L'édito de Philippe Bailly

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AT&T positionne DirecTV Now comme sa future plateforme de distribution vidéo

AT&T se prépare à lancer son offre de télévision payante sur internet, DirecTV Now. L’offre sera officiellement présentée à la presse le 28 novembre. Elle entrera en concurrence directe avec les autres bouquets OTT des opérateurs virtuels, des offres qui n’ont pas encore réellement trouvé leur public malgré un contexte général de désaffection pour les bouques traditionnels de télévision payante. Pour autant, DirecTV Now ambitionne de réussir là où ses concurrents ont pour l’instant échoué en adoptant un positionnement tarifaire très agressif et en s’inscrivant dans une stratégie de long terme défendue par le principal distributeur de télévision payante américain. 

• 100 chaînes pour 35$ par mois. Un prix destiné à marquer les esprits quitte à sacrifier les marges

Les premières offres des opérateurs virtuels, proposant des bouquets de chaînes linéaires directement sur internet ont maintenant plus de deux ans aux Etats-Unis. Alors que l’on attendait les géants du web, c’est Sony qui avait dégainé le premier avec Playstation Vue sensé permettre de positionner les consoles de jeux du japonais comme une alternative aux box des opérateurs U.S. Puis ce fût au tour de l’opérateur satellite Dish en janvier 2015 avec son offre OTT Sling TV. Mais les résultats sont pour l’instant très décevants. Sling TV approcherait difficilement du million d’abonnés alors que Playstation Vue a franchi cet été le maigre cap des 100 000 abonnés. Des résultats qui expliquent le peu d’entrain des GAFA à se positionner malgré des rumeurs récurrentes du côté d’Apple et Amazon qui ne se sont toujours pas concrétisées. Ceci étant, Google devrait normalement entrer sur ce marché en 2017 avec le lancement du service YouTube Unplugged qui s’ajoutera ainsi à une autre offre très proche sur laquelle travaille en ce moment Hulu. L’échec des premiers entrants s’explique par un modèle économique difficilement tenable avec l’obligation pour les opérateurs virtuels de proposer des prix bas à même de séduire les déçus de la TV payante traditionnelle dans un contexte de hausse constante des coûts de distribution versés aux éditeurs. Dès lors, pour maintenir un prix compétitif (de 20 à 40$ chez Sling TV et de 30 à 75$ pour Playstation Vue), les chaînes proposées sont insuffisantes avec des manques importants qui conduisent les « Cord Cutters » ou « Cord Shavers » à préférer la solution d’une antenne ou d’un tuner hertzien pour la télévision gratuite (FTA – Free to air) associée à un ou plusieurs abonnements à un service de vidéo à la demande.

DirecTV Now entend dynamiser le marché en proposant une offre plus ambitieuse à un prix attractif : 35$ par mois, sans engagement, pour plus de 100 chaînes. L’offre s’adresse en priorité au 20 millions de foyers U.S qui ne sont pas abonnés à une offre de télévision payante. Elle n’est pas réservée aux abonnés AT&T mais ouverte à tous. Comme pour tous les services OTT ambitieux, l’hyper distribution est de mise avec une présence sur le web, dans tous les magasins d’application et sur l’ensemble des terminaux connectés. Si la composition exacte de l’offre ne sera dévoilée que le 28 novembre, la seule véritable interrogation concerne la reprise du réseau broadcasts CBS. Pour le reste, les premiers accords annoncés montrent que AT&T a réussi à convaincre l’ensemble des éditeurs. DirecTV Now proposera le streaming Live des réseaux Broadcast de FOX (21st Century Fox), ABC (Disney), NBC (NBCUniversal), Univision Networks, y compris les chaînes locales quoique avec certaines limitations (limitations géographiques car tous les marchés ne seraient pas concernés et la diffusion des chaînes locales affiliées à NBC serait limitée aux mobiles et PC). Outre les réseaux broadcast, la quasi-totalité des réseaux du câble aurait été signés : HBO et Cinemax (proposés en supplément du bouquet de base), Viacom, Discovery, Scripps Networks, A+E Networks, Starz, Turner ou Disney. De plus, la majorité des chaînes (sauf ESPN) proposeront leurs programmes en rattrapage pendant 72 heures. Et DirecTV Now inclura également 14 000 titres (cinéma et séries) en VOD transactionnelle. Il s’agit donc incontestablement de l’offre OTT la plus riche et la plus compétitive de la catégorie.

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Outre la richesse de l’offre en termes de chaînes, DirecTV Now devrait proposer une période d’essai gratuite de 7 jours et mettre en place un programme de fidélisation ambitieux avec un Fire TV Stick d’Amazon offert au bout d’un mois d’abonnement et un boitier Apple TV au bout de 3 mois. De plus, à l’issue de la période d’essai, ceux qui décident de ne pas s’abonner conserveront automatiquement une offre gratuite, DirecTV Preview, monétisée par la publicité et proposant pour l’essentiel des contenus web natifs issus des différents MCN du groupe AT&T (Otter Media, Joint-Venture avec The Chernin Group) et potentiellement de ceux de Time Warner (Machimina, Mashable) si l’opération de rapprochement en cours était validée.

