L'édito de Philippe Bailly

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CJUE : légalité d’un lien hypertexte renvoyant vers une œuvre publiée sans autorisation

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Le 9 septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que le placement sur un site Internet d’un hyperlien, renvoyant vers des œuvres protégées par le droit d’auteur, et publiées sans l’autorisation de l’auteur sur un autre site Internet, ne constitue pas une « communication au public », lorsque la personne qui place ce lien agit sans but lucratif et sans connaître l’illégalité de la publication de ces œuvres. En revanche, si ces hyperliens sont fournis dans un but lucratif, la connaissance du caractère illégal de la publication sur l’autre site Internet doit être présumée.

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Le contexte

GS Media exploite le site GeenStijl, sur lequel figurent « des nouveautés, révélations scandaleuses et enquêtes journalistiques sur des sujets amusants et sur un ton de joyeuse plaisanterie », et qui est l’un des dix sites les plus fréquentés dans le domaine des actualités aux Pays-Bas. En octobre 2011, GS Media a publié un article et un lien hypertexte renvoyant les lecteurs vers le site Filefactory, hébergeur australien, où des photos qui devaient paraitre dans la revue Playboy du mois de décembre étaient disponibles au téléchargement.  Malgré les demandes de Sanoma, l’éditeur de Playboy, GS Media a refusé de supprimer le lien en question. Lorsque Filefactory a supprimé les photos litigieuses sur demande de Sanoma, GS Media a publié un nouvel article sur GeenStijl renvoyant vers les photos disponibles sur le site d’un autre hébergeur. Quand ce dernier a également supprimé les photos, les internautes du forum du site GeenStijl ont placé de nouveaux liens renvoyant à d’autres sites où ces photos étaient publiées.

Selon Sanoma, GS Media a porté atteinte au droit d’auteur. Saisi en cassation, le Hoge Raad der Nederlanden  (la Cour de cassation des Pays-Bas) a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si GS Media réalisait effectivement une « communication au public » des œuvres protégées. Le Hoge Raad a notamment fait valoir auprès de la Cour de justice que si, en vertu de la directive 2001/29 sur le droit d’auteur, chaque acte de communication d’une œuvre au public doit être autorisé par le titulaire du droit d’auteur, « il faudrait tenir compte du fait qu’Internet regorge d’œuvres publiées sans l’accord du titulaire du droit d’auteur. Pour l’exploitant d’un site Internet, il ne serait pas toujours simple de vérifier si l’auteur a donné son accord à la publication antérieure ».

La décision

La Cour de justice rappelle tout d’abord que dans ses décisions Svensson (C-466/12) et BestWater International (C-348/13), elle a « entendu s’exprimer uniquement sur le placement de liens hypertexte vers des œuvres qui ont été rendues librement disponibles sur un autre site Internet avec le consentement du titulaire » du droit d’auteur. La Cour avait donc conclu à l’absence d’une communication au public au motif que l’acte de communication en question n’était pas effectué auprès d’un public nouveau.

Dans le litige entre GS Media et Sanoma (C‑160/15), il s’agit au contraire du placement d’un lien hypertexte renvoyant vers une œuvre protégée dont la publication d’origine n’est pas autorisée. La Cour concède qu’il « peut s’avérer difficile, notamment pour des particuliers qui souhaitent placer de tels liens, de vérifier si le site Internet vers lequel ces derniers sont censés mener donne accès à des œuvres qui sont protégées, et le cas échéant, si les titulaires des droits d’auteur de ces œuvres ont autorisé leur publication ». De plus, la Cour précise qu’il convient, « lorsqu’une personne ne poursuit pas un but lucratif, de tenir compte de la circonstance que cette personne ne sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre avait été publiée sur Internet sans autorisation du titulaire des droits d’auteur ». En effet, cette personne « n’intervient, en règle générale, pas en pleine connaissance de cause des conséquences de son comportement ».

En revanche, « lorsqu’il est établi qu’une telle personne savait ou devait savoir que le lien hypertexte qu’elle a placé donne accès à une œuvre protégée illégalement publiée sur Internet », par exemple après avoir été avertie par le titulaire des droits d’auteur, il y a lieu de considérer que la fourniture de ce lien constitue une « communication au public », et donc une contrefaçon.

Lorsque la personne qui place le lien hypertexte le fait dans un but lucratif, la Cour considère qu’il « peut être attendu de l’auteur d’un tel placement qu’il réalise les vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mène le lien ». Dans ce contexte, « il y a lieu de présumer que ce placement est intervenu en plein connaissance de la nature protégée de l’œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur Internet » par le titulaire des droits.  Ainsi, pour autant que cette « présomption réfragable » ne soit pas renversée, l’acte consistant à placer un lien vers une œuvre illégalement publiée sur Internet, dans un but lucratif, constitue une « communication au public ». N’étant pas en position de renverser cette présomption, GS Media a réalisé une communication au public.

Notre analyse

La Cour de justice se détache ici du raisonnement qu’elle avait emprunté dans ses décisions Svensson et BestWater dans lesquelles le caractère librement accessible des œuvres était déterminant. En effet, elle introduit par cette décision deux critères dans son appréciation de la légalité du placement de liens hypertexte : la connaissance de l’illégalité de la publication d’origine d’une œuvre protégée et la poursuite d’un but lucratif.

Le critère de la connaissance de l’illégalité de la publication d’origine de l’œuvre s’applique indistinctement aux personnes poursuivant un but lucratif ou non. Une personne qui « savait, ou devait savoir que le lien hypertexte qu’elle a placé donne accès à une œuvre illégalement publiée sur Internet » réalise une communication non autorisée de cette œuvre. La charge de la preuve de cette connaissance pèse sur le titulaire des droits, qui devra sans doute, comme l’indique la Cour de justice à titre d’exemple, avertir tous les sites sur lesquels il constate le placement d’un tel lien.

Certaines questions se posent quant au deuxième critère portant sur la poursuite du but lucratif, qui créé une présomption réfragable de la connaissance de l’illégalité de la publication d’origine de l’œuvre. La Cour estime que l’auteur du placement d’un lien hypertexte qui poursuit un but lucratif doit réaliser « les vérifications nécessaires » pour s’assurer de la légalité de la publication d’origine, sans pour autant préciser ce qu’elle entend par « vérifications ». Par ailleurs, elle considère qu’il « y a lieu de présumer que le placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de l’œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication ». Il semblerait donc que l’éditeur d’un site commercial, par exemple, aura la lourde charge de prouver qu’il n’avait aucun doute quant à la légalité de la publication d’origine de l’œuvre, ce qui « peut s’avérer difficile » sur Internet.

De plus, les opérateurs de sites non-commerciaux, qui amortissent leurs coûts de maintenance grâce à la vente de leur inventaire publicitaire, ou les « bloggeurs » qui placent parfois des liens vers des œuvres protégées pourront se demander s’ils seront inclus dans ce critère de la poursuite d’un but lucratif.

Enfin, cette décision confère aux titulaires de droits d’auteur un puissant recours contre l’utilisation illicite de leurs œuvres sur Internet. Si, comme en l’espèce, un site populaire comme GeenStijl réalise un acte de communication au public, ce dernier ne pourra plus renvoyer successivement vers des œuvres mises à disposition par différents hébergeurs sans commettre lui-même un acte de contrefaçon.

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