L'édito de Philippe Bailly

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BBC et ITV se lancent dans la SVoD aux USA. Un modèle duplicable pour les acteurs français ?

BBC Worldwide, bras commercial du groupe audiovisuel public britannique, et ITV, première chaîne gratuite de Grande-Bretagne, ont décidé d’unir leurs forces pour lancer une offre commune de vidéo à la demande par abonnement sur les marchés étrangers. Baptisé Britbox, le service a été lancé le 7 mars dernier aux États-Unis. D’autres territoires pourraient suivre à terme. Une initiative qui pourrait faire des émules dans l’Hexagone mais un tel modèle est-il vraiment duplicable pour les acteurs français ?

La BBC et ITV unissent leurs forces dans la SVoD

Annoncé en fin d’année dernière[1], Britbox, le service de SVoD né de la joint-venture à parts égales entre BBC Worldwide (BBCWW) et le groupe privé ITV, a été lancé sur le marché américain le 7 mars dernier. AMC Networks, qui possède 49,9% de la chaîne BBC America (codétenue et opérée par BBCWW), détient également une participation minoritaire, sans droit de vote, dans le nouveau service. Britbox est commercialisé au tarif de 6,99 dollars par mois sans engagement (+7 jours d’essai gratuit). Il est accessible sur univers web, mobile (iOS, Android) mais également TV avec une compatibilité Roku, Apple TV et Chromecast. Britbox est entièrement dédié à la distribution de contenus britanniques. Au lancement, ses utilisateurs peuvent y trouver plus de 2 000 heures de programmes avec un mélange de grands classiques de la fiction « Made in UK » déjà diffusés aux États-Unis (Fawlty Towers, Pride & Prejudice, Upstairs Downstairs, Absolutely Fabulous…), mais aussi des séries inédites à la télévision américaine (New Blood, In The Dark, The Moonstone…) et de nouvelles saisons en avant-première (Cold Feet, Silent Witness…). Également annoncée, une sélection de feuilletons et de séries en UK+24 (EastEnders, Emmerdale, Holby City…).

Si l’offre paraît attractive d’un point de vue quantitatif, elle souffre en revanche de l’absence de nombreux succès récents des deux groupes comme Downton Abbey, Broadchurch (ITV), Luther, Sherlock, Peaky Blinders (BBC). Ces séries phares ne peuvent en effet être proposées sur Britbox, l’exploitation des saisons les plus récentes étant privilégiée en linéaire (séries populaires de la BBC réservées à BBC America, disponible sur le câble et le satellite américain) et les droits des anciennes saisons ayant été commercialisés auprès de différentes plates-formes numériques.

La BBC et ITV présentent les catalogues de contenus les plus riches du Royaume-Uni. La filiale de production ITV Studios a fourni 7 800 heures de contenus à plus de 230 chaînes et plates-formes digitales en 2016 au Royaume-Uni et à l’étranger, dont 155 heures de fiction[2]. ITV Studios a vu ses revenus croître de 13% en 2016 à 1,395 milliard de livres. Ceux de BBC Worldwide ont quant à eux progressé de 7% à 1,029 milliard de livres en 2015/16. Les deux groupes continueront sans doute de privilégier la vente de leurs productions les plus populaires aux grands réseaux de chaînes américains. La distribution en OTT via une formule de streaming illimité leur permet quant à elle de diversifier leurs sources de revenus en animant et en monétisant une partie du catalogue qui n’est pas ou plus diffusée en linéaire, le tout avec une prise de risque minimale pour s’implanter à l’étranger. Un tel mode de distribution, en direct-to-consumer, présente en outre l’avantage de pouvoir s’adresser directement à ses utilisateurs, de manière ciblée, et de collecter des données d’usage précieuses.

Les États-Unis, premier bassin mondial de consommation de programmes audiovisuels (marché SVoD estimé à 6,2 milliards de dollars en 2016, hors ventes en bundle de type Amazon Prime[3]), constituent la première étape du déploiement international du service. BBCWW et ITV envisagent en effet d’ouvrir Britbox à de nombreux marchés internationaux par la suite.

Britbox, une source d’inspiration pour les acteurs français ?

Concurrents sur le marché de la télévision britannique, les deux plus grands diffuseurs de Grande-Bretagne ont su dépasser leurs rivalités pour proposer une offre OTT commune à destination du marché international. Une initiative qui pourrait inspirer les acteurs français mais le modèle adopté par la BBC et ITV est-il réellement duplicable ?

  • Succès à l’export : une réelle appétence du public international pour la production française ?

La première question qui se pose est celle de l’appétence du public étranger pour les productions audiovisuelles françaises. Si les français comme les britanniques sont mondialement reconnus pour la qualité de leurs productions, ces derniers possèdent un avantage linguistique certain pour s’adresser au reste du monde, et aux États-Unis en particulier. Un avantage d’autant plus important quand on connaît l’aversion du public américain pour les sous-titres.

Parmi les indicateurs disponibles, le montant des ventes de programmes audiovisuels français à l’export semble indiquer que les productions tricolores sont de plus en plus calibrées pour l’international. Les exportations de programmes audiovisuels ont en effet connu une année 2015 dynamique avec des ventes en hausse de 7% en un an pour s’établir à 164 millions d’euros[4], soit le plus haut niveau jamais observé. Tous les grands genres ont contribué à la croissance du marché : l’animation domine avec 51 millions d’euros de ventes à l’export (+12%), suivie par la fiction à 41 M€ (+6%) et le documentaire à 37 M€ (+6%).

