L'édito de Philippe Bailly

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Le DAB+ pour résister à la dilution des radios dans l’univers audionumérique

Depuis les premières expérimentations en 2007 et les premières émissions sur quelques villes en 2014, la radio numérique hertzienne en DAB+ a pris du retard en France. Son déploiement au niveau local et régional, depuis deux ans, et qui verra 25 radios nationales lancées à l’été 2021, s’accélère enfin. Mais le retard pris a laissé s’installer la concurrence de nouveaux usages audio numériques. Le pari est que les atouts du DAB+ permettent de reconquérir le terrain perdu ou au moins de ne plus en céder.

Les deux multiplex nationaux de la radio numérique hertzienne en DAB+ et les 25 radios retenues pourront commencer leurs émissions le 15 juillet 2021, a annoncé le CSA le 20 janvier. Couvrant dans un premier temps l’axe Paris-Lyon-Marseille, cela élargira l’offre de radio disponible pour 25 % de la population française avec   trois nouveaux venus (Skyrock Klassiks, Air Zen et BFM Radio) et un « promu en division nationale » (Latina), aux côtés de BFM Business, Chérie FM, Europe1, FIP, France Culture, France Info, France Inter, France Musique, Fun Radio, Mouv’, M Radio, Nostalgie, NRJ, Radio Classique, Rire et Chansons, RFM, RMC, RTL, RTL 2, Skyrock et Virgin Radio.

Le déploiement se poursuivra pendant un délai de huit ans, au bout duquel les opérateurs se sont engagés à couvrir au moins 75 % de la population métropolitaine ; 90% des autoroutes, 80 % des routes nationales de Bretagne et des routes territoriales de Corse.

Depuis novembre 2020, avec le lancement du DAB+ sur Bordeaux et Toulouse, s’ajoutant aux grandes agglomérations déjà couvertes par des multiplexes régionaux – Nice, Paris, Marseille, Nantes, Rouen –  30 % du territoire est couvert. En 2023, 40 % de la population française pourra recevoir le DAB , selon le CSA.

Dès à présent le déploiement se poursuit avec l’arrivée de nouvelles radios à Paris le 13 avril et les démarrages prévus dans l’année dans une quinzaine d’agglomération (Dijon, Poitiers, Pau…).

Accélération tardive de l’équipement en récepteurs

Ce déploiement ne servirait à rien si l’équipement de réception ne suivait pas. Or les foyers français, souvent détenteurs de plusieurs postes radios, ont tardé à s’équiper faute d’une offre de programmes émis en DAB+. Mais depuis la fin 2019, comme le prévoyait la loi dès lors que 20 % de couverture de la population était atteint, tous les récepteurs radios sauf les autoradios, doivent inclure une puce DAB. En octobre 2020, 4,4 millions de récepteurs adaptés au DAB+ avaient été vendus, en France.

Et depuis le 20 décembre, par le biais de la loi DADDUE transposant le code européen des télécommunications, tous les véhicules neufs équipés d’un autoradio doivent inclure le DAB+. Soit plus de 2 millions de nouveaux récepteurs installés chaque année (en 2019, Il s’est vendu 2,214 millions de voitures neuves en France).

A la fin de la décennie 2020, la radio hertzienne aura donc achevé sa numérisation en France, ….soit 22 ans après les premières expérimentations en 2007 et 16 ans après le démarrage des premières émissions à Paris, Marseille et Nice en 2014.

Les 25 radios autorisées pour le DAB+ national

Un retard lié à la résistance des grands groupes de radios privées. Ainsi en 2012, Lagardère, NextRadioTV, NRJ et RTL avaient renoncé à être candidats à l’attribution de fréquence de radio numérique terrestre (RNT) « convaincus que l’avenir de la radio numérique se fera via les réseaux IP ».

Certes, la qualité du signal audio, la capacité à couvrir l’ensemble du territoire sans perdre le signal d’une station, à toucher des zones où la réception de la FM était mauvaise ou bien où un réseau n’avait tout simplement pas de fréquences sur une bande FM saturée, la gratuité pour l’auditeur, étaient des arguments forts en faveur du déploiement. Les radios indépendantes, et le service public dont certaines stations comme FIP et France info couvrent moins de la moitié de la population en FM, y étaient très sensibles.

