L'édito de Philippe Bailly

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A J-5 de son lancement, Molotov joue avec les lignes pour « réinventer la télé »

« Moderniser l’accès à la télévision » et même carrément « réinventer la télé ». Depuis le printemps 2015, Pierre Lescure, Jean-David Blanc et Jean-Marc Denoual ont fait de l’innovation une des clés de leur projet Molotov TV… Quitte à faire preuve pour cela d’une grande créativité juridique, et d’une capacité d’anticipation qui approche parfois le passage en force, comme ils viennent d’en faire une nouvelle démonstration à moins d’une semaine du lancement annoncé pour le 11 juillet.

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Proposé gratuitement, « le service donnera accès à cette date aux 26 chaînes de la TNT sur tous les écrans : ordinateurs, smartphones, tablettes et télévisions connectées. Des offres de TV payantes seront également disponibles, donnant ainsi accès à plus d’une centaine de chaînes ». Outre leur flux linéaire, tout ou (grande) partie des éditeurs devraient mettre leur replay à disposition de la plateforme. Mais c’est la mise en œuvre du nPVR en anglais (bookmark dans la terminologie utilisée par le service) qui devrait en constituer la principale originalité : la possibilité de programmer l’enregistrement de programmes avant leur diffusion, lesquels seront stockés à distance, dans le cloud, et plus en local sur le disque dur de la box des abonnés.

Une start up, Wizzgo, s’était essayé à la même proposition à la fin de la précédente décennie. Mais elle s’était vue condamnée, en première instance comme en appel, et le service n’avait duré que ce que durent les roses. Les magistrats avaient jugé que l’exception pour copie privée, qui permet l’enregistrement à domicile sur des supports physiques (cassettes autrefois, DVD ou disque dur aujourd’hui), ne pouvait être étendue à l’enregistrement à distance.

Qu’importe. Le service de Bookmark figurait bien dès l’automne 2015 parmi les fonctionnalités proposées aux bêta-testeurs de Molotov. Et c’est le projet de loi Création, préparé par Aurélie Filippetti dans ses fonctions de ministre de la Culture, puis défendu devant le Parlement par ses successeures Fleur Pellerin et Audrey Azoulay, qui allait lui apporter une (presque parfaite) onction législative sous la forme d’amendements successifs des parlementaires socialistes Marcel Rogemont à l’Assemblée Nationale puis David Assouline au Sénat. Le tout avec le soutien implicite, et finalement clairement exprimé, du gouvernement.

Au début du printemps, le Canard Enchaîné s’amuse de ce « Cocktail mitonné au sommet », relevant que Molotov n’avait pas attendu la 2e lecture du projet de loi au Sénat pour confirmer le 4 avril son lancement du 11 juillet. Excès de confiance ? Peut-être piqués au vif d’être insuffisamment pris en compte, et en tout cas saisis par plusieurs associations professionnelles de l’audiovisuel ou du cinéma (SEDPA, SEVN…) ainsi que par TF1 et M6, les sénateurs consacrent la légalisation du nPVR, mais avec une restriction significative à sa mise en œuvre : qu’une « convention (ait été) conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision (afin de) définir préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ».

C’est cette rédaction qui sera finalement retenue dans la version finale du projet de loi, définitivement adopté le 29 juin, en attente de promulgation, et qui permet aux chaînes de conserver la main sur l’enregistrement de leurs programmes.

Pas de quoi décaler l’agenda de Molotov : dès le 30 juin, un courrier de Jean-Marc Denoual décrit « les modalités mises en œuvre par Molotov pour son service de stockage, en termes de capacité et de sécurisation des enregistrements » (limitation à 500 GO, création par chaque utilisateur d’un compte personnel intégrant login et password, géoblocage des accès…) et « confirme (aux chaînes) que l’enregistrement devra être demandé par chaque utilisateur avant la diffusion en direct du programme ou au cours de celle-ci ». Molotov apparaît déterminé à lancer son service de nPVR sans attendre d’avoir conclu les « conventions » introduites par la loi et dont le courrier ne fait nulle mention.

Mais les éditeurs n’entendent pas renoncer à la marge de négociation qui leur a ainsi été donnée. Plusieurs d’entre eux ont mis en demeure Molotov de ne pas donner accès à l’enregistrement de leurs programmes avant que les termes de cet accord aient été définis.

Les artificiers Lescure, Blanc et Denoual risquent donc de devoir attendre pour tirer le plein effet de l’explosion qu’ils entendent faire retentir dans le PAF. Mais à relire les regrets exprimés de façon récurrente lors des débats parlementaires qu’aucune étude d’impact n’ait été effectuée sur l’introduction du nPVR, ou à réfléchir aux effets de souffle redoutés par certains professionnels sur le développement de la TVR, de la VoD, de la SVoD, voire de l’audience des chaînes thématiques (au lendemain de la publication d’une décevante vague Mediamat Thematik), on se prend à regretter que la voie d’une négociation professionnelle, un temps suggéré par le sénateur Jean-Pierre Leleux et qui aurait permis une vision d’ensemble des différentes exploitations, n’ait pu prospérer. Dans l’audiovisuel comme pour la loi Travail, la France a du mal ces temps-ci, décidément, à trouver la voie du consensus et des accords collectifs. RIP Michel Rocard.