-commerce et ont par exemple laissé Amazon se développer jusqu’à devenir numéro un mondial, avec 40% de croissance cette année. Parti de rien, Amazon a changé la définition de ce qu’est le commerce en introduisant la « plateformisation ».

En conclusion, Philippe Moati évoque un « microcosme », consensuel dans ses représentations du présent mais mal à l’aise dans sa projection à 10 ans, et marqué par une inertie culturelle et institutionnelle. Il indique que les professionnels de la filière voient un changement de régime de croissance (consommation, circuits de financement, entrée de nouveaux acteurs, etc.), qui implique un nouveau questionnement sur l’évolution de la culture sectorielle, la cohésion de la filière face aux divergences d’intérêt, et enfin l’évolution de la régulation actuelle.

Isabelle Giordano, Directrice Générale d’Unifrance

« Philippe Moati présente une petite bombe, qui a le mérite de mettre le doigt sur les enjeux actuels et sur ce qui se préfigure pour les 10 ans à venir, mais aussi sur ce qui fait mal » commence par dire la Présidente d’Unifrance. « Il faut tout envisager, pratiquer une mise à plat de tous ces enjeux […]. Il faut voir comment eux, les acteurs privés qui sont sur le terrain, réagissent par rapport à ce monde qui est en marche ».

Elle souligne que la question n’est pas d’être pour ou contre Netflix, il s’agit de se demander comment il faut travailler avec ces plateformes. Aujourd’hui, si on est exportateur et que nos films marchent moins bien, la solution est-elle de se tourner vers une coproduction avec une plateforme ? Si on est producteur et qu’on veut faire un film avec ces grandes plateformes, peut-on être soutenu par le CNC ? Toutes ces questions sont à poser avant qu’elles ne nous rattrapent. Isabelle Giordano rappelle ainsi que le monde du cinéma doit se demander qui il est, où il va.

David Kessler, Directeur Orange Content

A propos des prochains projets d’Orange (ciné et série), par rapport à la concurrence entre les différents genres de programme :

« La série est devenue un élément important ». David Kessler est convaincu que la série ne rend pas obsolète le cinéma, qui reste une expérience unique et il n’y pas de raison pour qu’il disparaisse. Il observe qu’il réside des certitudes mais aussi des questions qui émanent de cette l’étude. La numérisation est une certitude. « Il fut un temps où le numérique était utilisé uniquement en post production. Aujourd’hui, toute la chaîne de cinéma est numérisée jusqu’à la diffusion ». La progression des services de SVOD est aussi une certitude : elle est spectaculaire et manifeste depuis quelques années. Par ailleurs, les financements traditionnels ont tendance à baisser : c’est aussi une certitude. C’est un phénomène qui existe depuis maintenant quelques années. En son sens, la vision la plus optimiste de l’avenir est celle où la contribution des plateformes dans le système de l’industrie est assurée, où les nouveaux entrants y contribuent. La vision la moins optimiste est celle où ce ne sera pas si facile de leur imposer ces contributions, et des concessions seront à faire des deux côtés. « Ni la salle ni le cinéma n’est mort, mais rendre le cinéma enviable à nouveau dans cet univers concurrentiel sera un défi. Le cinéma devra susciter l’envie ».

A propos de la place de Netflix dans la chronologie des médias

Intégrer Netflix dans une chronologie des médias n’a aucun sens, selon David Kessler, car le service de SVOD ne demande pas à y être. Reed Hastings a confirmé ne pas vouloir sortir leurs films en salles, donc ils sont hors chronologie.

A propos de la diversité

David Kessler estime que la diversité ne touche pas simplement la production, elle touche aussi la salle. Que l’expérience cinématographique dans sa variété puisse aussi faire l’objet d’une expérience en salle est un élément fondamental. En citant la Corée du Sud et sa politique de quotas par écrans (qui n’existe plus aujourd’hui), et en rappelant que 98% des entrées ont été faites par Avengers : Infinity War, le débat de la diversification dans le pays asiatique est relancé. En effet, les législateurs sud-coréens ont réagi et comptent faire réviser un projet de loi selon lequel un maximum de 40% des créneaux de projection pourront être alloués à un même film. « Le plus grand risque est celui de l’uniformité culturelle ». Grâce aux plateformes de SVOD, l’accès à des œuvres produites partout dans le monde est possible. La circulation des œuvres est une réalité (en citant La Casa de Papel). Elles encouragent la diversité.

Nicolas Brigaud Robert, co-fondateur, FILMS DISTRIBUTION

« La question de la définition du cinéma est importante car tout le système d’auto régulation en dépend ». Pour Nicolas Robert, le cinéma est défini par quatre éléments :

  • l’expérience « spectatorielle » (la salle)
  • le support de diffusion (le film, la pellicule)
  • une esthétique (une unité, histoire en 2h)
  • un modèle économique avec encadrement public.

Selon Nicolas Robert, la redéfinition du cinéma est toujours en suspens. Une fois clairement défini, cela permettra de réfléchir à la question réglementaire et remettre au centre la question de politique culturelle.

A propos de maturité dans le secteur

Les professionnels du secteur sont très matures face à ces nouveaux enjeux. En évoquant une polémique qui s’est installée au Festival de Cannes lorsqu’il y a vendu Divines à Netflix, Nicolas Robert s’est étonné de voir que les critiques ne sont pas venues des producteurs, de la réalisatrice ou des comédiens, mais bien du CNC. « En tant que professionnel, on ne peut pas attendre une réforme ou une nouvelle adaptation, nous sommes obligés de prendre le monde tel qu’il est aujourd’hui. On travaille avec les plateformes tout en anticipant sur les transformations de nos métiers ». Nicolas Robert croit beaucoup aux nouveaux entrants, aux nouvelles générations de cinéastes qui ne se posent pas les questions de tous ces enjeux et les emmènent à conquérir les nouveaux marchés.

Emilie Georges, Directrice Générale MFI

« Toute la question est celle de l’offre de cinéma. C’est la question centrale pour tout le monde et de là découlera les modes d’exploitation. Quelle place donne-t-on à ces œuvres unitaires produites pour une plateforme qui n’est pas un exploitant de cinéma, avec tous les éléments d’une œuvre de cinéma classique mais qui ne sera pas exploité en salle. Qu’en fait-on ? Je n’ai pas la réponse à ça, je ne peux pas vous la donner aujourd’hui. Mais en tant que spectateur, je l’identifie plus à une œuvre de cinéma qu’à une œuvre de fiction ».

La consommation du nombre d’heures ne cesse de croitre sur d’autres supports que celle de la salle, sans pénaliser pour autant la salle en termes de fréquentation. Comment faire cohabiter ces deux mondes dans une période de transition favorable, où l’on consomme davantage de cinéma ? « On ne va pas s’en plaindre. Mais refuser l’accès à un Festival comme celui de Cannes, est-ce mettre en danger la filière de manière générale ? »

Quand la voie numérique et la voie de la salle sont possibles pour un film, leur rôle en tant qu’exportateur est de savoir quelle destination finale aura l’œuvre et de quelle manière elle sera reçue par le plus de monde possible tout en générant le plus de profit possible. C’est un poids qui a été lourdement renvoyé aux exportateurs ces dernières années. « On est là pour savoir à l’avance s’il vaut mieux qu’un film soit exploité dans une chronologie des médias ou sur le numérique. »

En conclusion, Emilie Georges insiste sur la priorité de maintenir la diversité, en travaillant avec tout le monde, chaînes, producteurs indépendants, plateformes, distributeurs indépendants…. Il faudrait éclaircir avant tout la définition d’une offre de cinéma.

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