L'édito de Philippe Bailly

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Partenariats et stratégies des principaux constructeurs automobiles

Après la connectivité et les systèmes de divertissement embarqués, l’autonomisation est aujourd’hui le cœur de la stratégie des constructeurs. Alors que la quasi-totalité des grands constructeurs ont annoncé le lancement de véhicules autonomes à l’horizon 2020, la course à l’autonomisation est donc lancée. Mais l’effort peut-être difficile à supporter seul pour un groupe ce qui conduit malgré la concurrence à des alliances complexes entre acteurs.

L’autonomie est le nouvel horizon des constructeurs. Les systèmes de cartographies sophistiqués qui permettent d’appréhender l’environnement en temps réel et les systèmes d’intelligence artificielle capables de les interpréter sont les pivots de cette révolution industrielle. Pour cette nouvelle étape, les constructeurs automobiles sont conscients du risque de désintermediation et veulent proposer leurs propres systèmes indépendamment des géants de la technologies. Pourtant, le développement de telles technologies de façon indépendante est un projet très complexe que les constructeurs ont du mal à appréhender seul. Par conséquent, on assiste à un vaste mouvement de rapprochements et de partenariats parfois complexes entre les acteurs, alors qu’une dizaine de constructeurs prévoient d’ores et déjà de commercialiser des véhicules autonomes à l’horizon 2020.

Etats-Unis, les constructeurs sous la menace de la Silicon Valley

 Après avoir développé en partie la connectivité de leurs véhicules en partenariats avec Apple et Google, les constructeurs américains semblent vouloir sortir de leur dépendance aux géants de la Silicon Valley pour ce qui concerne l’autonomisation des véhicules. Les deux principaux constructeurs américains semblent donc déterminer à développer au plus vite leurs propres solutions. Chrysler cependant conscient de son retard a fait le choix au contraire de s’allier avec Google.