Les ventes vers les États-Unis et le Canada anglophone sont pour leur part en retrait de 15% après une année 2014 record. Une baisse qui s’explique en partie par un transfert progressif des droits nord-américains vers des « droits-monde », principalement sous l’impulsion des plates-formes de SVoD. D’après le CNC, la production française figure parmi les offres les plus plébiscitées par les services de streaming américains, à l’image de Netflix en animation (Oggy et les Cafards), comme en fiction (Versailles) et en cinéma (Divines). Une nouvelle tendance qui présente l’avantage d’offrir une très large audience à des productions françaises parfois en manque de visibilité et participe à renouveler son public à l’étranger.

Les exportations de programmes audiovisuels français par genre

Source : CNC

Le cinéma français a connu une dynamique inverse en enregistrant sa plus forte baisse à l’international en 2016 : -70% par rapport aux 111 millions d’entrées de 2015[5]. Tombés à 34 millions d’entrées en 2016, soit le niveau le plus bas de ces dix dernières années, les longs-métrages français ont souffert de l’absence de locomotives par rapport à 2015 (Taken 3, Le Petit Prince, Le Transporteur – Héritage) et 2014 (Lucy, Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?). Le marché nord-américain est redevenu le premier territoire d’exportation des films français avec plus de 5,5 millions d’entrées salles (-61% vs. 2015), les entrées en Chine ayant quant à elles chuté de 14 à 1 million en un an.

Source : UniFrance

  • Création audiovisuelle : la France reste à la traîne de son voisin britannique

L’un des principaux points bloquants réside dans le fait qu’à la différence de nos voisins britanniques, les principaux groupes audiovisuels français ne sont pas propriétaires des programmes qu’ils financent et ne disposent que d’un droit de diffusion temporaire. Alors qu’en France, l’essentiel de la production audiovisuelle est aujourd’hui externalisé, en Grande-Bretagne, les chaînes disposent de studios pour la création de fictions en interne[6], pour leur propre compte mais également pour celui de diffuseurs concurrents. Propriétaires de leurs droits, ces chaînes sont ensuite dans la capacité de les exporter à l’international, ce qui génère une source de revenus non négligeable (la vente de programmes via BBC Worldwide représente un quart du chiffre d’affaires de la BBC, contre 2% pour France Télévisions Distribution).

Une situation maintes fois dénoncée par TF1 et France Télévisions, les deux plus gros investisseurs de la création française, et qui a conduit à de nouveaux accords fin 2015/début 2016 entre chaînes et syndicats de producteurs. Désormais, la part dite « dépendante » du groupe audiovisuel public français, qui lui permet de produire en interne ou avec des producteurs indépendants (mais avec davantage de droits), s’établit à 25%, contre 5% précédemment. Du côté de TF1, cette part dite « dépendante » est portée à 36%, contre 26% auparavant. L’accord porte également sur le seuil de déclenchement des parts de coproduction, fixé jusque-là à 70% et abaissé à 60%. Des mesures essentielles qui permettent aux chaînes de mieux protéger leurs droits, d’exploiter plus librement les programmes sur les plates-formes numériques et d’être davantage rémunérées sur leur exportation à l’étranger.

  • Alliance française : un projet commun qui tarde à émerger

L’alliance entre la BBC et ITV n’est pas anodine. Elle illustre parfaitement la nécessité pour les grands acteurs du monde de l’audiovisuel d’établir des partenariats pour proposer de nouvelles offres compétitives et espérer s’imposer sur le marché florissant de l’OTT.

Il a longtemps été question d’un projet de « Netflix à la française », sans que les discussions n’aient finalement pu aboutir. Régulièrement évoqué, ce projet devait rassembler les offres respectives de TF1, M6 et France Télévisions, le tout avec l’appui de la force commerciale et de la capacité de distribution d’Orange. Faute de tests d’acceptabilité du marché convaincants et de projections de rentabilité suffisantes à moyen terme, un accord n’a pu être trouvé entre les différentes parties. A l’occasion des dernières Rencontres de l’Udecam, Stéphane Richard, le PDG d’Orange, a réaffirmé sa déception face à l’incapacité des grands médias français à faire émerger une offre commune[7].

A défaut d’initiative commune, France Télévisions travaille sur son offre de vidéo à la demande par abonnement qui devrait voir le jour cet automne avec pour ambition de promouvoir la création française. Pour développer son projet, le groupe audiovisuel public a choisi de s’associer avec les producteurs (Banijay-Zodiak, Lagardère Studio, Makever, Millimages, Newen, Tétramedia, UniversCiné, Xilam…) en leur assurant un partage des revenus. Une alliance française qui pourrait se transformer en alliance francophone puisque des représentants de la RTBF (Belgique), de la RTS (Suisse) et de Radio Canada ont rencontré en début d’année des membres de France Télévisions pour échanger autour du futur service de SVoD du groupe public français. Un partenariat qui confèrerait au service une dimension plus internationale et permettrait de mutualiser les coûts marketing et techniques. L’objectif final serait non pas de concurrencer frontalement les grands services de SVoD internationaux mais de compléter leurs offres avec un catalogue complet de titres francophones.

[1] BBC : BBC Worldwide and ITV partner to bring new SVOD service BRITBOX to the US

[2] ITV : 2016 Full Year Results

[3] Digital Entertainment Group (DEG) : Year End 2016 Home Entertainment Report

[4] CNC : L’exportation des programmes audiovisuels français en 2015

[5] UniFrance : UniFrance publie les résultats des films français à l’international en 2016

[6] La BBC produisait en interne 56% de ses programmes (contre 44% achetés à l’extérieur) jusqu’en 2014. Depuis la réforme de BBC Studios, 100% de sa production est internalisée.

[7] Challenges : Quand Stéphane Richard se dit “triste” de ne pas avoir pu créer un Netflix français

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