L'édito de Philippe Bailly

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Malgré une évolution de sa mesure d’audience, Nielsen est de plus en plus challengée par les networks américains

Acteur historique de la mesure d’audience aux États-Unis (et dans le monde), Nielsen est challengé par certains de ses partenaires. Frustrés de ne pas avoir de pleine visibilité de leurs audiences, des networks tels CNBC et NBC commencent ainsi à proposer leur propre mesure afin de compléter la connaissance des usages. Via une mesure ad hoc, reposant sur de nouveaux partenaires, ils seront désormais capables de mieux suivre la consommation de leurs programmes. Ces récents changements soulignent à quel point le marché est à un tournant de son histoire.

Face à la délinéarisation et la digitalisation des audiences, Nielsen a tenté de faire évoluer sa mesure ces dernières années

•    Les networks américains face au défi de l’érosion des audiences linéaires
Au T3 2014, l’audience linéaire de la TV américaine était en baisse de 4% sur un an, soit une durée d’écoute individuelle moyenne à 4h32 par jour, au lieu de 4h44 un an plus tôt. Si la consommation de la TV traditionnelle diminue, c’est notamment dû à la fragmentation croissante des audiences en délinéarisée, sur de nouveaux portails à la demande et de nouveaux écrans digitaux. Ainsi, la baisse du linéaire s’accompagne d’une hausse de deux minutes de la consommation en rattrapage sur TV, et d’un bond de 60% de la consommation de vidéos en ligne. On note également une hausse de 19% des abonnements aux services de vidéo à la demande. Enfin, on observe l’effet de « cord-cutting » également avec la multiplication par trois en un an de la part des foyers américains « broadband only » (2,8% en 20414, vs 1,1% en 2013) .
Les grands networks américains ont tout à fait conscience de cette tendance, et l’observent notamment sur leurs antennes avec leurs séries phares, pour lesquelles on note jusqu’à 35% d’audience non linéaire. Sur NBC, la série « The black list » a ainsi été vue par 4,4 millions d’américains dans les trois jours suivant la diffusion (enregistrement sur DVR, visionnage sur les dispositifs de TV Everywhere des opérateurs et de télévision de rattrapage du Network). Cela représente une audience globale en hausse de 35% par rapport à la diffusion linéaire. Tout comme la série « Sleepy Hollow » sur Fox, atteignant grâce au rattrapage une audience de 13,6 millions de téléspectateurs. Au global, Kelly Kahl, vice-president chez CBS estime que  le nombre d’utilisateurs de TV de rattrapage  est en hausse de 16% sur un an.
Si les différentes formes de consommation délinéarisée permettent de donner une chance supplémentaire à des programmes qui aurait été supprimés de l’antenne dans la foulée des mauvaises audiences linéaires, pour autant la faible monétisation de cette audience additionnelle est un problème majeur pour les networks. Les Moonves, Président et CEO de CBS s’inquiète ainsi de voir un T3 2014 qui a été le premier où les revenus de la publicité représentent moins de 50% du chiffre d’affaires de CBS, loin des 70% observés il y a encore quelques années . Ce changement de paradigme impose aux chaînes de regarder différemment les audiences, et d’avoir plus de visibilité sur les nouvelles formes de consommation.

•    Les mesures C3 et C7, une réponse trop faible de Nielsen
Dès 2007 Nielsen, le leader de la mesure d’audience outre-Atlantique, a fait évoluer son offre, en proposant la solution C3, qui mesure l’audience sur les DVR (enregistreur vidéo numérique) pendant les trois jours suivant la diffusion linéaire. Fin 2012, poussé par les professionnels du secteur souhaitant monétiser davantage leur audience délinéarisée, Nielsen passe de trois à sept jours avec La mesure C7.
Si depuis Nielsen a proposé de nouveaux outils d’analyse d’audience, tel  le Nielsen Twitter TV Ratings pour suivre les besoin du marché sur la Social TV, la mesure d’audience, bien que ramenée à sept jours, demeure trop succincte pour satisfaire pleinement les diffuseurs. En effet, à l’instar de l’offre actuelle de Médiamétrie en France, il n’y a pas de mesure transverse permettant de connaitre la consommation TV dans son ensemble, sur TV mais aussi sur mobile ou tablette, en linéaire et à la demande.
Ce manque de visibilité du fait d’indicateurs peu fiables pour représenter l’ensemble des usages est un frein majeur pour maintenir les investissements media des annonceurs et valoriser les contenus. Aussi, malgré le rôle historique de Nielsen dans le paysage audiovisuel américain, on voit de plus en plus les diffuseurs se tourner vers des mesures d’audience ad hoc.