  • Ford : le constructeur Nord-Américain a pendant longtemps affirmé vouloir se concentrer sur les véhicules semi-autonomes à destination des particuliers avant de s’atteler à l’autonomisation complète des véhicules. Au Mobile World Congress 2016, le constructeur affirmait encore que la production de véhicules Ford entièrement autonomes n’interviendrait pas avant une dizaine d’année. La R&D du constructeur s’est concentrée depuis une dizaine années sur la connectivité, les systèmes embarqués, le freinage automatisé, l’aide au stationnement et au maintien de voie sur autoroute. Pourtant, le constructeur a changé son discours au cours de l’été et son PDG Mark Fields a affirmé en août que la principale préoccupation de Ford était désormais de se préparer à l’autonomisation complète de l’automobile. Le groupe a donc désormais la volonté de s’ériger en leader dans les 5 ans à venir avec le lancement d’un véhicule totalement autonome prévu pour 2021 en versions électrique et thermique. Surtout, Ford a annoncé que son futur véhicule devrait cibler les services de transport et non les particuliers pour lesquels seront proposés dans un premier temps des véhicules semi-autonomes sur certaines portions de route bien définie. Pour accélérer sa mutation vers le véhicule autonome, Ford a essentiellement investi en interne. Le constructeur a notamment inauguré en août un deuxième centre de recherche dans la Silicon Valley et a initié en avril dernier un plan de transformation de son siège en campus de recherche sur le modèle de Google ou Apple. Pour favoriser sa recherche, notamment dans le domaine de la cartographie, le groupe sera doté d’ici fin 2016 d’une trentaine de Ford Fusion autonomes qui sillonnera les routes américaines pour  accumuler les données. Si le groupe mise d’abord sur ses propres investissements plutôt que sur les partenariats avec des acteurs externes, Ford a néanmoins présenté récemment quatre collaborations avec des start-ups  visant à accélérer son développement dans le domaine de la cartographie et de la vision artificielle : Un investissement dans la start-up Velodyne, pionnière dans la télédétection par laser (LIDAR) dans le but de développer des capteurs Lidar propriétaires abordables et précis; Acquisition de la société israélienne SAIPS spécialisé dans le « machine-learning » dans le but de renforcer l’expertise de Ford dans l’intelligence et la vision artificielles; Partenariat avec Nirenberg Neuroscience spécialiste de la vision artificielle; Enfin un investissement dans la start-up Civil Maps pour développer des outils de cartographie 3D en haute-résolution. Enfin, plus discrètement, Ford a conclu des accord avec trois spécialistes de l’autonomisation (Uber, Faraday Future et Autonomous Stuff) qui utiliseront les derniers modèles de Ford Fusions pour tester et développer certaines de leurs technologies. Ces partenariats devraient permettre à Ford de récolter des données précieuses.
  • General Motors : l’autre géant américain Général Motors a également fait de l’automatisation sa priorité. Le groupe a pour objectif premier de commercialiser son premier véhicule semi-autonome en 2017, la CT6 avec le pilote automatique Super Cruise activable sur certaines portions de route. Cependant le géant de Détroit a une approche différente de Ford. En effet, le groupe a pris conscience au cours des deux dernières années de son retard dans le domaine à la fois face à ses concurrents historiques mais également face aux nouveaux entrants, notamment Tesla qui propose un pilote automatique sur ses véhicules depuis octobre 2015. General Motors a reconnu en 2015 ses lacunes dans le domaine de la cartographie et de la détection de l’environnement. Alors que ses concurrents, notamment Google, ont fait le choix d’internaliser le développement de certaines briques technologiques comme celles du LIDAR, General Motors a dû faire appel à des prestataires extérieurs. Pour mettre fin à cette dépendance, le groupe s’est lancé dans une campagne de rachat de start-ups spécialisées dans l’autonomisation des véhicules. GM a notamment racheté pour un milliard de dollars en avril 2016 son partenaire Cruise Automation avec lequel il développait son système de pilote automatique Super Cruise pour la CT6. Depuis le rachat, Cruise Automation a lancé une série de tests de son service sur plusieurs véhicules de la gamme Chevrolet.General Motors prépare également les changements de modèle économique à venir dans le secteur de l’automobile en investissant également dans les services de transport à la personne qui devrait progressivement s’automatiser. Ainsi, GM a investi en janvier 2016 près de 500M$ dans la société Lyft, concurrent d’Uber et leader du covoiturage. L’objectif est de s’appuyer sur l’expertise technique de GM et l’expertise logicielle de Lyft pour développer un réseau de voitures autonomes à la demande. Pour compléter ce partenariat, GM a également racheté certaines divisions et technologies du spécialiste du covoiturage Sidecar qui avait fait faillite en décembre 2015 afin d’internaliser certaines  compétences.

 

  • Fiat Chrysler Automobiles : Le constructeur américano-italien a une stratégie radicalement différente de ses principaux concurrents nord-américains. En effet, le consortium apparaît très en retard dans le domaine de l’autonomisation des véhicules. FCA n’a présenté aucune feuille de route et aucun véhicule de ses différentes marques n’a été présenté avec des fonctionnalités d’autonomisation avancée. FCA semble avoir fait le choix de se concentrer sur son cœur de métier pour laisser le développement logiciel à des partenaires. De ce fait, FCA a choisi de s’allier avec Google qui pourtant fait figure d’épouvantail du secteur. Le constructeur s’est engagé en juin à fournir à Google une centaine de monospaces hybrides Chrysler Pacifia afin qu’ils soient équipés de systèmes de conduite autonome. Chrysler devrait notamment fournir les véhicules pour le lancement en test de la flotte de véhicules autonomes du service de Google Waze prévu pour la fin de l’année. A plus long-terme, FCA pourrait devenir le fournisseur privilégié de véhicules pour Google.

