L'édito de Philippe Bailly

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Programme Europe Creative : la création britannique sous tension

Une partie des secteurs de la création audiovisuelle et cinématographique britannique est dépendante du programme Europe Creative financé directement par l’UE. Une sortie de l’Union aurait ainsi de lourds impacts pour ce pan de l’économie britannique qui pèserait près de 5% de l’économie nationale en termes de valeur ajoutée brute.

Une aide au service de la diversité et de la compétitivité

Capture brexit 1Lancé en 2014, le programme Europe Creative apporte un soutien financier aux secteurs de la culture et de la création dans le but de promouvoir la diversité et le patrimoine culturels européens ainsi que de renforcer la compétitivité des secteurs culturels et créatifs. Doté de 1,46 milliard d’euros pour la période 2014-2020, ce programme réunit les volets Culture (31% du budget global) et MEDIA (56% du budget global). A l’échelon annuel, le budget d’Europe Creative s’élève à 177,6 M€ pour l’année 2015. Ces fonds sont ensuite attribués aux entreprises européennes du secteur qui auraient préalablement déposé leur candidature auprès de chaque bureau national tout en remplissant un cahier des charges prédéfini pour chaque profession.

Le volet MEDIA concerne particulièrement trois secteurs : le cinéma, l’audiovisuel et le jeu vidéo en apportant un soutien financier aux différents professionnels, qu’ils soient producteurs, distributeurs, organismes de formation, associations d’organisation d’événements, etc. En plus d’une aide financière à la production, le programme MEDIA soutient les capacités des entreprises nationales à opérer à l’échelle transnationale et à diffuser les œuvres à travers les frontières, que ce soit au sein de l’Union européenne mais aussi ailleurs. C’est pourquoi le programme européen encourage la circulation des œuvres et des opérateurs afin d’atteindre de nouveaux publics.

Quant au volet Culture, il est dédié au renforcement européen et international des secteurs de la culture et de la création, hors cinéma et audiovisuel. Il permet entre autres le développement de projets de coopération européenne pour la diffusion de la culture à travers l’Union européenne par un soutien financier.

Des emplois menacés

En amont du referendum organisé en Grande Bretagne, son résultat probable a beaucoup inquiété les professionnels du secteur britannique. De nombreuses personnalités du cinéma se sont ainsi engagées publiquement dans la campagne du maintien : Benedict Cumberbatch, J.K. Rowling, Mike Leigh mais aussi Keira Knightley.

Un sondage réalisé au sein des membres de la Creative Industries Federation, dont font partie Aardman, Lionsgate, Fox, Channel4, NBC Universal ou encore Disney, faisait état d’une réelle volonté de rester au sein de l’UE pour 96% des réponses, notamment pour maintenir la libre circulation des matériels nécessaires aux productions mais surtout pour continuer à bénéficier des aides financières européennes via le programme MEDIA. Des arguments similaires ont été avancés par 23 studios britanniques de production cinématographique dans une lettre commune rendue publique peu avant le referendum. Dans celle-ci, les studios soulèvent que le maintien au sein de l’UE leur permettrait de continuer à ne pas être soumis à certains quotas ou taxes, notamment sur l’importation de leurs matériels en provenance des autres pays européens, mais également dans l’exportation de leurs œuvres. De plus, les aides découlant du programme MEDIA avaient permis de créer et maintenir des centaines d’emplois dans les secteurs visés ainsi que fortifier l’offre britannique en matière de films et de production de programmes. Ce serait ainsi près de 130 millions d’euros qui auraient été attribués à la production britannique depuis 2007 d’après cette lettre.

Plusieurs dizaines de millions d’euros de subventions pour le RU

Pour la période 2014-2015, le programme d’investissement Europe Créative a soutenu 230 organisations et entreprises audiovisuelles britanniques. Sur cette même période, 84 films ont bénéficié de l’aide du programme d’aide européenne pour leur distribution dans les salles de cinéma européennes. Au total, le montant des subventions européennes perçues par le Royaume-Uni dans le cadre des volets d’action MEDIA et Culture s’est élevé à 40 millions d’euros pour 2014-2015, soit un peu plus de 10% de l’enveloppe totale accordée en Europe au cours de cette période.

Sur ces 40 millions d’euros, un peu moins de 30% (11,5 M€) proviennent spécifiquement du volet Culture. Une somme dont ont bénéficié 95 organisations britanniques issues du monde de la création et de la culture sur la période 2014-2015 :

  • Projets collaboratifs favorisant l’innovation et la réorganisation des filières : 9,9 M€ ;
  • Plates-formes européennes favorisant la circulation et l’émergence dans les secteurs artistiques et créatif : 1,3 M€ ;
  • Projets de traduction favorisant la circulation et l’accès des œuvres de grande qualité : 0,165 M€.