Les networks se tournent vers des nouvelles mesures hybrides

•    Un marché frustré par Nielsen
Même si Nielsen a récemment développé l’offre OCR (Online Campaign Ratings), plus performante pour mesurer l’efficacité des campagnes en ligne (utilisée notamment par Médiamétrie), et a également intégré l’audience linéaire sur application mobile à l’audience TV totale, cela semble insuffisant pour le marché, notamment concernant l’audience « out of home » sur laquelle les networks sont aveugles !
Comme l’explique Bob Iger, PDG de Disney, « nous savons qu’il y a plus de consommation, mais la mesure n’est pas là pour le confirmer. La donnée actuellement disponible avec Nielsen ne être associée avec l’audience web ou mobile, rendant impossible la publication d’audience cumulée au marché et nous empêchant ainsi de mieux monétiser nos contenus» .
Encore récemment, Nielsen semblait protégé par son statut historique et le peu d’alternative possibles, faisant même dire à Colleen Fahey Rush, Directrice des études de Viacom Media Networks, que Nielsen était « comme un petit ami qui vous déçoit mais que vous ne pouvez pas larguer parce qu’il est le seul garçon de l’école ». Aujourd’hui de nouvelles alternatives se développent, ce qui pousse les acteurs du marché à réduire leur dépendance à Nielsen.

•    Les networks commencent à abandonner Nielsen
Depuis début janvier, deux networks ont annoncé avoir choisi un nouveau partenaire pour mesurer leurs audiences, du moins une partie.
Le 6 janvier, CNBC a été le premier à déclarer abandonner la mesure Nielsen pour l’audience de ses programmes de journée. Le network a évoqué un partenariat avec Cogent Reports, qui s’occupera de mesurer l’audience des programmes de journée regardés en dehors du domicile, non mesurée aujourd’hui par Nielsen. Mark Hoffman, Président de CNBC  a ainsi déclaré « au cours de nos 25 ans d’existence les entreprises traditionnelle ont eu du mal à mesurer notre audience de cadres, décideurs, investisseurs, qui nous regardent depuis leurs bureaux, salles de marché, hôtels 5 étoiles, restaurants ou country club […] Nous sommes ravis de commencer à fournir à nos partenaires marketing une meilleure compréhension de la force et de la qualité de notre audience prestigieuse ».
Si Nielsen ratings reste pour autant le partenaire privilégié pour continuer de mesurer l’audience en soirée de CNBC, ce choix du network est symptomatique de la difficulté qu’a Nielsen a pleinement satisfaire ses clients historiques. D’autant que CNBC a été rejoint en fin de semaine dernière par NBC Universal.
Alan Wurtzel, Directeur des études et du développement media de NBCUniversal a expliqué que le groupe, souhaitant inclure le plus possible l’audience non traditionnelle, allait communiquer l’audience digitale de ces programmes en prime-time. Ces chiffres estimés de l’audience digitale seront issues d’un panel de tablettes et d’autres écrans non mesurés par Nielsen, tels des PC, des smartphone, des consoles de jeux, des plates-formes OTT, des TV connectés et même de la TV de rattrapage (via DVR) hors du foyer. Ces nouvelles données d’audience de NBC proviendront de différents partenaires : Rentrak, Omniture et Hulu. Wurtzel a justifié cette décision en expliquant que « la plus part de la croissance viendra du digital […] mais ce n’est pas parce qu’on ne la mesure pas qu’elle n’existe pas ». Le problème est désormais en partie réglé.
Nielsen semble avoir été dépassé par ces décisions, et tentera, tant qu’il peut, de reconquérir ses clients dans les prochains mois. Mais aux vues du retard pris et des difficultés de l’acteur historique pour proposer une mesure transverse au marché, la tendance semble s’établir sur une mesure hybride, composée de différentes briques. Si des critiques quant à la méthodologie de ces nouvelles mesures non-unifiées et partielles seront surement soulevées, il est évident que la frustration et les attentes des chaînes (et des annonceurs) sur les données  relatives aux nouveaux usages (désormais très développés) ont amené le secteur à un moment charnière de son histoire.

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