Allemagne : alliance entre constructeurs

Les trois principaux groupes allemands sont en pointe sur l’autonomisation des véhicules et prévoient chacun de commercialiser des véhicules autonomes avancés à l’horizon 2020-2021 : Daimler sous la marque Mercedes, Volkswagen AG sous la marque Audi et enfin BMW sous la marque BMW. Chacun de ces groupes dispose de sa propre feuille de route mais ils ont cependant décidé d’unir leurs forces dans le domaine de la cartographie afin de disposer d’un outil commun indispensable au développement de véhicules autonomes. Les constructeurs allemands investissent également massivement dans les services d’auto-partage.

  • HERE : un consortium réunissant les trois plus gros groupes de constructeurs Allemands (Volkswagen AG, BMW AG, Daimler AG), a racheté en aout 2015 le système de cartographie « Here » de Nokia pour 2,8 milliards d’euro afin d’accélérer le développement de leurs dispositifs d’aide à la conduite et de voitures autonomes. Maitriser la cartographie permet aux constructeurs de conserver les données du véhicules et donc du client. En effet, même si HERE est un fournisseur de services qui a vocation à travailler avec plusieurs partenaires et pas exclusivement avec l’industrie automobile, les partenariats avec les autres acteurs de l’industrie lui permettront d’amortir les coûts et de collecter davantage de données sur les routes. Pour l’heure, la multitude de capteurs qui équipent les véhicules autonomes des 3 groupes automobiles, en test sur plusieurs routes à travers le monde, génèrent de nombreuses données qui sont stockées, analysées en temps réel puis mises en commun. L’utilisation des données de trois groupes majeures permet de constituer une gigantesque base commune dynamique (itinéraires, vitesse de déplacement, panneau de signalisation, état du traffic en temps réel, changements de signalisation temporaire, places de stationnement disponibles …). Le système équiperait déjà plusieurs centaines de milliers de véhicules et pourrait en rassembler plusieurs millions d’ici 18 mois. L’alliance permet donc un effet d’échelle et la création de services plus précis.  Le consortium serait prêt à accueillir des constructeurs tiers comme Ford et Nissan-Renault.
  • Daimler AG: en dehors de ce consortium le groupe de Stuttgart multiplie les investissements dans l’autonomisation des véhicules. Mercedes notamment procède à des essais de véhicules totalement autonomes depuis 2015 avec son prototype F015. Le constructeur devrait commercialiser son premier véhicule semi-autonome en 2017 avec la nouvelle Mercedes-Benz Classe E qui sera équipée de la technologie propriétaire Intelligent Drive capable de changer de voie automatiquement sur autoroute. Daimler a également énormément investi pour développer une technologie d’autonomisation des camions et bus. Le groupe a déjà procédé à des tests de poids-lourds autonomes sur les routes américaines. Enfin, le groupe investit dans les services d’autopartage. Après avoir fondé le service Car2Go en 2008, Daimler a racheté en 2014 l’allemand MyTaxi et l’américain RideScout. Enfin, en aout 2016, Daimler a investi dans l’application de VTC de luxe
  • Volkswagen AG: le groupe procède à des essais de voitures Audi autonome sur route depuis 2015 et en 2017 deux modèles d’Audi proposeront des systèmes de conduites autonomes dans les bouchons. Audi a cependant assuré qu’il serait le premier constructeur à commercialiser un modèle avec une autonomisation avancée sur route avec la nouvelle A8 prévue pour 2018. Pour développer son système de vision artificielle, Volkswagen a signé un partenariat en janvier 2016 avec la société Israélienne Mobileye. Le groupe cherche également à renforcer son expertise dans le domaine de l’intelligence artificielle et a investi en mai 2016 dans le DFKI (Centre de Recherche Allemand pour l’Intelligence Artificielle). Enfin, Volkswagen a également investi 300 millions d’euros en mai dans la société israélienne Gett qui développe une application de commande de taxis et VTC.
  • BMW AG : BMW a lancé dès 2016 un nouveau modèle de Série 7 équipé d’un système d’autonomisation simple (pilote automatique dans les bouchons et suivi de véhicule sur autoroute). Le constructeur a annoncé que sa première voiture entièrement autonome, l’iNext, sera disponible dès 2021. Pour créer son système, BMW s’est allié à Intel et BMW est également engagée dans un autre projet de voiture autonome en partenariat avec le chinois Baidu qui teste depuis décembre 2015 son système de pilote automatique sur une flotte de Séries 3 fournit par BMW. Enfin BMW a investi en mai dans l’application américain d’autopartage Scoop.