Mais la crainte d’un émiettement des audiences avec l’arrivée de nouveaux concurrents poussait les grandes radios à défendre leur position. Le scénario ressemble à celui joué, en son temps, pour la TNT, où TF1 et M6 avaient traîné des pieds et essayé de retarder le processus aussi longtemps que possible. Mais le CSA et son président d’alors Dominique Baudis avaient alors fait preuve d’un volontarisme sans faille, tandis que, pour la radio, le Conseil avait suspendu l’attribution d’autorisations d’émettre en DAB+ entre 2009 et 2012.

 « Dix ans de perdu », « un temps précieux dans la compétition des radios avec le digital » pendant lequel les consommateurs ont pu se créer de nouvelles habitudes d’écoute, où la FM est devenue pour les jeunes un média « vieux » et où l’offre des radios s’est diluée dans une offre infinie, proposée par les GAFA et autres services de streaming, regrette Jean-Eric Valli, président des Indés Radio et du Groupe 1981 de radios indépendantes, actuellement en campagne pour soutenir le DAB+ (cf ci-dessous).

Une arme dans la concurrence avec les grands acteurs du numérique

Si le DAB+ n’avait pas été imposé dans les autoradios en Europe, les ambitions de Google et autres dans la voiture connectée auraient donné aux magasins d’applications des GAFA une place centrale dans les véhicules.

Le DAB+ affranchit les radios de toute dépendance à l’égard d‘un distributeur. « C’est un enjeu de souveraineté » affirme Jean-Marc Dubreuil, manager pour la France de l’organisation worlddab, un forum mondial autour du DAB qui rassemble des radios, des régulateurs, des fabricants de récepteurs. L’argument de la souveraineté face aux GAFA est aujourd’hui audible pour les groupes privés qui voyaient leur avenir dans la diffusion IP en 2012. Et si les grandes radios n’ont pas renoncé à ce mode de diffusion, elles l’abordent désormais avec l’ensemble des autres radios françaises au sein d’une application numérique unique, le Radioplayer, riposte unie aux GAFA et autres agrégateurs tiers.

Le DAB+ garantit aussi l’auditeur de toute traçabilité de ses écoutes. Un avantage qui n’aurait pas été négligeable pour ceux qui ont écouté l’appel du 18 juin sur les ondes la BBC, plaisante un spécialiste du DAB+ chez Radio France.

Sans parler de l’empreinte énergétique par auditeur plus faible, avec une diffusion broadcast que tout autre mode de diffusion numérique point à point, rappelle Jean-Marc Dubreuil.

 Un pari économique

A terme, le DAB+ qui permet de diffuser 13 radios sur une fréquence et donc de partager entre elles le coût du réseau permettra de réaliser une économie. La direction de Radio France a calculé que le coût de diffusion de ses 7 radios nationales en DAB+, avec une couverture pour FIP de 85 % du territoire (contre 20 % aujourd’hui) sera divisé par deux par rapport à la FM aujourd’hui…

 Pour autant dans un premier temps, le DAB+ représentera une charge supplémentaire. Si la Norvège l’a fait et que la Suisse s’y prépare, il n’est pas question pour l’heure d’éteindre la FM en France et les radios continueront pendant de longues années à émettre dans les deux modes (simulcast).

L’autre terme de l’équation économique du DAB+, est son impact sur les audiences. En Norvège, la fin de la FM et l’avènement du DAB+ se sont traduits par un émiettement des audiences. Mais la situation française n’est pas comparable, prévient Jean-Marc Dubreuil. La Norvège avait un paysage radiophonique très limité et l’offre a été multipliée par 3 avec le DAB+. En France, l’essentiel des stations autorisées à l’échelle nationale existe déjà en FM mais souvent avec une couverture lacunaire faute de fréquences partout. Le DAB+ va leur permettre d’atteindre de plus larges bassins de population avec une bonne qualité d’écoute partout. Aussi il pourrait permettre d’augmenter ou au moins de stabiliser l’audience d’un média radio qui s’érode.