L'édito de Philippe Bailly

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La stratégie vidéo tentaculaire d’Amazon

Incursion notable dans le cinéma avec la sélection de 5 de ses films au Festival de Cannes et la multiplication des acquisitions au festival de Sundance ; développement de la production de séries originales ; modification du positionnement d’Amazon Instant Video ; lancement d’un nouveau service Amazon Direct Video… Les annonces du e-commerçant, de la production jusqu’à la diffusion donnent le vertige ces derniers temps. Décryptage.

La cohérence des différentes annonces d’Amazon dans le cinéma et la vidéo repose sur la construction d’un dispositif que l’on peut simplifier autour de trois briques : le recrutement au sein de l’écosystème Amazon, la rétention, la fidélisation au sein de l’écosystème pour pouvoir in fine développer les activités de e-commerce. Cette fusée à trois étages repose sur le service Instant Video, véritable moteur alimenté par deux types de carburant, le cinéma indépendant et les séries originales. Le deuxième étage, celui de la fidélisation nécessite des propulseurs d’appoint, des accélérateurs que sont le Streaming Partner Program désormais élargi au nouveau service Amazon Video Direct. L’ensemble permet de larguer et placer sur orbite la charge utile : le développement des ventes sur la plate-forme de e-commerce.

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NPA Conseil

• Le cinéma au service du recrutement sur Amazon Instant Video

Après une stratégie d’investissement massif dans l’achat de contenus (1,3 milliard de dollars en 2014 puis 3 milliards en 2015 (1)) pour son service Prime puis un mouvement couronné de succès dans la production de séries originales (Alpha House, Transparent, Mozart in the Jungle, The Man in the High Castle…), Amazon a décidé au début de l’année 2015 de se différencier grâce au cinéma. La filiale Amazon Studios, en charge des contenus depuis son lancement en 2010, a alors crée une nouvelle division baptisée Amazon Original Movies, dirigée par le producteur indépendant Ted Hope afin d’encadrer la production des films.
La feuille de route est relativement précise :

– Utiliser l’ensemble des systèmes de financement disponibles, du développement complet en interne jusqu’à l’achat de films terminés en passant par la coproduction ;

– Se concentrer sur 10 à 12 films par an, avec un budget moyen compris entre 2 et 25 M$ en ciblant un cinéma d’auteur indépendant, original, différenciant ;

– Respecter et protéger la sortie en salles (et donc la filière de la distribution), qui reste la première fenêtre d’exploitation pour les productions Amazon. La plate-forme Instant Video remplace la première fenêtre Pay TV avec une disponibilité des longs métrages entre 4 et 8 semaines après leur sortie.

L’objectif est tout aussi précis : se concentrer désormais sur le cinéma pour faire d’Amazon un acteur incontournable de la production indépendante ; en devenant une référence auprès des cinéastes, Amazon va pouvoir sécuriser ses positions sur cette niche afin de pouvoir proposer aux clients d’Instant Video une offre distinctive.

Les dix productions annuelles devront être suffisamment fortes pour convaincre le public de s’abonner au service de vidéo à la demande. Ce dernier est donc totalement repositionné. Il n’est plus pensé comme un service supplémentaire au sein de l’offre Prime à côté des divers avantages (livraison en 2 jours, emprunts d’e-books Kindle, streaming musical, stockage des photos) mais comme une offre de destination, un service délibérément choisi en raison de son attractivité.

Dès lors, Amazon Prime Instant Video évolue logiquement en avril 2016 pour devenir une offre autonome. De fait, Amazon propose depuis cette date des abonnements mensuels indépendants d’une souscription annuelle à Prime auparavant indispensable. Le service est devenu « stand-alone » avec une politique tarifaire intéressante à 8,99$ par mois sans engagement et sans supplément de prix pour les formats 4K et HDR (100 heures de contenus cette année, le double en 2017). Par comparaison, la HDR chez Netflix est réservée à l’offre la plus chère à 11,99$/mois.

Si Amazon s’expose bien sûr à un taux de churn élevé à l’instar des autres services SVoD alors que l’abonnement annuel le protégeait en partie, le repositionnement comporte plusieurs avantages. L’autonomie de Prime Instant Video permet une politique marketing indépendante, centrée sur les contenus et décorrélée des autres messages liés à Prime. La souplesse du paiement mensuel sans engagement permet d’adresser une cible plus large que les utilisateurs importants du site de e-commerce. Et, une fois le recrutement effectué, Amazon conserve un argument commercial majeur pour fidéliser l’utilisateur et le transformer en abonné Prime complet puisque l’abonnement Prime annuel est maintenu à 99$ et reste donc plus économique pour un abonné Instant Video qui déciderait de conserver son abonnement pendant 12 mois (107,88$).

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• Amazon Video Direct pour retenir l’utilisateur à l’aide d’une profusion de contenus

L’annonce au milieu du mois de mai du lancement d’un « nouveau service », Amazon Direct Video (ADV), permettant à tous les créateurs de vidéo de proposer leurs films en ligne a été mal interprétée. La comparaison avec YouTube notamment a brouillé les pistes. ADV n’est pas un service autonome mais un prolongement et un élargissement du Streaming Partners Program (SPP) lancé au mois de décembre 2015 pour distribuer au sein d’Amazon Prime Video des services de vidéo à la demande par abonnement édités par des tiers ( Flash 778, « Avec Prime Video, Amazon se positionne comme un agrégateur de bouquets OTT »). ADV est un prolongement qui va permettre d’enrichir le service avec de nouveaux contenus professionnels et de nouveaux modèles économiques.

