L'édito de Philippe Bailly

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SVoD : Vivendi et Amazon à la conquête de la France et de l’Europe du Sud

Les propriétaires de portefeuilles de droits de cinéma ou de séries ont de quoi se réjouir : la rentrée 2016 devrait marquer une nouvelle étape dans la course au déploiement international que se livrent les plateformes de SVoD. Ce mardi 7 juin, Le Figaro annonçait la volonté de Vivendi de lancer à l’automne 2016 un « Netflix paneuropéen couvrant la France, l’Allemagne, mais aussi l’Italie et l’Espagne grâce (au rachat récent des activités de télévision payante de) Mediaset » ; et après l’information récente selon laquelle la marque Amazon Prime Instant Video avait fait l’objet d’un dépôt à l’INPI fin 2015, le compte Twitter @DidierLombard1 évoquait le même jour « un lancement Q4 2016 confirmé pour #Amazon Prime en France, et simultanément en Espagne et en Italie ».

D’après le Figaro, la plateforme de Vivendi pourrait être basée en « Allemagne, pays dans lequel le groupe possède déjà une plateforme de SVOD nommée Watchever » afin d’échapper au cadre du décret français, dit SMAD. En additionnant les abonnés à CanalPlay (598 000 à fin mars, en retrait toutefois par rapport aux 770 000 atteints au 3e trimestre 2015), à Infinity (600 000 selon le Figaro), et à Watchever (300 000), l’ensemble totalise près d’1,5 million de clients.

Mais tirer pleinement parti de cette force de frappe supposera sans doute, au préalable, de procéder à une triple harmonisation :
– En termes de branding avec, en bonne logique, la mise en place d’une marque commune,
– En termes de catalogue. Quand CanalPlay propose par exemple à ses abonnés plus de 10 500 programmes, selon les données du Baro SVoD NPA, Infinity n’en revendique que 5000. Au-delà des grandes masses, ces écarts recouvrent des line up différents, structurés par des accords variables avec les ayant droits. Parvenir à des catalogues homogènes ne peut être immédiat.
– En termes de pricing enfin, comme l’illustre les tarifs d’entrée des trois services : 5,99€ pour infinity, 7,99€ pour CanalPlay et 8,99€ pour Watchever.

Mais une fois ces réglages effectués, Vivendi pourrait s’appuyer sur un autre de ses actifs pour accélérer le déploiement de son offre vers d’autres territoires : DailyMotion qui bénéficie d’une infrastructure de diffusion de vidéo opérationnelle au niveau mondial. Le recrutement au 1er juin du cofondateur de DailyMotion et grand architecte de son architecture technique Olivier Poitrey, en tant que directeur de l’ingénierie de Netflix apparaît d’ailleurs comme une forme de clin d’œil sur la proximité des savoir-faire.

Afin de soutenir l’élargissement de son empreinte à la France, à l’Espagne et à l’Italie (qui s’ajoutent à l’Allemagne, à l’Autriche, aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni), Amazon pourra mettre en avant son offre de programmes originaux : séries (Alpha House, Transparent, Mozart in the Jungle, The Man in the High Castle…), mais aussi films (une grosse dizaine de coproductions chaque année, plutôt orientées cinéma d’auteurs – 5 Originals Amazon étaient présents cette année à Cannes – et qui sont proposées aux abonnés 4 à 8 semaines après leur sortie en salle). En bonne logique, le groupe devrait aussi faire valoir un modèle d’abonnement assoupli au cours du printemps : alors que l’accès à la SVoD était jusqu’alors réservé aux souscripteurs du service Amazon Prime (99$ par an), donc directement lié à l’activité de e-commerçant (première capitalisation mondiale parmi les retailers, à 340 Mds$ ce 7 juin, Amazon est aussi le premier site marchand en France, avec plus de 18 millions de visiteurs uniques par mois), Amazon Instant Vidéo est accessible depuis le mois d’avril à travers une offre stand-alone, aux Etats-Unis pour 8,99 $ par an.

Pour autant, le groupe devra compter avec les relations de ses principaux concurrents avec les telcos : liens évidents pour Zive avec SFR, puisque le service est édité par l’opérateur, et distribué en exclusivité à ses abonnés, mais aussi partenariat élargi avec Orange coté Netflix : la plateforme a été distribuée dès son arrivée en France par l’opérateur, et le lancement de Marseille les a vu conduire différentes actions de marketing conjoint (diffusion exclusive en 4K de la série sur Orange, campagne de publicité commune, mise en avant de Netflix dans l’interface utilisateur…). Dans un contexte hexagonal où plus de 60% des foyers reçoivent désormais la télévision au travers de l’ADSL, de la fibre ou du câble, de tels accords apparaissent particulièrement stratégiques pour l’accès au consommateur final.

Le renforcement de l’ancrage dans les écosystèmes locaux pourrait d’ailleurs plus largement marquer une nouvelle étape dans la stratégie de Netflix, après le déploiement international à marche forcée qui lui permet aujourd’hui d’être disponible dans 190 pays. Après les initiatives conduites avec Orange, et la diffusion très commentée des 2 premiers épisodes de Marseille par TF1, le nouveau Pdg de cette dernière Gilles Pélisson a ainsi évoqué le 31 mai, lors du Colloque NPA / Le Figaro la mise en place d’une alliance à 2 ou 3 ans intégrant également sa filiale Newen autour d’accords de coproductions et/ou de cession de droits de diffusion ; en Italie, c’est à la RAI que Netflix s’est associé pour produire son premier Original local, Suburra. Parallèlement, les accords que le groupe multiplie avec des telcos (Vodafone en Italie, en Allemagne et en Irlande, Telecom Italia…), lui assure une présence dans les plans de service de ces derniers et lui permettent de dépasser la seule distribution OTT.

Et le glissement sémantique opéré par Reed Hastings est significatif : après avoir parié que « la télévision linéaire aura disparu dans vingt ans » – c’était en septembre 2014 au moment du lancement de Netflix en France – le fondateur de Netflix préfère aujourd’hui évoquer « la nouvelle télévision ».

Philippe Bailly
Twitter : @pbailly