 

France, retard des constructeurs hexagonaux

Les constructeurs hexagonaux semblent légèrement en retard dans la course à l’autonomisation de la conduite. En effet, dans l’alliance Renault-Nissan c’est le constructeur japonais qui semble moteur du développement du système. Le groupe PSA dispose lui d’un programme de tests depuis 2015 mais n’a pas encore présenté de projets de véhicules totalement autonomes.

  • Renault-Nissan : Le franco-japonais Renault-Nissan a présenté début 2016 sa feuille de route et distingue lui aussi l’autonomisation comme une de ses priorités. L’alliance a ainsi annoncé qu’elle devrait lancer sur le marché plus de dix véhicules dotés d’une technologie de conduite autonome d’ici à 2020. Ce développement va s’appuyer sur la technologie ProPILOT développé par Nissan qui ne devrait cependant pas permettre une autonomie totale des véhicules. L’autonomisation s’effectuera d’abord uniquement sur autoroute avec un système « maintien dans une file » puis à partir de 2018 d’un système permettant le changement de file et enfin en 2020 un mode de gestion autonome des intersections. La voiture pourra alors appréhender les intersections en ville sans intervention du conducteur. Pour accélérer son développement, Renault-Nissan a racheté récemment l’éditeur français de logiciel dans le cloud Sylpheo et conclu un accord avec Microsoft pour l’utilisation du système Azure. L’objectif de ces rapprochements est de permettre notamment l’amélioration des services de cartographie des deux constructeurs.
  • PSA Peugeot Citroën : Le groupe a procédé dès 2015 à un test sur une C4 de son système de conduite autonome sur autoroute entre Paris et Bordeaux et Paris et Madrid. Le constructeur a annoncé en outre que la berline qui succéderait à la 508 en 2018 serait dotée d’un pilote automatique pouvant prendre le relais du conducteur dans les embouteillages. Le constructeur prévoit la commercialisation de véhicules autonomes en 2020. Pour développer sa technologie, PSA s’appuie sur un partenariat depuis avril 2015 avec IBM qui apporte son expertise dans les processus de collecte, de traitement et d’analyse des données issues des véhicules PSA (capteurs, intelligence embarquée).  Les deux partenaires prévoient en outre  de commercialiser ces données à des tiers ce qui pourrait rapporter 300 millions d’euros de recette annuelle d’ici 2021. PSA a en outre annoncé en avril 2016 sa volonté de se développer dans l’auto-partage par le biais de partenariat avec Bolloré et Koolicar.

En Asie, des alliances avec Uber

Pas moins de cinq constructeurs automobiles asiatiques ont annoncé le lancement de véhicules dotés d’une autonomisation avancée d’ici 2020 : les japonais Toyota et Honda, les coréens KIA et Hyundai et enfin le chinois Geely via sa filiale Volvo[1]. Volvo justement est le constructeur le plus en pointe puisqu’une flotte de Volvo XC90 autonome est testée en partenariat avec Uber dans les rues de Pittsburgh depuis août 2016.  Les utilisateurs d’Uber dans cette ville peuvent donc commander un véhicule autonome supervisé par un technicien à l’intérieur de la voiture. Uber et Volvo se sont en outre entendus pour investir 300 millions de dollars en commun pour développer un modèle entièrement autonome d’ici 2020. Toyota a conclu un accord similaire avec Uber qui inclut le prêt de véhicules Toyota en vue de test  et un programme d’investissements communs dans la R&D.

[1] On pourrait ajouter à cette liste Nissan qui a développé sa propre technologie au sein de l’alliance avec Renault.

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