ADV n’est pas destiné à héberger des vidéos UGC amateurs comme sur YouTube. Contrairement au service de Google, ADV n’est pas un service ouvert mais au contraire totalement contrôlé par Amazon qui reste décisionnaire en dernière instance des contenus publiés. Contrairement à YouTube également, il n’y a aucune notion de réseau social ni de partage des contenus. Le seul objectif d’ADV est de construire au sein d’Instant Video une large librairie de contenus professionnels sans avoir besoin d’augmenter massivement l’enveloppe dédiée à l’achat de contenus, les sommes pouvant ainsi être consacrées au développement des productions originales via Amazon Studios.

Comme dans le cas du Streaming Partners Program, les cibles privilégiées sont donc les professionnels des contenus, médias traditionnels, producteurs de vidéo en ligne de qualité professionnelle (MCN sortis de l’orbite YouTube, à la limite YouTuber ayant atteint un degré de reconnaissance important), réalisateurs indépendants. La liste des premiers partenaires est éloquente puisque l’on retrouve des groupes médias (Conde Nast, The Guardian, Business Insider, Mashable), des distributeurs et producteurs classiques (Journeyman Pictures, Synergetic Distribution, CJ Entertainment America, Samuel Goldwyn Films), des MCN puissants (StyleHaul, Machinima) ou des marques comme Mattel qui viennent donc s’ajouter aux partenaires du SPP (Showtime, Starz, AMC, NBCUniversal…).

L’objectif n’est donc pas de lancer une nouvelle plate-forme vidéo mais de prolonger Instant Video en allant des contenus traditionnels vers les nouveaux formats originaux (ODV pour Original Digital Video selon la terminologie de l’iab ). Un prolongement naturel donc qui permettrait de faire le lien entre un modèle Netflix (2) et le Go90 de Verizon, entre Vimeo et Vessel.

Cette stratégie est soutenue par la grande nouveauté d’ADV sur le Streaming Partners Program initial qui consiste à proposer une variété de modèles économiques permettant d’élargir les partenaires. Alors que dans le modèle initial l’éditeur était limité à un modèle d’abonnement supplémentaire au sein d’Instant Video, il dispose désormais d’une palette de solutions plus importante : gratuité des contenus dans Instant Video avec une rémunération basée sur l’audience (jusqu’à 0,15$ par heure de visionnage), financement par la publicité (clé de répartition identique à celle de YouTube soit 55% pour le créateur, 45% pour la plate-forme), modèle payant via un abonnement supplémentaire ou modèle transactionnel (vente et location des contenus). La structure économique d’ADV permet donc à Amazon de se positionner aux yeux des créateurs et producteurs comme une alternative par rapport à l’ensemble des services de streaming concurrents en reprenant l’ensemble des modèles qu’ils ont déjà pu tester.

En plus du cinéma et de la série originale, ADV doit donc permettre à Amazon de se positionner sur l’ensemble des nouveaux contenus originaux pour proposer une offre toujours plus riche et plus souple aux abonnés, afin de les retenir sur Instant Video.

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• La vidéo comme produit d’appel pour le e-commerce

Une fois l’abonné recruté sur Instant Video puis fidélisé et retenu au sein de l’écosystème grâce à la richesse des contenus de divertissement disponibles, Amazon peut engager le troisième axe de sa stratégie en développant son activité d’e-commerçant. D’abord en soutenant la conversion des abonnés Video en des abonnés Prime grâce, comme on l’a vu, à une politique tarifaire plus avantageuse sur un an. Cet objectif est essentiel puisque la conversion à Prime est un gage de dépenses plus importantes dans l’écosystème Amazon : 1 100$ par an en moyenne pour un abonné Prime contre 600$ pour un non abonné (3).

Les nouveaux modèles économiques permis par Direct Video ainsi que l’ouverture vers de nouveaux producteurs de contenus doivent également permettre de développer des passerelles importantes entre consommation vidéo et engagement du public pouvant se traduire facilement en acte d’achat. La possibilité désormais pour des marques, des médias ou des distributeurs de proposer des formats vidéo innovants au sein d’Instant Video et à un ou deux clics seulement de la vente d’un contenu ou d’un objet est essentielle. Cela procure un avantage considérable sur YouTube qui n’a de cesse de chercher à démontrer ses effets en termes de ROI, la promotion d’un produit grâce à la vidéo en ligne contribuant directement à accroitre les ventes, mais ne peut toujours pas proposer les deux aspects de manière unifié sur sa plate-forme.

Si les scénarios restent en grande partie à écrire, deux pistes s’imposent naturellement. D’abord le brand content avec l’élargissement d’Instant Video aux contenus de marque via des partenariats avec des annonceurs (Mattel) ou les divisions dédiées des MCN (StyleHaul). La promesse de pouvoir explorer le potentiel commercial des nouvelles formes narratives de la vidéo devrait trouver rapidement des débouchés. De même, des opportunités existent pour les producteurs de films ou de séries, qui pourront promouvoir via le développement de vidéos additionnelles (bandes annonces enrichies, bonus de qualité professionnelle…) des contenus proposés à la vente directement sur le site (support physique, séance VoD).

(1) Estimations du cabinet d’affaires américain Wedbush
(2) Il faut retenir à ce propos que Netflix a commandé sa première série originale adaptée d’un succès vidéo sur YouTube : « Haters Back Off » autour du personnage de Miranda crée par la YouTubeuse Colleen Ballinger-Evans
(3) Source : Consumer Intelligence Research Partners, janvier 2016

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