Le volet MEDIA concentre quant à lui l’essentiel des aides européennes du programme (28,5 M€) :

  • 16 M€ pour soutenir 82 entreprises du secteur audiovisuel (TV, Cinéma, Jeu Vidéo) et 53 salles du réseau Europa Cinemas (réseau de salles à programmation majoritairement européenne créé en 1992 grâce au financement du programme MEDIA et du CNC) ;
  • 12,5 M€ pour aider à la distribution de 84 productions cinématographiques britanniques dans les salles européennes.

Répartition des aides européennes issues du programme Europe Créative pour le Royaume-Uni                    (2014-2015 ; M€)

Capture brexit 2

Source : Creative Europe in the UK – 2014-2015 support for the UK’s cultural, creative and heritage sectors

Dans le détail, les investissements du volet MEDIA auprès des acteurs britanniques du secteur audiovisuel se décomposent comme suit :

  • 12,5 M€ pour faciliter la distribution de 84 œuvres cinématographiques d’origine britannique à travers l’Europe ;
  • 5,9 M€ affectés à la co-production de 18 programmes télévisuels (projet – unitaire ou série – de fiction, d’animation ou de documentaire de création). Un montant en hausse de 90% par rapport au précédent programme MEDIA de 2007-2013 ;
  • 2 M€ alloués aux producteurs britanniques pour financer le développement de leurs projets, qu’il s’agisse de projets uniques ou de développement de catalogues de projets (3 à 5 projets) ;
  • 1,8 M€ pour la distribution en ligne d’œuvres télévisuelles et cinématographiques, dont une partie a été allouée en 2015 à Curzon Home Cinema pour expérimenter l’exploitation du film Tale of Tales en day-and-date ;
  • 1,2 M€ alloué aux distributeurs britanniques pour l’exploitation de 31 œuvres européennes au Royaume-Uni (Le Fils de Saul, Deux Jours une Nuit, Snow Therapy…) ;
  • 0,625 M€ pour le développement de jeux vidéo innovants à potentiel européen et mondial. Montant de subvention le plus élevé d’Europe (≈18% de l’enveloppe totale accordée par le programme MEDIA en Europe sur la période 2014-2015).

Les aides accordées par le programme Europe Créative ont facilité l’émergence d’une production indépendante diversifiée et de qualité. Une situation parfaitement illustrée par les Oscars 2015 : sur les 12 films d’origine britannique nommés, 7 d’entre eux bénéficiaient de subventions européennes (Carol, Brooklyn…). Dernière Palme d’or à Cannes, I, Daniel Blake de Ken Loach figure lui aussi parmi les bénéficiaires du volet MEDIA du programme d’aide européen. Une filière indépendante qui pourrait être l’une des premières victimes d’une sortie effective de l’UE avec pour conséquences une capacité de production amoindrie et une circulation des œuvres complexifiée.

Quel statut pour les pays non-membres de l’UE ?

Outre les États membres, le programme Europe Créative est ouvert, sous certaines conditions (versement de crédits supplémentaires notamment), à la participation des pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE) qui font partie  de l’accord sur l’espace économique européen (EEE) et à la Confédération suisse. Les pays en voie d’adhésion, les pays candidats et les candidats potentiels bénéficiant d’une stratégie de préadhésion ainsi que les pays relevant de la politique européenne de voisinage ont eux aussi la possibilité de participer au programme. Enfin, le programme est également ouvert à des actions de coopération bilatérale ou multilatérale avec des pays tiers sur la base de modalités particulières à définir d’un commun accord avec les parties intéressées.

Dans les faits, Albanie, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Islande, Norvège, Bosnie-Herzégovine, Monténégro et Serbie bénéficient aujourd’hui pleinement du programme MEDIA. D’autres pays non-membres de l’UE comme la Géorgie, la Moldavie, la Turquie et l’Ukraine y sont éligibles mais de manière seulement « partielle ». Les aides de financement se limitent aux projets de formation, de développement des publics, de festivals à programmation européenne et d’activités facilitant l’accès des professionnels aux marchés européens et internationaux.

Si l’incertitude domine, le champ des possibles reste donc ouvert pour le Royaume-Uni. Il restera à voir comment le secteur de la création audiovisuelle et cinématographique britannique parviendra à négocier des accords de libre-échange avec l’UE, condition sine qua non pour maintenir sa participation au programme Europe Créative. Un processus qui pourrait être long à se dessiner, les traités européens prévoyant un délai de deux ans maximum pour une sortie effective et la mise en place de nouveaux accords commerciaux entre les parties.

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