L'édito de Philippe Bailly

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Spotify cède aux majors et révise sa formule gratuite à la baisse

A travers un accord avec les majors de l’industrie musicale, le leader du streaming s’apprête à revoir sa formule gratuite en privant ses utilisateurs d’un accès à certaines nouveautés. En retour, les grands labels accepteraient de réduire le niveau de leurs royalties, principal poste de dépenses de la firme suédoise depuis sa création. Une valorisation de l’offre payante au détriment de la version gratuite qui doit également permettre de faire croître sa base d’abonnés avant une possible introduction boursière.

Renforcer l’attrait du payant au détriment du gratuit

Le service de streaming suédois est sur le point d’apporter une nouvelle limitation à son offre gratuite. Déjà dégradée sur certains aspects fonctionnels (application limitée à une écoute en mode aléatoire, impossibilité de sauter plus de six chansons par heure, qualité sonore inférieure, etc.) et agrémentée de publicités non supprimables entre les morceaux, la version gratuite de Spotify pourrait se voir ajouter une nouvelle restriction. Actuellement en renégociation avec les majors de l’industrie musicale (Sony, Universal, Warner), le Financial Times révèle que Spotify aurait consenti à limiter l’accès des sorties les plus récentes, véritables locomotives du marché du streaming, à ses seuls abonnés payants[1] (formule d’abonnement à 9,99€/mois ; option Famille à 14,99€/mois pour un accès jusqu’à six comptes). Il ne s’agirait que d’une restriction temporaire sans qu’aucune précision n’ait toutefois été donnée quant au délai d’attente pour une accessibilité à tous (plusieurs semaines, mois, années ?).

Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de différence de catalogue entre les versions gratuite et payante du service. Si elle venait à se confirmer, cette décision serait de nature à générer davantage de frustration chez l’utilisateur gratuit et pourrait, à terme, le pousser à basculer vers la version premium du service. Un revirement stratégique qui pourrait toutefois avoir l’effet inverse de celui escompté et entraîner une fuite pure et simple des utilisateurs gratuits vers la concurrence.

En contrepartie de cette concession, les grands labels de musique accepteraient de revoir à la baisse le montant des droits versés (royalties) pour la reprise des morceaux de leurs artistes sur la plate-forme. Un arrangement qui ferait office de compromis entre les volontés de Spotify et celles des majors, le service de streaming étant historiquement attaché à la gratuité d’une partie de son offre – facilitant selon lui le recrutement d’abonnés – les majors privilégiant quant à elles le modèle de l’abonnement, plus rémunérateur que celui de la publicité.

Un service leader mais toujours déficitaire

Leader mondial du streaming musical avec plus de 100 millions d’utilisateurs dont 50 millions d’abonnés payants[2] (loin devant Apple Music et ses 20 millions d’abonnés fin 2016), Spotify peine à dégager des bénéfices. Si le service a accéléré sa croissance en 2015 avec un chiffre d’affaires en hausse de 80% à 1,945 milliard d’euros, il a également creusé sa perte nette au cours de cette même année (173 M€ ; +7% vs. 2014). Depuis son lancement en 2008, le leader de l’écoute de musique en ligne n’a toujours pas engrangé le moindre bénéfice. Son déficit n’a même cessé de prendre de l’ampleur au cours des huit dernières années.

Évolution des revenus et pertes nettes de Spotify / 2010-2015 ; en millions d’euros

Source : Publications financières de Spotify

Malgré un succès public fulgurant, la réussite financière de Spotify reste dépendante des sommes versées aux ayants-droit pour l’exploitation commerciale de leurs oeuvres. Principal poste de dépenses de la société depuis sa création, les « royalties, frais de distribution et autres coûts » auxquels doit s’astreindre le service de streaming progressent plus vite que ses recettes : +85% entre 2014 et 2015 pour s’établir à 1,633 milliard d’euros, soit 84% du chiffre d’affaires réalisé cette même année. Au total, ce sont plus de 5 milliards d’euros qui ont été versés aux ayants-droit par le service suédois depuis son lancement sur le marché.

Résultats annuels de Spotify / 2015 vs. 2014 ; en millions d’euros

Source : Publications financières de Spotify

L’accord en passe d’être signé avec les trois majors marquerait un virage important pour l’ensemble du secteur. Si les revenus du streaming n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, ce mode de distribution n’a pas encore trouvé de modèle économique permettant aux plates-formes de terminer un exercice à l’équilibre. Inédite à ce jour, la baisse des royalties consentie par les grands labels en contrepartie de la valorisation de l’offre payante de Spotify participerait à alléger les dépenses du géant suédois et pourrait lui permettre de connaître une première année de bénéfice. Cet arrangement témoigne en outre de la volonté des majors de collaborer davantage avec les acteurs du streaming pour recréer de la valeur. Si les offres gratuites financées par la publicité sont toujours considérées comme destructrices de valeur par les représentants de l’industrie, le modèle de l’abonnement est aujourd’hui activement poussé par les labels. En l’espace d’une décennie, les plates-formes de streaming ont su séduire un très large public (>100 millions d’abonnés payants à travers le monde en 2016) jusqu’à s’imposer comme le moteur du retour à la croissance du marché de la musique : +7% en 2016 à 16,1 Mds $ (plus forte progression depuis l’arrivée de Napster sur le marché au début des années 2000) dont 5,4 Mds $ pour le seul streaming, en hausse de 57% en un an[3]. En 2017, les prévisions de Midia Research font état d’une nouvelle progression à deux chiffres du streaming avec l’ajout de 40,3 millions d’abonnés payants, soit un total supérieur aux 38,8 millions d’abonnés recrutés en 2016.

Enfin, un tel accord arriverait à point nommé pour le service d’écoute en ligne de musique en le rapprochant d’une opération attendue de longue date : l’introduction boursière. S’il peut se prévaloir du recrutement de 20 millions d’abonnés payants en seulement un an, nul doute que cet accord avec les majors crédibiliserait encore un peu plus ses ambitions d’IPO et rendrait la société plus séduisante auprès des investisseurs.

[1] Financial Times : Spotify nears music deals to open path to IPO

[2] The Verge : Spotify now has 50 million paid subscribers

[3] Midia Research : estimations non définitives sur la base des publications financières des trois majors et des labels indépendants

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