Etant donné la complétude de l’offre, le positionnement tarifaire de DirecTV Now suscite de nombreux questionnements quant à la viabilité du modèle économique. AT&T communique sur les avantages de son offre OTT qui en adoptant une démarche « App Centric » permet d’importantes économies sur le matériel (antenne satellite et box pour les abonnés DirecTV) ainsi que sur le personnel (installateur notamment). Néanmoins, l’ensemble des analystes estiment qu’à 35$ par mois l’offre sera difficilement rentable pour l’opérateur. En se basant sur les coûts de distribution des différents Networks compilés par SNL Kagan, les analystes de MoffettNathanson estiment que AT&T doit débourser 34$ par mois (30$ si CBS n’est finalement pas distribué) uniquement pour la reprise des chaînes disponibles sur DirecTV Now. La marge par abonné serait donc minime et AT&T pourrait même perdre de l’argent puisqu’il faut ajouter des coûts de marketing et de recrutement et surtout des coûts liés au streaming. La Deutsche Bank partage cette analyse et calcule que pour obtenir avec DirecTV Now un niveau de rentabilité équivalent à celui des offres traditionnelles DirecTV, il faudrait la commercialiser au prix exorbitant de 80$ par mois. Autrement dit, même dans le cas où AT&T ne perdrait pas d’argent sur DirecTV Now, ses marges seraient beaucoup moins importantes que sur ses autres offres de télévision payante.

L’opérateur devra donc tenter de générer de l’arpu additionnel en vendant à ses abonnés DirecTV Now des services associés comme sans doute de l’enregistrement dans le Cloud à l’image de Playstation Vue ou la possibilité de visionner plusieurs streams simultanément. Mais le prix de l’offre devrait alors grimper rapidement au risque de ne plus apparaitre comme réellement compétitif par rapport aux offres traditionnelles. De fait, le premier bouquet de télévision est proposé chez DirecTV à partir de 50$ alors que l’offre 3P commence à 90$ chez AT&T soit à peine plus cher que la combinaison DirecTV Now associé à un abonnement Broadband seul (autour de 50$ chez l’opérateur).

• Une stratégie de long terme pour concurrencer le système du câble

La difficile équation économique de DirecTV Now montre qu’AT&T s’inscrit dans une stratégie de long terme en acceptant dans un premier temps de sacrifier la rentabilité de ses nouvelles offres de télévision payante sur internet. Le véritable enjeu pour l’opérateur n’est pas tant le succès immédiat du service que de commencer à construire sa prochaine plateforme de distribution vidéo appelée à remplacer d’ici plusieurs années les offres déclinantes U-verse (IPTV) et DirecTV (satellite). La stratégie de l’opérateur, symbolisé par le rachat de DirecTV à l’été 2015, consiste à développer un modèle de distribution de la vidéo alternatif au câble permettant de défendre la valeur de ses différents réseaux fixes et cellulaires.

L’enjeu est d’autant plus important pour le premier distributeur de télévision payante américain (25,3 millions d’abonnés vidéo au total pour AT&T et DirecTV) que le déclin du marché TV se confirme et que, trimestre après trimestre, le câble accentue son avance sur les Telcos sur le marché de l’accès. Ainsi, alors que AT&T poursuit la migration de ses abonnés U-Verse vers la plateforme DirecTV (celle-ci représente désormais 80% de son marché vidéo), les recrutements ne permettent pas de compenser les pertes d’abonnés TV. Au troisième trimestre 2016, U-verse a perdu 326 000 abonnés alors que DirecTV n’en a recruté que 323 000. Et AT&T prévient déjà le marché que l’année se soldera par une perte nette. Côté Broadband, la situation n’est guère plus encourageante avec une perte de parts de marché inquiétante pour les Telcos au bénéfice des câbloopérateurs. Sur les trois premiers trimestres 2016, ces derniers ont recruté 2,4 millions d’abonnés broadband supplémentaires alors que les opérateurs télécoms en ont perdu 475 000. Au troisième trimestre, alors que Comcast a ajouté 329 000 clients, AT&T en a perdu 23 000.

Si le rachat de DirecTV visait principalement à diversifier les activités de AT&T jusqu’alors dominées par la téléphonie mobile, marché mature et dont la croissance ralentit, le lancement de DirecTV Now constitue désormais un levier pour se positionner sur les offres vidéo over-the-top, segment de marché plus dynamique que celui de la télévision payante et permettant de valoriser les réseaux à très haut débit de l’opérateur, fixes et mobiles avec la 5G en ligne de mire. Randall Stephenson, Chief Executive de AT&T vient d’ailleurs de déclarer très clairement qu’il y aurait des avantages à utiliser le nouveau service sur ses réseaux : “There should be advantages to using DirecTV Now on AT&T’s network, and there will be”. Il semble donc assez évident que l’opérateur souhaite mettre en place une pratique commerciale dite de « zéro rating » permettant d’appliquer un prix nul au trafic de données associé à l’utilisation du service. L’utilisation mobile sera donc illimitée pour les abonnés AT&T. D’ailleurs, AT&T utilise déjà cette pratique depuis septembre dernier pour son application DirecTV permettant aux abonnés des offres TV traditionnelles de regarder les chaînes sur smartphones ou tablettes. Le trafic de données de l’application n’est pas décompté pour les abonnés mobiles de l’opérateur. La pratique inquiète la FCC qui a écrit à AT&T au début du mois pour lui demander des explications. La réponse de l’opérateur est cinglante puisqu’il estime que la pratique du zéro rating est non seulement bénéfique pour les consommateurs mais surtout représente le cœur de sa stratégie pour concurrencer le système du câble, ce qui rappelle-t-il représentait précisément la raison d’être du rachat de DirecTV, une opération soutenue et approuvée par la FCC…

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